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Rencontre avec Olivier Philippe, Directeur de l’Innovation Sociale à Sciences Po Toulouse, et Kevin Chambon du programme DISPO.

180 000 élèves bénéficiaires des programmes d’égalité des chances d’ici 2022, c’est l’objectif du gouvernement français. Le plan de relance face à la crise de la Covid-19 accorde une place importante aux jeunes. Parmi les mesures, on retrouve la volonté d’augmenter de 100 000 le nombre de collégiens et lycéens bénéficiaires de ce type de politiques.

Le Plan de Relance français permettra à 100 000 jeunes de bénéficier de programmes d'

Les acteurs centraux de ces politiques de compensation sont les cordées de la réussite. Ce dispositif a été créé en 2008, notamment suite aux émeutes ayant eu lieu dans les quartiers populaires en 2005. Il est principalement financé par les ministères de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales (par le biais du CGET), de la ville et de l’Enseignement supérieur. L’objectif visé est de démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur, en particulier les “filières d’excellence”, à savoir les filières sélectives. Cela par la mise en lien entre les établissements du supérieur et ceux du secondaire, jusque-là déconnectés. Or, avec les cordées de la réussite, il s’agit de faire travailler ensemble ces deux types d’établissements dans le but de favoriser l’accès des collégiens et lycéens de milieux défavorisés aux études supérieures. Ainsi, plusieurs universités, écoles, mais aussi lycées disposant de classes préparatoires ou de BTS, sont aujourd’hui “tête de cordée”. Cela signifie qu’ils interviennent dans des collèges et lycées de leur territoire, notamment par le biais de leurs étudiants tuteurs.  

Avec le plan de relance et la circulaire de rentrée du ministère de l’Education nationale, les objectifs évoluent. Au-delà de l’augmentation du nombre de bénéficiaires, certains publics cibles gagnent en importance. Aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et réseaux d’éducation prioritaire (REP et REP +) s’ajoutent les zones rurales isolées ou zones de montagne isolées et les lycées professionnels. De plus, les cordées de la réussite et les parcours d’excellence fusionnent. Ces derniers avaient été créés en 2016 pour compléter les cordées. Cela permettra de cibler des élèves post-bacs ainsi que davantage de personnes en situation de handicap. 

« Il y a une volonté politique renouvelée et affirmée que l’on peut voir à travers les moyens supplémentaires mis en œuvre par le gouvernement.”

Rentrons dans le concret pour mieux comprendre ce qui se cache derrière une cordée de la réussite. Parti Civil est allé à la rencontre des acteurs de la tête de cordée Sciences Po Toulouse, intervenant dans une trentaine de collèges et lycées de la région Occitanie. Le programme DISPO, ce sont 147 étudiants bénévoles de l’IEP de Toulouse en 2020, se déplaçant 3 à 4 fois sur l’année en binôme au sein d’une classe. Ils interviennent du niveau Troisième au niveau Terminale afin d’accompagner les élèves dans leur projet d’orientation et dans l’acquisition de la méthodologie nécessaire aux études supérieures, cela ponctué d’événements et de sorties culturelles et sportives.  

Olivier Philippe, Directeur de l’Innovation Sociale à Sciences Po Toulouse et Responsable du programme DISPO, et Kevin Chambon, Chargé de mission égalité des chances, nous ont parlé de la conception du dispositif, de ses enjeux, et ont partagé avec nous leur vision de l’égalité des chances. 

A travers leur récit, on comprend l’importance donnée à la co-construction : rectorat, équipes enseignantes, chefs d’établissements, chercheurs, doivent collaborer pour répondre à la diversité des besoins des élèves et mieux comprendre les spécificités locales. Cela permet de créer une connexion entre le secondaire et le supérieur. Olivier Philippe explique : “Nous avons travaillé en collaboration et en co-construction avec les acteurs de l’éducation. Nous avions fait un diagnostic de la situation sur l’académie qui est très particulière avec une métropole importante, un territoire vaste mais sous-peuplé, beaucoup de zones rurales, très peu de villes moyennes. Donc dès le départ nous avions intégré la dimension territoriale. Nous avons essayé de penser les choses pour pouvoir se déployer sur tout le territoire de l’académie.” 

Cette dimension territoriale, justement, se retrouve dans les objectifs des cordées de la réussite à travers l’enjeu de l’accès à la culture. Au-delà de la nécessité de cibler les zones rurales, la dimension territoriale renvoie également à la question de la mobilité des élèves.  Penser l’accès à la culture, c’est aussi penser l’accès à la mobilité.

“On n’imagine pas le nombre d’élèves de Carmaux qui sont allés à Albi pour la première fois avec DISPO, une ville à 30 km de chez eux.”

Les inégalités économiques doivent être pensées en lien avec les inégalités socio-culturelles. De fait, les ressources économiques d’un foyer conditionnent leurs types de consommations et pratiques. Les comportements et usages des classes précaires sont souvent considérés comme étant moins légitimes que ceux des foyers favorisés. On peut ici penser à la notion de “culture légitime” avancée par le sociologue Pierre Bourdieu pour montrer ces rapports de force. Or, un ménage aux ressources économiques et sociales faibles aura davantage de difficultés à dépenser et à se déplacer pour aller voir du théâtre, un spectacle de danse, de l’opéra, etc. Les cordées de la réussite sont aussi pensées pour favoriser l’accès à la culture des élèves.

Pour Kevin Chambon, “Cela permet de développer un esprit critique, de véhiculer un avis ou du moins une représentation sur un sujet d’actualité, une vision du monde aussi”. Difficile alors de remettre en cause les pratiques considérées comme “légitimes”, mais au moins, cela permet de donner les clés aux élèves : “Cela fait partie de ce qui construit l’ajustement à l’institution scolaire, il ne faut pas se faire d’illusion”. D’un autre côté, il ne faut pas non plus tomber dans le piège des stéréotypes : 

“Dès le départ, on n’était pas dans l’idée d’un accès à la culture en jouant sur les stéréotypes associés aux quartiers populaires. Ce n’est pas parce que je viens du quartier Grand Mirail qu’on doit me proposer un spectacle de hip-hop. Dans les quartiers populaires, de fait c’est une musique qui est connue, qui est partagée par les jeunes. Leur montrer un spectacle de hip-hop c’est très bien, mais ils connaissent déjà. Il s’agit plutôt de les amener à se confronter à des choses qu’ils ne connaissent pas et qui vont les déstabiliser. Puis il s’agit de voir comment cette déstabilisation peut ouvrir à des horizons, des réflexions, des idées, des envies”, Olivier Philippe 

Se confronter à de nouvelles pratiques culturelles, mais aussi se confronter à de nouveaux lieux. A travers les sorties culturelles, les élèves découvrent de nouveaux territoires. L’accès à la mobilité ne doit pas être oublié dans les politiques d’égalité des chances. De fait, un lycéen de zone rurale n’ayant jamais connu la métropole de son territoire osera probablement moins s’y aventurer pour poursuivre ses études. La projection dans les études supérieures passe aussi par la projection dans l’espace.  

Toutefois, les élèves des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones rurales ne sont pas les seuls ciblés par ces politiques. Les inégalités liées au genre et au handicap sont aussi questionnées, mais comment alors ne pas renforcer les discriminations en différenciant ce type de public ? 

“Il y a des biais inconscients de recrutement.”

La socialisation des jeunes filles a des effets sur leur implication scolaire. En effet, la sociologie du genre a pu montrer le comportement relativement plus discipliné des filles à l’école et une appétence plus prononcée pour les filières générales de par leur socialisation genrée. La conséquence de cela est un déséquilibre au sein des cordées qui sont très féminisées.  

Quant au handicap, c’est un objectif qui, au fil du temps, a pris de l’ampleur. Comme pour la parité, DISPO n’impose pas de quotas aux établissements, ce qui ne serait pas cohérent au vu de la diversité des établissements. Les responsables du programme essaient de sensibiliser les enseignants qui identifient les élèves potentiellement bénéficiaires et qui ne se posent pas toujours ce type de question. Néanmoins, plusieurs obstacles empêchent de trouver une solution optimale : tous les handicaps ne sont pas visibles et tout dépend de ce que l’on met derrière la notion de handicap. 

“Ce qu’il y a de compliqué avec les élèves en situation de handicap c’est la définition que l’on donne du handicap. C’est là où on est piégé un peu par la manière dont on a considéré le handicap dans notre pays. Les personnes en situation de handicap ont un statut accrédité par les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH), mais il y a plein de personnes qui n’ont pas envie d’être inscrites à une MDPH ou qui estiment que leur différence n’est pas un motif entre guillemets d’attention particulière. Également, il y a la question de ce qu’on appelle les parcours individualisés des élèves qui concernent essentiellement des handicaps de type cognitif ou psychique (dyslexie, dyspraxie…), sachant que ces formes de handicap sont extrêmement variables et variées, notamment quant à leur intensité. Il y en a certaines qui sont très sévères et peuvent être vraiment des obstacles par rapport au suivi des études”, Olivier Philippe

“Parfois, sous prétexte d’universaliser un droit, on crée ou on renforce des inégalités.”

Le seul quota imposé par DISPO est le minimum de 75 % de boursiers. Seulement, les élèves peuvent se questionner parfois sur la raison pour laquelle ce dispositif leur est proposé. Cette forme de stigmatisation, qui peut nous interroger également par rapport aux distinctions liées au handicap, révèle toute l’ambivalence des politiques de compensation.  

“Le problème c’est qu’il faut essayer d’objectiver les critères et les publics, pour plusieurs raisons. D’abord, comme c’est une politique d’égalité des chances, ça veut dire que c’est une politique qui s’adresse à des publics spécifiques donc il faut pouvoir les spécifier. […] Je dirais que s’il n’y a pas des formes de spécifications qui sont effectuées, ça revient à dire qu’il n’y a pas de raison de mettre en place des politiques spécifiques pour ces publics-là. Cela consiste à dire que les inégalités socio-économiques sont complètement neutres et que ça n’aurait aucun impact dans la scolarité, dans les ambitions et la réussite des élèves.”

Olivier Philippe dévoile ici la complexité des politiques d’égalité des chances. Pas de solution miracle, a priori. Mais selon lui, il faut tout de même agir, sinon nous risquons de nier les inégalités sociales.

“Ce qui est renvoyé comme argument c’est : ‘Ce que vous faîtes c’est super chouette, pourquoi on ne le ferait pas pour tout le monde ?’. Justement, si ce n’est pas pour tout le monde, c’est bien pour essayer de rééquilibrer un peu les choses. A priori ils en ont besoin, donc si on essaie d’agir sur les inégalités, on ne va pas donner la même chose à tout le monde pour réduire les inégalités. […] Parfois, sous prétexte d’universaliser un droit, ce qui est une bonne chose, en fait on crée ou on renforce des inégalités. C’est ça qui est paradoxal. Ce que l’on propose est efficace, donc pourquoi ne pas le généraliser à tout le monde ? Eh bien parce que ce n’est pas l’objectif !”

Par ailleurs, n’oublions pas dans ces questionnements la capacité de penser et d’agir des élèves en question. Ceux-ci ne sont pas dupes et comprennent bien les enjeux. Libre à eux alors de choisir ou non de rejoindre un dispositif d’égalité des chances. Pour Kevin Chambon, chargé de mission égalité des chances, la situation sociale est “une conscience qui te suit à vie”. Il ne s’agit ni d’un côté de stigmatiser ces élèves, ni pour autant de faire comme si ces derniers n’étaient pas conscients de leur condition sociale et n’avaient aucune marge de manœuvre. 

“On leur donne des moyens supplémentaires.”

Universaliser un droit passe-t-il alors par des différenciations selon le public ? Face à des inégalités qui sont structurelles, ce sont finalement des politiques d’équité qui sont pensées. Pour atteindre l’égalité entre toutes et tous, il faut avant tout que la répartition des ressources – dans notre cas, scolaires, économiques, sociales (réseaux), culturelles – soit équitable. La disposition des ressources est une première chose, la deuxième étape est alors d’y avoir accès, c’est-à-dire d’avoir la capacité de s’en emparer. Kevin Chambon explique :

“Cela dépend de la définition qu’on se fait de l’égalité. Soit on donne les mêmes droits à tout le monde en partant du postulat que tout le monde peut s’emparer d’un même objet, soit on porte une attention particulière à ceux qui ont du mal à s’en emparer et on leur donne des moyens supplémentaires d’accéder à quelque chose auquel d’autres ont accès par leur environnement, par leur foyer.

Pourquoi les milieux favorisés sont surreprésentés dans l'enseignement supérieur ? Car ils ont accès à l'information, la culture et la mobilité, qu'ils ne s'autocensurent pas en candidatant à ces formations. L'accès à l'enseignement supérieur ne dépend pas que des compétences scolaires.

Olivier Philippe illustre la question à travers l’exemple de Polytechnique :

“Tu peux t’inscrire à Polytechnique, à compétences scolaires égales, mais ça ne suffira pas. Personne ne t’empêche de t’inscrire à Polytechnique. Est-ce qu’on considère que c’est l’intelligence naturelle, le don ? Le problème c’est que quand on regarde combien il y a d’enfants d’ouvriers à Polytechnique, il n’y en a pas beaucoup. […] Déjà il y a la possibilité même de pouvoir s’envisager s’inscrire à Polytechnique tout simplement. Il y a des effets de censure énormes sur les élèves, voire de connaissances, c’est-à-dire d’avoir l’information. Et même quand tu connais Polytechnique, tu te dis ‘ah dis-donc il a fait Polytechnique !’. Quand tu es un élève de milieu populaire, ce n’est pas si facile de se projeter dans Polytechnique, alors qu’évidemment si tu es fils de polytechnicien, tu n’as aucun souci pour te projeter dans cette école. D’ailleurs c’est ce qu’il se passe quand on regarde l’endogamie [le fait de choisir son conjoint ou sa conjointe au sein de son milieu social] de Polytechnique et de l’Ecole normale supérieure. Il y a quand même un problème lorsque ce ne sont plus que les ‘fils de’ qui se retrouvent dans ces écoles.”

“L’égalité des chances c’est l’ouverture, au sens large : que ce soit ouvrir les autres, les sensibiliser à ce type de public, ou ouvrir le jeune sur le monde qui l’entoure, sur les études supérieures.”

S’il devait choisir un mot pour définir l’objectif des politiques d’égalité des chances, Kevin Chambon opterait pour “ouverture”. Tant par la co-construction de ces programmes que par l’inclusion de profils divers, on comprend mieux les enjeux actuels des cordées de la réussite. Partager, collaborer, ouvrir aux autres et s’ouvrir aux autres, ouvrir le monde et s’ouvrir au monde. 

Avec la crise sanitaire, difficile de poursuivre ces objectifs : “Lors de nos événements, l’idée est de confronter ces élèves à un lieu prestigieux, devant un public, avec tout ce que ça implique comme mobilisation de compétences, de gestion de son propre stress, de prise de confiance en soi, de capacité à s’exprimer en public. Avec la Covid-19, on le perd en partie. Et ce qui est très important, c’est qu’il ne faut pas négliger les effets collatéraux de cette crise sanitaire en termes de conséquences économiques, sociales ou même psychologiques”, nous fait part Olivier Philippe . Et d’ajouter : “On a encore plus le devoir de ne pas arrêter.” Un message d’encouragement que l’on espère voir maintenu dans les mois à venir.

Portrait de Marion Crepin, responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR MARION CREPIN


Membre de Parti Civil. Mais aussi, Bénévole en communication chez each One (ex-Wintegreat). Inclusion des personnes réfugiées et en demande d’asile • Egalité des chances

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Être féministe est aujourd’hui une insulte pour une partie encore trop importante de la population ; pire encore, une jolie manière de discréditer la parole d’un ou d’une militante. 

Après tout, les féministes “vont trop loin”. C’est du moins ce que publiait France24 en Juillet 2020. Face à de tels propos, commençons par rappeler l’ampleur des violences physiques et sexuelles aujourd’hui commises en France.


Des violences physiques et sexuelles qui perdurent

Au sein d’un couple, 84 % des morts violentes ont pour sujet des femmes1. Par ailleurs, les violences physiques ne conduisent pas toujours au meurtre, et ce sont plus de 213 000 femmes en France qui sont chaque année victimes de violences physiques et/ou sexuelles  commises par leur conjoint ou ex-conjoint. Parmi ces femmes, seulement 18% déclarent avoir porté plainte2. Connaissant les propos du ministre de la justice lui-même, ce constat laisse peu perplexe.

En une année, c’est plus de 52 400 femmes et 2 700 hommes qui ont été victimes d’au moins un viol, et plus d’un demi-million de femmes (553 000) qui ont été victimes d’agressions sexuelles autres que le viol. Au cours de sa vie, 1 femme sur 26 est violée, 1 sur 7 est agressée sexuellement3.

Les violences physiques et/ou sexuelles, dont les femmes sont la cible principale, ont également des conséquences connexes car, par la peur qu’elles instillent, elles peuvent dissuader, et conditionnent ainsi nos comportements.

Violences physiques et sexuelles au delà des actes

En France, 86% des Françaises sont victimes d’au moins une forme d’atteinte ou d’agression sexuelle dans la rue4. Les formes d’agressions sont multiples : les femmes sont suivies, sifflées, moquées, subissent des injures sexistes, des attouchements, ou sont aussi victimes d’exhibitionnisme. 

Ce chiffre est tout autant impressionnant que les réactions face à ces agressions. En effet, près d’un quart des Français considèrent qu’un violeur est moins responsable si la victime porte une mini-jupe, et 40% considèrent que, si la victime a eu une attitude provocante, cela atténue la responsabilité du violeur5.

25% des Français considèrent qu'un violeur est moins responsable si la victime portait une mini-jupe.

La peur que suscite les violences, ainsi que les représentations françaises du viol et des agresisons sexuelles, conditionnent alors les comportements. Les femmes se sentent moins libres de porter des jupes, des robes ou des vêtements dans lesquelles elles pourraient se sentir valorisées, par peur de favoriser une agression. 

On encourage d’ailleurs les femmes, “pour leur sécurité”, à ne plus prendre les transports publics à partir d’une certaine heure. Prendre les transports publics tard reviendrait à favoriser les chances d’agressions sexuelles ou physiques. 

C’est ainsi qu’au nom du risque d’agressions, et de la responsabilité qu’elles auraient de s’en prémunir, les injonctions faites aux femmes sont une exclusion volontaire des transports publics. Or, par définition, l’espace public a pour vocation d’être libre d’accès à toutes et tous. L’entretien de cet espace est permis par le contribuable (impôts, cotisations, abonnements) dont les femmes font partie. L’injustice se retrouve décuplée : non contentes d’être soumises à un risque d’agression accru, les droits des citoyennes se trouvent amoindris.

Les femmes devraient-elles prendre des taxis lorsqu’elles rentrent tard pour éviter les agressions ? Ce serait alors l’instauration d’une énième inégalité ciblant cette fois les femmes aux revenus modestes, et qui s’ajouterait à la liste des inégalités que ces dernières cumulent. 

Malgré le caractère absurde de la stratégie de l’évitement, elle est pourtant préconisée par nombre de concitoyens et concitoyennes. Ce discours, souvent construit dans le but en apparence bénin d’encourager les femmes à se protéger et à ne pas prendre de risque, introduit une responsabilisation à l’encontre des victimes et participe à un renversement partiel de la situation. Les femmes conditionnent alors leur comportement relativement aux agressions physiques et sexuelles, et éprouvent une charge émotionnelle et une culpabilité pouvant entraîner de graves séquelles psychiques. Ce discours est également insidieux car intégré dans le traitement pénal des violences physiques et sexuelles, provoquant souvent de faibles peines carcérales ou monétaires au vu de la terreur des crimes commis, et de la peur quotidienne qu’ils génèrent chez toutes.

Plusieurs grilles de lecture supplémentaires doivent être appliquées à la lutte contre les violences faites aux femmes : leur nature fiscale et législative. En un mot : structurelle. Ce sont sans nul doute les aspects les plus insidieux des inégalités, étant complexes et technocratiques. S’en emparer pour permettre de réels changements structurels en est d’autant plus nécessaire. En voici quelques clés de compréhension, traitant d’un sujet particulièrement douloureux dans l’histoire de l’émancipation féminine : l’argent et le capital.

Des inégalités fiscales et législatives

Avoir de l’argent à soi, constitue l’une des premières revendications féministes. Dans de nombreux foyers, avant que la femme n’ait le droit de travailler, c’est son mari qui lui octroyait l’argent nécessaire pour réaliser les tâches lui incombant : courses alimentaires, entretien, achats vestimentaires et équipements des enfants. Cet argent, ou pension, octroyé à la femme était par nature circoncit aux usages prédéfinis par leurs maris, qui légalement6 possédaient l’ensemble du patrimoine de la femme à partir du mariage. La distribution participait donc largement à la définition des rôles sociaux au sein de la sphère domestique7, et donc au contrôle réalisé sur les activités et dépenses des femmes. À partir des années 1850, les Cours de justice (américaines notamment) reconnaissent l’importance de clarifier les montants auxquels une femme peut avoir droit, dans un monde où le travail féminin rémunéré reste l’exception. Il est question de différencier l’argent féminin de celui de son mari, de ses enfants, et des besoins du foyer. Or, les propositions réalisées pour rendre cette distinction effective restent floues et peu généralisées : malgré l’avènement du droit sur le produit de son travail, le travail domestique reste non-rémunéré, et la femme soumise au bon-vouloir de son conjoint, ou référent masculin. Les femmes sont donc condamnées en justice lorsqu’elles économisent sur l’argent octroyé par leurs maris, si ces derniers ne donnent pas leur accord8

Ces temps d’injustices et de violence fiscale, aux lourdes conséquences en termes d’inégalités d’accumulation de capital, peuvent paraître lointains. Mais ils possèdent malheureusement leur pendant contemporain. Que ce soit au sein des stratégies de transmission patrimoniale, ou les rapports genrés entrent en jeu. Cela aboutit par exemple à une transmission des biens immobiliers dirigés plutôt vers les descendants masculins que féminins, du fait de 

  • leur plus forte propension à rester plus proche de leurs territoires d’origine (les femmes suivant plus fréquemment leurs conjoints sur leur lieu d’origine que l’inverse), 
  • à acquérir les compétences pour bâtir un patrimoine, 
  • ou être perçus comme compétents en la matière9

Autre exemple frappant : la déduction de la pension alimentaire des revenus imposables de la personne débitée (majoritairement les hommes séparés), alors que la personne bénéficiaire de la pension (majoritairement les femmes séparées) la déclare au titre de ses revenus et paie des impôts dessus. Autrement dit, les femmes séparées payent des impôts sur une aide leur étant versée, une situation qui semblerait paradoxale dans tout autre cas de figure.

La taxe sur la pension alimentaire est une inégalité fiscale que les mères séparées subissent.

Trois éléments entrent encore aujourd’hui en jeu dans les inégalités d’accumulation de capital : 

  • les idées reçues concernant la capacité gestionnaire des femmes, 
  • l’impact de ces idées reçues sur la reproduction d’inégalités en matière d’éducation, de formation et de responsabilisation,
  • les inégalités trouvant un ancrage législatif.

La violence permise et reproduite par les inégalités structurelles

Héritage d’un temps passé, ou continuité des inégalités sexistes structurelles ? Aujourd’hui, les hommes français possèdent en moyenne 37% d’actifs financiers en plus, et 12% de patrimoine immobilier en plus hors résidence principale. Nous n’assistons pas à un simple écho d’inégalités passées, mais bien à une persistance des inégalités structurelles. Certes différentes et réduites par rapport à un temps où l’asservissement de la femme était total, mais bien réel. Ces inégalités sont perçues comme injustes, et violentes en ce qu’elles imputent les possibilités d’action de l’ensemble du genre. Dans un monde où l’argent détermine l’ascension sociale, le confort de vie et la possibilité de sortir de situations dégradantes (violences familiales, professionnelles et personnelles), cette injustice possède de nombreuses conséquences. Elle est à la racine d’autres types de violences subies. Elle est donc intolérable.

Vers une Convention citoyenne à l’encontre des violences et des inégalités de genre ?

Les violences sont donc à la fois multiples et intersectionnelles : elles se cumulent et touchent d’autant plus les personnes les plus fragiles, socialement ou économiquement. C’est pourquoi elles nécessitent une réponse ambitieuse traitant de la problématique dans l’ensemble des facettes qu’elle recouvre : sexuelle, physique, verbale, sociale, économique, fiscale, législative, notamment, mais également médicale, psychique ou encore esthétique.

Pour cela, il serait pertinent, et il semble même impérieux, de réaliser un débat à l’échelle nationale permettant de donner la parole à l’ensemble des citoyennes impactées, et aux acteurs associatifs, publics et privés possédant des solutions concrètes pour faire face aux violences et aux inégalités sous-jacentes.

Il y a un an, le gouvernement français organisait un Grenelle des violences conjugales. Or, ces violences conjugales ne sont qu’un aspect de la problématique, et découle en partie des causes structurelles évoquées. Il serait ainsi souhaitable de proposer un débat de fond qui traiterait de manière la plus exhaustive possible des causes soulignées, afin d’élaborer des préconisations concrètes et globales ? Les mesures d’urgence pourraient être renforcées, comme par exemple une pérennisation de la ligne 3919 de soutien et de secours et une garantie de son efficacité via les moyens adéquats. Mais il s’agit également de mesures visant à traiter le problème à la racine : enseignement du consentement à l’école et formation obligatoire des enseignements, formation au sujet de la sexualité féminine et masculine, formation des policiers, campagne de sensibilisation grand public contre les idées-préconçues, prise en compte du corps féminin au sein d’un parcours médical renouvelé, pour n’en citer qu’une poignée. Enfin, recenser l’ensemble des dispositifs associatifs et privés de lutte contre les violences et les inégalités, et leur permettre de passer à échelle grâce à l’action publique, permettrait une réelle accélération de cette lutte.


Le gouvernement français a mis en place en avril 2019 une Convention Citoyenne pour le Climat, afin de répondre aux objectifs climatiques de réduction de nos émissions. La pérennisation de ce dispositif et sa mise à la disposition de causes complexes permettrait de proposer des politiques publiques et solutions concrètes et transversales, et de donner libre court à une parole renouvelée à ce sujet. Une Convention Citoyenne pour l’Égalité pourrait être un moyen de déterminer comment engager une transition égalitaire sur tous les plans précédemment cités, et bien d’autres.

Portrait d'Eva Morel, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR EVA MOREL


Directrice du Pôle Études et Opinions chez Parti Civil. Mais aussi, Collaboratrice Parlementaire et Co-Présidente de QuotaClimat. Prise de conscience de l’urgence climatique Transition agricole et alimentaire Politique européenne Egalité des genres et des chances

Portrait de Marine Reinhardt, co-fondatrice de Parti Civil.

PAR MARINE REINHARDT


Co-fondatrice de Parti Civil. Mais aussi, chargée de levée de fonds chez Rêv’Elles.
Egalité des sexes • Protection de la biodiversité • Transition écologique et inégales conséquences du réchauffement climatique

Notes et sources

1. « Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple. Année 2019 », ministère de l’Intérieur, Délégation aux victimes.
2. Enquête « Cadre de vie et sécurité » 2012-2019 – INSEE-ONDRP-SSMSI.
3. Institut national d’études démographiques (INED), Enquête Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes, 2016
4. Les femmes face aux violences sexuelles et au harcèlement dans la rue, étude réalisée par l’IFOP et la Fondation Jean Jaurès, 2018.
5. Les Français et les représentations sur le viol et les violences sexuelles, IPSOS, 21 juin 2019
6. Par application d’une doctrine appliquée par les juges, même si celle-ci n’était pas formellement inscrite dans la loi. Voir l’article de R. Richard Geddes et Sharon Tennyson, datant de 2013, publié dans la revue “Research in Economic History” et intitulé “Passage of the married women’s property acts and earnings acts in the United States: 1850 to 1920”.
7. Concept largement documenté par Jan Pahl en 1989 en proposant une typologie des différents modes de gestion domestique de l’argent.
8. Voir le livre de Viviana Zelizer intitulé “La signification sociale de l’argent” et publié en 1989 ; ou encore la jurisprudence américaine Avery v. Doane, 1 Biss. 64 (1854).
9. Voir à ce sujet la thèse de Sybille Gollac, intitulée “La pierre de discorde : stratégie immobilières familiales dans la France contemporaine” et publiée en 2011, dont le résumé est accessible ici : https://sciences-sociales.ens.psl.eu/IMG/pdf/Descriptif_these_SGollac.pdf
Les travaux de Céline Bessière en la matière sont également révélateurs des inégalités en matière de transmission patrimoniale.

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À travers le monde, la pandémie de la COVID-19 a des conséquences sociales et économiques dévastatrices. Face à cette crise sanitaire sans précédent, la population entière est touchée. Mais la subissons-nous toutes et tous de la même manière ?

NON, notamment pas sur le plan professionnel.

La crise engendrée par la COVID-19 aggrave les inégalités professionnelles déjà existantes dans tous les secteurs, entraînant une régression en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

Les femmes à travers le monde ont 1,8 fois plus de risques que les hommes de perdre leur emploi en raison de la crise de la COVID-19.

Pourquoi les femmes sont-elles plus touchées par la crise de la COVID-19 ?

La pandémie de COVID-19 a déclenché la récession économique la plus grave depuis près d’un siècle. Ainsi, au deuxième trimestre 2020, le PIB français a baissé de 13,8%.1 L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avait prédit qu’en cas de deuxième vague provoquant un reconfinement dans lequel nous nous trouvons actuellement, le taux de chômage doublerait par rapport à l’avant pandémie. 

Les femmes à travers le monde ont 1,8 fois plus de risques que les hommes de perdre leur emploi en raison de la crise de la COVID-19.2 En France, parmi celles employées au 1er mars 2020, deux sur trois seulement continuaient deux mois plus tard de travailler, contre trois hommes sur quatre.3 Mais pourquoi cette inégalité ?

C’est en partie parce que les secteurs les plus touchés par la crise sanitaire sont composés majoritairement de femmes. Il s’agit notamment de l’hôtellerie, la restauration, les commerces, l’événementiel, et le tourisme. L’impact de la crise actuelle diffère largement de celle qu’a eu la crise économique de 2008. Définie comme une « man-cession », la crise de 2008 a surtout impacté les emplois masculins, notamment dans les secteurs du bâtiment et de l’industrie.4 Cette fois-ci, la crise sanitaire touche les secteurs par des mesures de distanciation physique. 

Et s’il est encore trop tôt pour connaître l’ampleur de l’impact sur les emplois féminins, il est clair que les femmes sont plus vulnérables que les hommes face aux chocs économiques. 

En plus d’être surreprésentées dans les secteurs impactés par les mesures de distanciation, les femmes – surtout les plus jeunes – sont plus nombreuses à occuper des emplois temporaires, à temps partiel, et précaires. Ces emplois sont souvent accompagnés de salaires plus bas, d’accès plus difficile à une protection sociale et d’une protection juridique plus faible. En Europe, 26,5 % des femmes salariées occupent un emploi précaire, contre 15,1 % des hommes.5 En juillet dernier, les femmes de 18 à 34 ans étaient plus nombreuses à avoir perdu leur emploi (11 %, contre 9 % des hommes du même âge).6 Ceci démontre clairement que les écarts préexistants entre les sexes se sont aggravés avec la pandémie, ce qui fait des jeunes femmes l’un des groupes les plus affectés par la première vague de la COVID-19.

Les emplois féminins sont également trop souvent sous-valorisés. En France, 91% des aide-soignant.e.s et 87% des infirmier.e.s sont des femmes.7 Cette surreprésentation est également visible dans les métiers d’aides à domicile, du commerce et de l’enseignement. Essentiels en pleine crise de la COVID-19, ces métiers ne sont pourtant pas les mieux rémunérés. Dans le secteur de la santé par exemple, le salaire des infirmières est inférieur de 9% au salaire moyen français.8 

Par ailleurs, le ralentissement de l’économie, les pertes d’emploi et l’absence de protection sociale devraient augmenter le taux de pauvreté dans le monde. En France, la crise sanitaire a poussé 1 million de personnes dans la pauvreté.9 Mais encore une fois, les femmes et les hommes ne sont pas égaux face à ce risque. L’organisation ONU Femmes explique qu’à travers le monde, il y aura 47 millions de femmes et de filles supplémentaires en dessous du seuil de pauvreté suite à la crise. Elle prédit aussi que d’ici 2021, pour 100 hommes âgés de 25 à 34 ans vivant dans l’extrême pauvreté (avec moins de 1,90 dollar par jour), on comptera 118 femmes. L’écart devrait se creuser davantage à 121 femmes pour 100 hommes avant 2030. 

Le confinement accentue les inégalités dans les foyers

Aux inégalités sur le marché du travail viennent s’ajouter des inégalités dans la sphère domestique. Avec la généralisation du télétravail et la fermeture des établissements scolaires et des crèches, la pandémie a augmenté de manière significative le temps consacré au travail non rémunéré ou dit « invisible ».10

« On connaissait, nous les femmes et en particulier les mères, la double journée de travail. C’est-à-dire cumuler le travail d’un côté […] et le travail domestique et parental. Et maintenant, on doit cumuler avec l’école à la maison. »

Céline Piques, porte-parole de l’association Osez le féminisme

La plupart de ce travail est effectué par les femmes. Pendant le confinement, 58% des françaises en couple estimaient consacrer plus de temps aux tâches ménagères et éducatives.11 En moyenne en Europe, les femmes ont passé 35 heures par semaine à s’occuper des enfants (contre 25 heures pour les hommes) et 18 heures par semaine pour les travaux ménagers (contre 12 heures pour les hommes).12 Le confinement a donc apporté une charge de travail supplémentaire plus souvent complétée par les femmes, ce qui a pour conséquence de renforcer les rôles de genre traditionnels. Céline Piques, porte-parole d’Osez le Féminisme, parle d’une « triple journée », divisée entre les tâches ménagères, le travail, et l’école à la maison.13 La sociologue Jeejung Chung évoque même l’idée d’un « retour à la femme au foyer des années 1950 ».14

Cette augmentation de travail « invisible » a conduit à une détérioration de la santé mentale des femmes, qui ont souffert davantage de leurs conditions de télétravail pendant le confinement. Elles ont eu plus de difficultés que les hommes à concilier vie professionnelle et vie privée, surtout si elles ont de jeunes enfants.15 Selon une étude d’Empreinte Humaine en France, 22% d’entre elles ont présenté une détresse psychologique élevée (contre 14 % des hommes).16 Elles ont également ressenti plus de fatigue et de difficultés de concentration. A l’échelle européenne, 36 % des mères d’enfants de moins de 11 ans s’estimaient trop épuisées pour réaliser les tâches domestiques après le travail (contre 28 % des hommes), et 29 % éprouvaient des difficultés à se concentrer sur le travail à cause de la famille (11 %).17

La période de confinement a également vu un accroissement du nombre de violences conjugales et intrafamiliales faites aux femmes. Une étude du Secrétariat d’Etat chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes montre une nette hausse des tchats et appels reçus par les plateformes de signalement au cours du confinement. Françoise Brié, Directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes qui gère le numéro d’appel 3919, affirme que parmi les appels reçus pendant le confinement « 5 200 ont concerné des violences conjugales, c’est deux fois plus que l’an dernier ».18

Télétravail : Un impact disproportionné sur la carrière des femmes

Le confinement a par conséquent augmenté et amplifié les inégalités de conditions de travail. Le manque de disponibilité et la fatigue liés aux tâches domestiques a réduit la capacité des femmes à rester productives, efficaces et disponibles dans leurs vies professionnelles. Elles ont notamment eu moins de temps à consacrer aux échanges informels et au networking.19 En plus de cela, elles disposaient moins souvent d’une pièce dédiée au travail, et devaient souvent partager la pièce avec leurs enfants.20 En France, seulement un quart des femmes travaillaient dans un bureau où elles pouvaient s’isoler contre 41% des hommes. L’écart est le plus important parmi les cadres : 29% des femmes cadres contre 47% des hommes cadres.21

Un exemple de l’effet néfaste de la pandémie sur la carrière professionnelle des femmes est visible dans le secteur de la recherche. Pendant le confinement, le nombre d’articles soumis par des femmes a chuté tandis que les hommes ont en moyenne publié plus d’articles. Le constat s’observe dans de nombreuses disciplines scientifiques, telles que la médecine et la biologie, mais aussi en économie, sciences politiques, et les sciences sociales.22 Cela s’explique par une augmentation des tâches domestiques et le besoin de s’occuper des enfants. En moyenne, les femmes scientifiques, qui sont aussi mères d’enfants de moins de cinq ans, ont consacré 17% moins de temps à la recherche que les hommes.23 Étant donné que la capacité de pouvoir publier des articles dans des revues reconnues est cruciale pour l’avancement de leurs carrières et est le facteur décisif pour la promotion et la reconnaissance par leurs pairs, l’impact risque d’être important sur la progression de carrière des femmes.

Le confinement lié à la COVID-10 est principalement assumé par les mère des famille : 21% des femmes ont renoncé à travailler pour garder leurs enfants, 12% des hommes.

La crise a également poussé de nombreuses femmes à mettre leurs carrières entre parenthèses. D’après l’Insee, parmi les personnes en emploi, les mères ont deux fois plus souvent que les pères renoncé à travailler pour garder leurs enfants.24 La raison est souvent liée à la charge de travail domestique, et le besoin de mieux concilier vie privée et vie professionnelle. De plus, la carrière de l’homme est jugée prioritaire car il est la plupart du temps mieux rémunéré. 


Des mesures intégrant la dimension du genre pour réduire ces inégalités

Les femmes sont donc les plus grandes perdantes de la crise générée par la COVID-19. Selon un constat des Nations Unies, la pandémie constitue une menace importante pour les gains acquis en matière d’égalité des sexes au cours des dernières décennies. Les politiques gouvernementales en réponse à la crise seront décisives pour assurer que la situation économique et professionnelle des femmes ne s’aggrave pas dans les années à venir. En France, le plan de relance du gouvernement ne mentionne pas une seule fois les femmes et privilégie des secteurs plus masculins tel que l’aéronautique.25 Le plan de relance européen lui prévoit « des salaires minimums équitables et des mesures contraignantes de transparence des salaires » qui « aideront les travailleurs vulnérables, en particulier les femmes ». Néanmoins, le groupe des Verts du Parlement européen, à travers le rapport « Next Generation EU Leaves Women Behind », constate que les propositions de la Commission restent trop vagues et insuffisantes.26

Par conséquent, il est impératif de promouvoir une relance plus inclusive et équitable. Rebecca Amsellem, économiste, appelle sur la newsletter Les Glorieuses à un plan de relance économique féministe à travers cinq propositions dont la valorisation des « salaires des métiers où les femmes sont les plus nombreuses comme les métiers du soin » et à « intégrer les femmes aux décisions liées au plan de relance ».27 De son côté, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes veut promouvoir l’éga-conditionnalité, afin que les aides versées par l’État aux entreprises favorisent aussi l’égalité professionnelle entre les genres. 

Il est donc impérieux de mettre les femmes au cœur du plan de relance, que ce soit à l’échelle nationale ou européenne, afin de faire que les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes ne se creusent davantage.

Portrait de Clara Laviale, responsable Financement et Levée de fonds chez Parti Civil.

PAR CLARA LAVIALE


Pôle Financement chez Parti Civil. Mais aussi, Partenariats, Marketing et Levée de fonds à l’OCDE. Egalité des sexes • Egalité des chances

Notes et sources

1. Selon une étude de l’Insee, accessible ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4638729
2. Selon l’article de McKinsey “COVID-19 and gender equality: Countering the regressive effects”, accessible ici : https://www.mckinsey.com/featured-insights/future-of-work/covid-19-and-gender-equality-countering-the-regressive-effects
3. Voir l’article de Anne Lambert, Joanie Cayouette-Remblière, Elie Guéraut, Guillaume Le Roux, Catherine Bonvalet, Violaine Girard et Laetitia Langlois, intitulé “Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de covid-19 a changé pour les Français” sur le site de l’INED, accessible ici : https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/30315/579.population.societes.juillet.2020.covid.travail.france.fr.pdf
4. Voir l’article dans Le Monde, accessible ici : https://www.lemonde.fr/emploi/article/2020/11/04/comment-la-crise-due-au-covid-19-risque-de-creuser-les-inegalites-de-genre_6058439_1698637.html?fbclid=IwAR2nHYcdu99QNM_UkZrEw2Nbsgfxg5xY-6c4v_VqPDg3-klcqFzQECUSxOk
5. Selon l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, accessible ici : https://eige.europa.eu/covid-19-and-gender-equality/economic-hardship-and-gender
6. Selon le rapport Eurofound intitulé “Living, Working and COVID-19”, accessible ici : https://www.eurofound.europa.eu/sites/default/files/ef_publication/field_ef_document/ef20059en.pdf
7. Voir l’article d’Adeline Farge, intitulé “Les femmes, perdantes de la crise” sur le site Info Social RH, accessible ici : https://www.info-socialrh.fr/bibliotheque-numerique/liaisons-sociales-magazine/214/decodages/les-femmes-perdantes-de-la-crise-602070.php?fbclid=IwAR2WTCdPzgnAed2TkOIHS-V-
8. Voir l’article dans Le Monde, accessible ici : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/18/covid-19-il-faut-revaloriser-les-emplois-et-carrieres-a-predominance-feminine_6036994_3232.html
9. Voir l’article dans Le Monde, accessible ici : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/06/un-million-de-nouveaux-pauvres-fin-2020-en-raison-de-la-crise-due-au-covid-19_6054872_3224.html
10. Selon l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, le travail non-rémunéré est définit comme un travail qui produit des biens et des services mais qui ne donne lieu à aucune rémunération directe ou autre forme de paiement comme les travaux ménagers et le travail de soins.
11. Selon le sondage Harris Interactive, accessible ici : https://harris-interactive.fr/opinion_polls/limpact-du-confinement-sur-les-inegalites-femmes-hommes/
12. Selon le rapport Eurofound intitulé “Living, Working and COVID-19”
13. Voir l’article sur Franceinfo, accessible ici : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/confinement-les-femmes-connaissaient-la-double-journee-de-travail-et-maintenant-on-doit-cumuler-avec-l-ecole-a-la-maison-avertit-l-association-osez-le-feminisme_3948619.html
14. Voir l’article dans WAF Project, accessible ici : https://wafproject.org/2020/07/13/return-of-the-1950s-housewife-how-to-stop-coronavirus-lockdown-reinforcing-sexist-gender-roles/
15. Selon le rapport Eurofound intitulé “Living, Working and COVID-19”
16. Voir l’article d’Adeline Farge, intitulé “Les femmes, perdantes de la crise” sur le site Info Social RH
17. Voir l’article dans Le Monde, accessible ici : https://www.lemonde.fr/emploi/article/2020/11/04/comment-la-crise-due-au-covid-19-risque-de-creuser-les-inegalites-de-genre_6058439_1698637.html
18. Voir l’article sur Franceinfo; accessible ici : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/enquete-franceinfo-quelles-reponses-ont-ete-donnees-aux-signalements-des-violences-faites-aux-femmes-pendant-le-confinement_3964513.html
19. Voir l’article d’Adeline Farge, intitulé “Les femmes, perdantes de la crise” sur le site Info Social RH
20. Voir l’article dans The Conversation, accessible ici : https://theconversation.com/emploi-teletravail-et-conditions-de-travail-les-femmes-ont-perdu-a-tous-les-niveaux-pendant-le-covid-19-141230
21. Voir l’article de Anne Lambert, Joanie Cayouette-Remblière, Elie Guéraut, Guillaume Le Roux, Catherine Bonvalet, Violaine Girard et Laetitia Langlois, intitulé “Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de covid-19 a changé pour les Français” sur le site de l’INED
22. Voir l’article dans The Conversation, accessible ici : https://theconversation.com/covid-19-pourquoi-cette-crise-peut-creuser-les-inegalites-entre-chercheurs-et-chercheuses-143334
23. Voir l’article de Rachel Layne, intitulé “COVID’s Surprising Toll on Careers of Women Scientists” sur le site de Harvard Business School, accessible ici : https://hbswk.hbs.edu/item/covid-s-surprising-toll-on-careers-of-women-scientists
24. Selon une étude de l’Insee, accessible ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4513259
25. Voir la newsletter Les Glorieuses du 8 novembre 2020, accessible ici : https://lesglorieuses.fr/le-secret-islandais
26. Selon le rapport intitulé “Next Generation EU Leaves Women Behind“, accessible ici : https://alexandrageese.eu/wp-content/uploads/2020/07/Gender-Impact-Assessment-NextGenerationEU_Klatzer_Rinaldi_2020.pdf
27. Voir la newsletter Les Glorieuses du 8 novembre 2020

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Parti Pris, c’est un espace libre. Chaque article est une prise de position de la personne qui le rédige, qu’elle soit membre de Parti Civil ou invitée.

7,80€ : c’est le prix d’un menu Big Mac à Paris. Le doughnut nature coûte, quant à lui, 1,75€. Les prix sont plus élevés lorsque l’on ajoute un dessert, ou un burger plus élaboré. Bien que ces prix ne choquent pas le consommateur moyen, ils restent élevés en comparaison d’un repas acheté en boulangerie, ou encore en supermarché. Encore plus lorsque l’on compare ces prix au budget alimentaire hebdomadaire des personnes en situation de précarité alimentaire, situé à 3,7€/jour/personne1. Et d’autant plus si l’on observe la richesse nutritionnelle des aliments, et leur impact durable sur le façonnement d’habitudes alimentaires peu saines, et motrices de l’épidémie d’obésité2.  Pourtant, l’entreprise cible bel et bien les individus aux catégories de revenus défavorisées. Produits d’appel alléchants (citons le hamburger à 1,75€, ou encore le Happy Meal à 4€), densification de la couverture géographique des magasins dans les quartiers défavorisés3 et les agglomérations de petites tailles4, les stratégies sont nombreuses. 

Ainsi, alors que les individus aux revenus moins élevés, et ceux habitant en zones peu denses, mangent en moyenne davantage à domicile5, McDonald’s figure parmi les exceptions. McDonald’s séduit, et ce de plus en plus, notamment en France6. Si la pandémie mondiale d’obésité n’était pas si préoccupante, nous n’en ferions pas un article. Mais près de 1 adulte sur 5 est obèse en France, et la courbe de croissance est exponentielle. Alors que le nombre de victimes augmente, le coût de l’obésité s’élève à 60 millions d’euros par jour en France7, un coût porté par la sécurité sociale et, ainsi, par les Français. Enfin, l’obésité est sur-représentée chez les populations défavorisées8, faisant de celle-ci un accélérateur d’inégalités sociales. Populations précisément ciblées par certaines entreprises de l’industrie agro-alimentaire, dont McDonald’s est ici utilisé comme représentant.

Quel est le coût réel du surpoids et de l'obésité ? 1 adulte sur 5 est obèse en France. Le coût de l'obésité s'élève à 60 millions d'euros par jour en France.

Comment expliquer ces phénomènes alors que les messages de santé publique s’intensifient ? Les individus en situation de précarité sont-ils responsables de l’évolution de leurs habitudes alimentaires ? Le marketing et la vente des entreprises agro-alimentaires sont-ils suffisamment réglementés ?


Un marketing et un lobbying bien rôdés

La capacité de McDonald’s à s’adapter aux particularités culturelles de son audience est bien connue aujourd’hui, et érigée en exemple dans les écoles de commerce9. Alors que la branche américaine de la multinationale propose des portions de grande taille aux États-Unis, sa stratégie française diverge en proposant des repas illustrant les fers de lance de la gastronomie et de l’agriculture françaises : fromages, boeufs français, etc. Le logo, passé de la couleur rouge au vert, symbolise cette stratégie différenciée. Le repas “à la française” est une fierté nationale, étant même classé au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Les Français sont attachés à la qualité de leur alimentation, aussi bien en termes sanitaires que gustatifs. Or les produits vendus par McDonald’s, diversifiés en France, procurent du plaisir, et attirent. Plus de la moitié des Français disent éprouver “beaucoup de plaisir” grâce à la malbouffe (produits ultra-transformés, riches en gras, sel, sucre) ; un plaisir “coupable”, mais bien réel.

Face à cet engouement, l’industrie agro-alimentaire intensifie la publicité, n’hésite pas à l’orienter vers les publics vulnérables commes les enfants, et promeut la responsabilité des consommateurs comme pilier de la lutte contre l’obésité. L’introduction de choix de menus plus sains (salades, fruits) incarne la volonté de responsabilisation des individus. Celle-ci fait référence à la liberté de choix du consommateur, à son devoir d’information quant au caractère néfaste d’une alimentation trop riche en sel, gras, sucre et produits ultra-transformés, à son devoir de modération et, enfin, à celui d’exercer une activité physique suffisante à l’élimination du surplus calorique ingéré. 

Cette argumentation est puissante, elle est au coeur du lobbying ayant notamment permis à l’industrie agro-alimentaire de résister aux réglementations apposées sur la publicité et le marketing alimentaire, en transformant notamment les projets de loi successifs en chartes d’engagement volontaire. Elle est néanmoins mensongère : de nombreuses études montrent que la malbouffe est addictive, car conçue pour l’être10 ; le célèbre documentaire Supersize me en donne un exemple. Et, si la lutte contre l’obésité était réellement endossée par l’industrie agro-alimentaire, peut-être les produits proposés seraient-ils conformes aux seuils nutritionnels recommandés11

Hélas, il semblerait que certains grands noms de l’industrie agro-alimentaire, dont l’Association Nationale des Industries Alimentaires porte la parole, privilégient la lutte contre l’indiscipline individuelle à une remise en question des pratiques de production et de commercialisation de leurs produits.

La fonction “plaisir” de l’alimentation

Au-delà de ce devoir individuel d’auto-censure préconisé par certains, il serait réducteur de penser à l’alimentation des pauvres comme une contrainte budgétaire, ou un risque sanitaire. L’alimentation possède de nombreuses vertus, et notamment un rôle social central dans notre société12. Manger à table est un acte de socialisation primaire, auquel de nombreuses familles accordent de l’importance. C’est, pour beaucoup, le seul moment de la journée où l’on se retrouve. C’est l’occasion de dissiper les tensions quotidiennes, d’oublier les soucis de chacun. Les Français sont d’ailleurs ceux qui cultivent le plus ce plaisir, détenant le record du temps journalier passé à table13. On comprend alors la réticence de beaucoup à déclencher conflits et débats autour du choix du menu. Par ailleurs, quand il est financièrement compliqué pour une famille de combler ses membres, l’achat alimentaire devient un plaisir facile en comparaison d’achats vestimentaires, de sorties ou de voyages. La malbouffe procure un plaisir immédiat, et bon marché. Enfin, lorsque l’on se débat quotidiennement avec des difficultés financières, la quête de plaisirs faciles constitue un exutoire d’autant plus bienvenu que les difficultés sont grandes. En d’autres termes, quand on n’a plus grand chose, les petits plaisirs du quotidien sont précieux. Comme un McDo. Blâmer les individus pour une faiblesse bien compréhensible devient alors non seulement hypocrite (rappelons ici la responsabilité que possède l’industrie agro-alimentaire dans la production d’aliments néfastes), mais aussi indigne.

L’échec des injonctions sanitaires

Pour lutter contre les conséquences sanitaires d’une alimentation telle qu’en propose McDonald’s, des politiques publiques sanitaires sont aujourd’hui développées. En matière d’alimentation, le ministère de la Santé investit depuis de nombreuses années au sein du Programme National Nutrition Santé (PNNS), aux recommandations bien connues : “5 fruits et légumes par jour”, “Mangez mieux bougez plus”. Outre le fait qu’ils ciblent ouvertement l’individu, et que les seuils en sel, gras et sucre jugés néfastes restent tolérés dans la fabrication des produits alimentaires, cette politique publique adopte une rhétorique fondée sur l’injonction. En martelant informations factuelles et conseils nutritionnels, on espère convaincre rationnellement les individus de modifier leurs habitudes alimentaires. Or, d’une part, et nous l’avons vu, les mécanismes à l’oeuvre dépassent les individus, et d’autant plus quand ils ont peu de moyens. D’autre part, les injonctions issues d’une autorité morale supérieure sont souvent accueillies avec rejet. Ce rejet s’explique tout d’abord par l’absence de compréhension des mécaniques de construction dont ces consignes sont issues. Seul un quart des Français ont d’ailleurs confiance en les autorités sanitaires françaises. Elles sont perçues comme opaques, centralisées et technocratiques, et ne servant pas les intérêts des individus, mais des élites.

Pourquoi rejette-t-on les recommandations ? Par manque de compréhension et par réflexe à l'encontre des restrictions.

Le rejet est également un mécanisme psychologique fréquent, les individus réagissant souvent “à l’encontre des restrictions ou des pressions qui leur sont faites”14. Si ce rejet est prévisible, alors il n’est pas étonnant que le bilan des politiques publiques sanitaires françaises soit si peu satisfaisant après près de 20 ans de diffusion15.

Du constat de l’échec à l’essor de nouvelles politiques publiques sanitaires

La crise sanitaire actuelle constitue une fenêtre d’opportunité pour le renouvellement des politiques publiques. La santé est au coeur des préoccupations mondiales, et les budgets nationaux dédiés s’accroissent. L’obésité constitue un facteur de comorbidité de la Covid-19 : un cas positif à la Covid-19 a plus de chance d’en mourir en étant obèse. L’inefficacité de la lutte contre le surpoids et l’obésité, et en particulier chez les publics précaires, possède donc aujourd’hui des conséquences d’autant plus tangibles. Ne convient-il pas, dès lors, de se distancier des vieilles recettes (autorégulation de l’industrie, injonctions responsabilisantes) pour penser des dispositifs participatifs, compréhensibles de tous, légitimes, et ainsi efficaces ?

Le nutriscore est un système incompris et peu utilisé. Seulement 20% des Français l'utilisent (tout comme les informations nutritionnelles présentes sur les emballages des produits alimentaires).

À quoi bon mettre en place un NutriScore quand la signification des lettres et des couleurs qu’il utilise reste obscure, et que moins de 1 individu sur 5 le consulte16 ? Ou encore investir dans l’éducation à l’alimentation et au goût quand les jeunes restent exposés en moyenne 10 minutes par jour aux publicités alimentaires, à l’efficacité alarmante17 ?


Ne serait-il pas plus cohérent de mettre en place une politique d’aide alimentaire aux plus précaires, qui soit compatible avec leur libre exercice du choix de leur alimentation, et compatible avec les notions de plaisir et de dignité ? L’offre des associations d’aide alimentaire, certes honorable, ne peut en tout cas pleinement y satisfaire. Ne serait-il pas plus cohérent de construire des outils d’information et de formation sanitaires en impliquant les citoyens dans toute leur diversité socio-économique, géographique, générationnelle et culturelle ? Cela ne permettrait-il pas d’aboutir à des dispositifs davantage compris et acceptés ? Enfin, ne serait-il pas plus cohérent de développer une politique de régulation ambitieuse de l’industrie agro-alimentaire, dont les engagements volontaires restent insignifiants18 ? Une taxe sur la malbouffe, sur le marketing alimentaire, voire une interdiction de la publicité alimentaire lorsqu’elle cible directement les plus jeunes, à l’instar des restrictions relatives au tabac et à l’alcool, ne seraient-elles pas de mise (comme d’ailleurs à l’étude récemment par certains parlementaires) ? Car personne ne devrait pouvoir profiter économiquement de la débâcle sanitaire.

Portrait d'Eva Morel, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR EVA MOREL


Directrice du Pôle Études et Opinions chez Parti Civil. Mais aussi, Collaboratrice Parlementaire et Co-Présidente de QuotaClimat. Prise de conscience de l’urgence climatique Transition agricole et alimentaire Politique européenne Egalité des genres et des chances

Notes et sources

1. 111€/personne/mois selon l’étude.
2. Voir à ce propos le livre de Joanne Finkelstein paru en 2014 et intitulé “Fashioning appetite : restaurants and the making of modern identity”, décrivant l’impact des fast-foods sur la modification de l’appétit et des habitudes alimentaires.
3. Voir l’étude d’Angelo et al., publiée en 2016 et intitulée “Sociodemographic Disparities in Proximity of Schools to Tobacco Outlets and Fast-Food Restaurants”, démontrant qu’aux États-Unis, 50% des écoles défavorisées sont à proximité de fast-foods, en comparaison de 21% d’écoles favorisées.
Voir également l’étude de Wilcox et al, publiée en 2012 et intitulée “Frequency of consumption at fast-food restaurants is associated with dietary intake in overweight and obese women recruited from financially disadvantaged neighborhoods”, démontrant que cette concentration accrue de fast-foods accroît de manière significative les risques d’obésité chez les populations concernées.
4. Voir article de l’Union : https://www.lunion.fr/id131124/article/2020-02-12/2019-aura-ete-une-savoureuse-annee-pour-mcdonalds-en-france
5. Voir l’étude INCA3 de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire, accessible (page 7) : https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2014SA0234Ra.pdf
6. Voir article des Échos : https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/comment-mcdonalds-croque-la-france-a-pleines-dents-1171207
7. Selon le rapport de la Cour des comptes datant de 2019, le coût économique de l’obésité s’élève à 21,9 milliards d’euros : https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-12/20191211-rapport-prevention-prise-en-charge-obesite.pdf
8. Selon Santé Publique France : https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2018/peut-on-reduire-les-inegalites-sociales-de-sante-en-creant-des-environnements-favorables-a-une-alimentation-saine-le-dossier-de-la-sante-en-actio
9. Voir les nombreux articles pédagogiques rédigés sur le sujet à destination des étudiants : https://www.etudes-et-analyses.com/blog/decryptage-economique/analyse-swot-exemple-mcdonald-17-08-2017.htmlhttps://www.marketing-etudiant.fr/marques/mcdonalds-marketing.htmlhttp://www.marketing-professionnel.fr/parole-expert/marque-puissante-creation-valeur-mc-donald-201905.html
10. Voir le livre de Robert Lustig publié en 2008 et intitulé “Fat chance, the hidden truth about sugar, obesity and disease”, où est démontrée l’orchestration du caractère addictif du sucre, ingrédient omniprésent dans les produits transformés et la malbouffe.
11. Par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au niveau international, et le Programme National Nutrition Santé (PNNS) au niveau français.
12. Voir l’article de Anne Dupuy et Jean-Pierre Poulain, paru en 2008 et intitulé “Le plaisir dans la socialisation alimentaire”, accessible : https://www.cairn.info/revue-enfance1-2008-3-page-261.htm
13. https://www.oecd.org/gender/balancing-paid-work-unpaid-work-and-leisure.htm#:~:text=French%20men%20and%20women%20spend,and%20drinkers%20in%20the%20OECD.Selon l’étude menée par l’OCDE, les Français passent en moyenne 2h11 à table par jour, soit plus du double du temps passé par les américains (1h01) : https://www.oecd.org/gender/balancing-paid-work-unpaid-work-and-leisure.htm#:~:text=French%20men%20and%20women%20spend,and%20drinkers%20in%20the%20OECD.
14. Théorie de la “réactance” formulée par Brehm en 1981, dans son livre intitulé “Psychological reactance: A theory of freedom and control.”
15. Voir article de J.-M. Lecerf, publié en 2018 et intitulé “Bilan du Programme National Nutrition Santé (PNNS) 3, et perspectives pour le suivant”, accessible : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1957255718300087
16. 16,8% des Européens consultent régulièrement les informations nutritionnelles présentes sur les emballages, selon l’article de Grunert et al., publié en 2010 et intitulé “Use and understanding of nutrition information on food labels in six European countries”.
17. Selon l’enquête menée par Santé Publique France, l’exposition des jeunes aux publicités alimentaires a augmenté entre 2012 et 2018 pour passer à une moyenne de 10 minutes par jour. Celui conduit en moyenne à une hausse de 56% du taux de consommation chez les enfants exposés à la publicité pour des aliments peu sains. Voir l’étude : https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2020/comment-limiter-le-marketing-alimentaire-en-particulier-pour-les-produits-gras-sucres-sales-en-direction-des-enfants-et-des-adolescents
18. Selon la même enquête, “les programmes jeunesse qui font actuellement l’objet d’interdiction de publicité sur les chaînes publiques et de mesure d’autorégulation de la part des industriels de l’agroalimentaire ne représentent que 0,1% des programmes diffusés et moins de 0,5% des programmes vus par les enfants”.

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Est-il équitable de demander à tous les citoyens, sans distinction socio-économiques ou de catégories de revenus, de consommer “responsable” ? Les stigmatisations formulées à l’égard des plus modestes, souvent accusés de dégrader l’environnement, méritent contradiction. Ces accusations remontent loin : dès 1972, l’accélération de la croissance démographique mondiale et ses conséquences sur la surexploitation des ressources suscitent une inquiétude, largement dirigée envers les pays du Sud. La solution préconisée est notamment, dans les années 1970, le contrôle des naissances, exercé sur les plus pauvres vivant cette transition démographique. 

Encore aujourd’hui, ces accusations persistent. Certains1 l’expliquent par le fait que l’impact des pauvres sur leur environnement, concentré géographiquement, serait plus visible que celui des riches, dispersé sur l’ensemble de la planète. D’autres2 se distancent d’explications liés aux revenus, pour plutôt cibler les mauvais systèmes de gouvernance et de gestion des ressources comme responsables de dégradations environnementales.

Aujourd’hui en France, les injonctions à la “consommation responsable” édictées à l’encontre des plus modestes semblent inappropriées.

La consommation responsable regroupe la suppression de l'extrême pauvreté, la réduction des émissions de CO2, la protection de la biodiversité et la diminution radicale des inégalités.

Tout d’abord, car elles manquent de recul sur leur réel engagement socio-environnemental, ne divergeant pas drastiquement du reste de la population. Ensuite, car leurs revenus conditionnent partiellement leur mode de vie, diminuant leur impact socio-environnemental comme conséquence collatérale. Enfin, car accroître les efforts socio-environnementaux menés nécessite un réel accompagnement, en partie financier, du ressort d’acteurs à la fois publics et privés.

Cet article traite de la consommation responsable à l’échelle individuelle, excluant les efforts de consommation responsable (devant être) menés par l’État (à travers la commande publique) et les acteurs économiques (en termes d’approvisionnement et de fonctionnement). N’ayant pas vocation à cibler les individus comme principaux acteurs du changement, les auteurs reconnaissent la complémentarité entre efforts individuels et action ambitieuse de la part de l’État et des acteurs économiques. D’autres articles du think tank suivront, afin de traiter exclusivement de la question du partage de la responsabilité.


Une consommation réellement responsable possède des objectifs clairs

Les injonctions à la consommation responsable sont aujourd’hui omniprésentes : aussi bien médias, politiciens, entreprises que citoyens s’érigent en défenseurs d’une ligne de conduite consumériste exemplaire. La “consommation responsable” reste un concept flou, chacun l’appréhendant à sa manière. L’INSEE la définit comme devant “à la fois [être] moins polluante, moins prédatrice en termes de ressources et de milieux naturels, et limiter au maximum les risques pour l’environnement et les conditions de la vie sur terre”. Une trajectoire est tracée, celle d’une diminution de l’impact des activités humaines sur les écosystèmes, dont l’Homme fait partie. Aucun objectif clair car chiffré n’est cependant fixé. Le Groupement International des Experts du Climat (GIEC) évoque, au sein de son dernier rapport, le respect d’un budget carbone (quotas individuels et collectifs d’émissions de gaz à effet de serre) comme principale ligne directrice consumériste pour permettre un réchauffement climatique bien en deçà de 2°C. Alors que l’empreinte carbone moyenne des français était de 11tCO2/an (soit 11 allers-retours Paris-New York) en 2015, l’atteinte des objectifs fixés par le GIEC impliquerait une réduction à 2tCO2/an ; une réduction de plus de 80%. 

L'empreinte carbone d'un Français est de 11 tonnes de CO2 par an (soit 11 vols aller/retour de Paris à New-York). Pour limiter le réchauffement climatique à 2°C (Accord de Paris), il faudrait que son empreinte carbonne soit de 2 tonnes de CO2 par an (soit 2 vols aller/retour de Paris à New-York).

Au-delà du caractère émetteur de la consommation, son caractère environnementalement responsable fait également écho au respect de la biodiversité (20 objectifs concrets ont par exemple été fixés par la Convention sur la diversité biologique) et du bien-être animal. Enfin, une consommation est considérée responsable par l’ONU si elle respecte des critères sociaux, et s’ancre dans une lutte contre les inégalités et la pauvreté. L’objectif 12 de Développement Durable des Nations Unis y met l’accent.

Un devoir collectif certes, mais différencié

Une définition complète de la “consommation responsable” intègre donc des objectifs de réduction d’impacts à la fois sociaux et environnementaux, et chiffrés. 

À la lumière de cette exigence (dont la futilité ne pourrait être reprochée au vu de l’ampleur des défis que le concept combat), la notion apparaît technique et ainsi difficile d’accès. Au-delà de cette complexité, la consommation responsable est en partie, et nous l’avons vu, un outil de lutte contre la précarité socio-économique. 

Ainsi, demander aux plus modestes3 de consommer responsable consiste à demander aux bénéficiaires d’une politique d’aide sociale d’y contribuer également. Absurde ou cohérent, les opinions pourront ici diverger. Il semble toutefois qu’un concept reconnaissant la perte de dignité et d’autonomie que constitue l’état de pauvreté ne puisse formuler, envers les publics touchés, une attente égale à ceux n’en souffrant pas. Une pondération de l’injonction à la consommation responsable, en fonction de la situation socio-économique, semble alors de mise.

Prise de conscience généralisée et diversité des actions déployées

L’Institut National de la Consommation (INC)4 démontre que les catégories socio-professionnelles n’influent pas dans l’implication individuelle au sein de démarches éco-responsables. Le revenu influe légèrement : les plus modestes5 seraient légèrement moins impliqués que les plus riches6. Les différences d’implication existent, mais les écarts demeurent faibles.

Des différences significatives sont observées en termes d’actions menées : quand les CSP+7 évitent de prendre leur voiture, consomment davantage bio et local, les CSP-8 et les bas revenus empruntent davantage de matériel, achètent d’occasion et pratiquent les dons, achats et échanges d’objets. Les répertoires d’actions varient donc. Ces différences sont également à mettre en perspective au vu de l’influence du revenu sur le mode de vie : bien que les ménages les plus pauvres citent moins le recours à la mobilité douce comme démarche éco-responsable, le taux d’équipement de ces ménages est également moindre. 84% des ménages sont motorisés en France, or seuls 60% des ménages les plus modestes le sont. Bien que le moindre recours à la voiture ne résulte pas d’un choix de consommation responsable, il serait donc pratiqué de façon contrainte.

Toutes et tous inégaux

Les obstacles à la consommation responsable sont nombreux, et les études et sondages les documentant le sont également. Ainsi, près de la moitié des Français9 identifient le coût financier comme principal frein ; le confort personnel est également une variable explicative importante. La charge mentale induite par la multiplication des efforts quotidiens est par ailleurs invoquée de manière croissante, ainsi que le caractère genré de cette charge, car plus fréquemment endossée par les femmes. 

Face à ces nombreux obstacles, il convient de noter que la perception de la difficulté des nombreuses actions éco-responsables varie en fonction de l’âge, du genre, de la géographie, des catégories socio-professionnelles et du revenu. Malgré ces disparités de perception, la quasi-totalité de la population française10 affirme mettre en place des actions de consommation responsable en les adaptant aux contraintes lui étant propres.

En contraste avec une prise de conscience inédite, un impact insuffisant

Face à ces constats, nous concluons au caractère simpliste d’une stigmatisation de certaines catégories socio-économiques ou de revenus pour cause d’inaction socio-environnementale. Chaque individu (ou presque) semble aujourd’hui concerné et acteur, sans qu’une réelle différenciation entre modestes et riches ne prévale. 

L’insuffisance de ces actions reste pourtant un constat partagé, et alarmant. Bien que l’empreinte carbone moyenne des français ait légèrement diminué récemment11, cette diminution reste marginale en proportion du défi. L’érosion de la biodiversité se poursuit également, le risque d’extinction des espèces connues en France ayant à titre d’exemple augmenté en quelques années12. En parallèle, 2018 a marqué une hausse des inégalités de niveaux de vie en France, après une période de stabilisation. Ces quelques indicateurs ne sont qu’un échantillon permettant d’illustrer la continuité des problématiques, malgré une prise de conscience inédite.

Chaque individu semble concerné et acteur, sans qu’une réelle différenciation entre modestes et riches ne prévale. 

Il semble ainsi nécessaire d’accroître la consommation responsable afin de répondre (partiellement, comme expliqué au début de l’article) à ces défis. La diversité des répertoires d’actions dont se saisissent les différentes catégories socio-économiques et de revenus suggèrent des besoins différenciés en termes d’accompagnement et de sensibilisation. Ainsi, alors qu’un développement du recours à l’économie circulaire (seconde main, diminution des équipements et tailles d’équipements, emprunt et dons) est préconisé pour les catégories à hauts revenus, les catégories modestes peuvent être accompagnés selon d’autres modalités : accès à une alimentation bio et locale, moindre utilisation de la voiture, isolations thermiques des bâtiments, etc.

Des politiques d’aide encore frileuses

La consommation responsable est ciblée de manière croissante par l’action publique, et les initiatives privées et associatives. Elle est perçue comme un levier puissant, car étant source de création d’emploi, en plus de ces vertus socio-environnementales initiales. Ainsi, les projets de loi se multiplient, à l’ambition cependant variable. Qu’il suffise de mentionner la récente loi dite Egalim13, ayant seulement contraint les restaurants collectifs à inclure a minima un repas végétarien au choix par semaine.

Rendre accessible l’alimentation saine et durable pour tous

Prenons en exemple les trois axes de consommation responsable les moins adoptés par les catégories les plus modestes ; tout d’abord, l’alimentation durable. La structure des prix alimentaires ne favorise pas, aujourd’hui, une alimentation saine, encore moins “responsable”. Les calories en provenance de produits nutritionnellement sains sont en moyenne plus de 3 fois plus chères que celles en provenance de produits gras, salés ou sucrés.14 À titre indicatif, il a été prouvé que le budget minimal permettant de respecter a minima les recommandations nutritionnelles françaises (en omettant toute considération environnementale) est de 3,5€/jour/personne. Cela est à mettre en perspective des tarifications de l’agriculture biologique, près de 2 fois plus chère à produit équivalent15. Il faudrait donc disposer d’un budget de 7€/jour/personne pour se nourrir convenablement en produits bios. Or le budget alimentation des personnes en situation de précarité se situe à 3,7€/jour/personne16… Il apparaît évident qu’au delà d’un certain niveau de contrainte budgétaire, une aide est requise pour s’alimenter de façon nutritionnellement satisfaisante et environnementalement durable. Réévaluation de la structure des prix du bio à l’échelle de l’Europe, établissement d’un système de sécurité sociale de l’alimentation, promotion des circuits courts d’approvisionnement, distanciation des produits transformés, diffusion des cours de cuisine ? Les solutions restent à inventer, ou à appuyer dans les sphères compétentes. Toujours est-il qu’en l’état, l’alimentation durable reste aujourd’hui inaccessible aux plus modestes.

Pour que tout le monde puisse accéder à une alimentation saine et durable, une aide est requise. En effet, il faudrait un budget de 7€ par jour par personne minimum pour manger bio. Or, les personnes en situation de précarité ont un budget de 3,70€ par jour pour se nourrir.

Développer les solutions de mobilité tout en les décarbonant

En termes de mobilité, la précarité énergétique est identifiée aujourd’hui comme un enjeu fort en termes d’insertion sociale, d’intégration professionnelle et de qualité de vie. La loi de 201517 relative à la transition énergétique pour la croissance verte l’identifie comme une priorité nationale. En France, la moitié des personnes en situation d’insertion ont déjà refusé un emploi ou une formation pour des raisons de mobilité. Le quart ne dispose d’aucun moyen de transport. Dans ces conditions, demander une réduction du recours à la voiture nécessite un plan d’accompagnement robuste. C’est ce que propose la région Auvergne Rhône-Alpes, en développant un plan régional comprenant 22 actions innovantes en matière de mobilité à destination des publics précaires. Citons à titre d’exemples la vente à tarif solidaire de véhicules remis en état, l’aide à la réparation de véhicules, ou encore la mise à disposition de bons de transport pour l’achat de billets de train ou d’avion. Le bilan est positif, bien que le soutien apporté soit marginal, le nombre de personnes touchées par chaque action allant de 50 à près de 150.

Lutter contre la précarité énergétique dans le secteur du logement

Le soutien à l’isolation thermique fait également partie du plan de lutte national contre la précarité énergétique. Le ministère de la Cohésion des territoires couple les objectifs de réduction de la facture énergétique et de réduction de la consommation énergétique, en proposant de soutenir les 7 millions de logements concernés grâce à un plan d’investissement de près de 14 milliards d’euros. Les actions incluent des primes à la rénovation pour faire disparaître les “passoires énergétiques”, des formations de syndicats de propriété à la maîtrise de l’énergie, ou encore des prêts aux ménages modestes. Le bilan s’avère cependant peu concluant : moins de 20% de l’objectif de rénovations énergétiques fixé a été atteint, et un nombre colossal de dossiers de demande d’aide ont été abandonnés18. Enfin, et de façon problématique, l’aide est octroyée aux propriétaires : les plus modestes ne s’en trouvent pas directement bénéficiaires, alors que la précarité énergétique les atteint davantage. Une nouvelle démonstration du caractère insuffisant, peu socio-économiquement différencié, et donc perfectible, des mesures d’aide à la consommation durable. 

L’accessibilité de la consommation responsable, un gage de cohésion

Force est de constater que le soutien financier et l’accompagnement des plus modestes à la consommation responsable sont aujourd’hui identifiés au niveau national, des enveloppes budgétaires y étant consacrés de manière croissante. Quelques exemples d’actions publiques en la matière ont été identifiés, qui trouvent parfois leur pendant côté secteur privé. Un rappel reste toutefois primordial : ces mesures ne visent pas à stigmatiser certaines catégories sociales faute d’une consommation suffisamment responsable. Elles ne constituent pas le redressement de certaines carences fautives, qui seraient observés chez les plus modestes. Ces derniers font aujourd’hui “leur part” au même titre que le reste de la population, en faisant usage d’un répertoire d’action propre à leur situation socio-économique. Les mesures citées se positionnent plutôt comme appui à une transition dont le coût ne peut être également supporté. Par leur déploiement, ces mesures de soutien alliant transition écologique et justice sociale démontrent la quasi-impuissance de la seule action individuelle en matière de consommation responsable. Demander aux citoyens d’agir unilatéralement sans distinction de catégories de revenus n’est plus un discours viable ; une telle injonction se doit d’être complétée d’un soutien public et privé ambitieux, notamment envers les plus modestes.


Opérer une transition citoyenne synchrone et inclusive, semble aujourd’hui fondamental, car gage de cohésion sociale. Il convient de s’en assurer en garantissant l’accessibilité des injonctions à la consommation responsable.

Portrait d'Eva Morel, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR EVA MOREL


Directrice du Pôle Études et Opinions chez Parti Civil. Mais aussi, Collaboratrice Parlementaire et Co-Présidente de QuotaClimat. Prise de conscience de l’urgence climatique Transition agricole et alimentaire Politique européenne Egalité des genres et des chances

Notes et sources

1. Comme Jacques Weber, anthropologue et économiste français, spécialiste de la biodiversité et de la gestion des ressources naturelles : https://www.cairn.info/rendre-possible–9782759219742-page-207.htm#
2. Comme Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie pour son analyse de la gouvernance économique et des biens communs : https://wtf.tw/ref/ostrom_1990.pdf
3. Le terme fera ici référence aux individus vivant sous le seuil de pauvreté.
4. Étude réalisée en 2019 ayant regroupé un échantillon de 5 310 répondants redressé pour être représentatif de la population française.
5. Revenus de moins de 500 € net par mois.
6. Revenus de plus de 1 000 € net par mois.
7. Catégories socio-professionnelles favorisées : chefs d’entreprise, les professions libérales, les professions à plus fort revenu du secteur privé et fonctionnaires de catégorie A.
8. Catégories socio-professionnelles moins favorisées : ouvriers, salariés employés.
9. Selon le baromètre Greenflex.
10. 99,4% de la population selon la même étude de l’INC.
11. De 0,4tCO2/an entre 2010 et 2015 : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-05/datalab-46-chiffres-cles-du-climat-edition-2019-novembre2018.pdf
12. De 15%.
13. Loi n°2018-938 du 30 octobre 2018 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037547946/
14. Quand le coût d’une calorie en provenance de fruits ou légumes se situe autour de 0,70€ pour 100 kcal, il tombe à 0,20€ pour 100 kcal en provenance de matières grasses ou de produits gras, salés, sucrés selon l’INRA : https://alive.inra.fr/opticourses.html
15. Selon UFC Que Choisir, un panier à 70€ non-bio passe à 102€ en agriculture biologique pour les mêmes produits, soit une augmentation de 45% : https://nantes.ufcquechoisir.fr/2020/02/07/enquete-prix-bio/#:~:text=L’enqu%C3%AAte%20a%20permis%20de,soit%20un%20surco%C3%BBt%20de%2080%20%25%20!
16. 111€/personne/mois selon l’étude.
17. Loi n°2015-992 du 17 août 2015 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000031044385/
18. 28% des dossiers ouverts n’ont pas abouti selon l’INC.

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Les femmes ont 14 fois plus de risque de mourir lors de catastrophes climatiques que les hommes. Donc même face au réchauffement climatique, les femmes et les hommes ne sont pas égaux.

Les femmes ont 14 fois plus de risque de mourir lors de catastrophes climatiques, que les hommes. Ce qui renforce les inégalités de genre, face au changement climatique.

Ici on parle d’écoféminisme. Pourquoi ? Et puis, l’écoféminisme c’est quoi ? 

L’écoféminisme, c’est le parallèle de deux oppressions. L’oppression des femmes par le patriarcat et l’oppression de la Terre par l’Humanité ; certains parlent même de capitalisme patriarcal.

Le patriarcat est la manifestation et l’institutionnalisation de la domination masculine sur les femmes et les enfants dans la famille et l’extension de cette dominance sur les femmes dans la société en général. Le patriarcat a pour conséquence des stigmatisations des genres (comportements et qualifications présupposés aux sexes), des comportements oppressifs par les hommes sur les femmes et des inégalités entre les genres comme les inégalités salariales, inégalités de travail domestique ou des inégalités de droit.

L’écoféminisme est ainsi né pour dénoncer et lutter contre ces systèmes d’oppressions qui nuisent au bien-être des femmes, des hommes et de tous les êtres vivants qui composent notre écosystème. 

L’idée est donc de repenser les relations entre les hommes et les femmes, ainsi que l’Humanité et la terre. Imaginer un système plus juste dans notre exploitation des ressources, et plus égalitaire dans nos relations humaines.

L’écoféminisme c’est lutter contre les diktats féminins et masculins1 imposés par le patriarcat et contre l’exploitation irraisonnée des ressources.


Une double injustice : inégalités de genre et changement climatique

L’oppression de la Terre par l’Humanité a des conséquences dramatiques sur la planète. Le changement climatique a d’ores et déjà des impacts socio-économiques et sanitaires importants. Les femmes sont les plus touchées par ces impacts, particulièrement dans les pays en développement. Cela contribue également à exacerber les inégalités existantes entre les sexes et à ralentir le progrès vers l’égalité femmes-hommes. 

Prenons la comparaison des taux de mortalité : les catastrophes naturelles et leurs conséquences tuent en moyenne plus de femmes que d’hommes, et ce dans 141 pays du monde2. Dans les pays où la condition sociale, économique et politique de la femme est nettement inférieure à celle de l’homme (comme au Bangladesh, en Éthiopie ou encore en Inde), l’écart est encore plus important. En effet, les femmes et jeunes filles sont en moyenne plus pauvres que les hommes : elles sont 4,4 millions de plus que les hommes à vivre avec moins de 1,90 dollar par jour, soit 330 millions de femmes à travers le monde3

Le réchauffement climatique a donc un impact relativement fort et variable en fonction du genre, de la géographie et des moyens financiers.

La vulnérabilité des femmes dans les pays en développement s’explique par deux raisons : ces pays sont plus souvent sujets aux effets du changement climatique (inondations, sécheresses, typhons, désertification), et les filles et les femmes sont souvent moins bien armées pour lutter contre ces changements, à cause des injonctions sociales. Par exemple, dans certains pays d’Amérique latine ou d’Asie, les filles n’apprennent pas à nager (pour des raisons culturelles) ce qui les désavantagent lors de catastrophes telles que des inondations. Les femmes ont aussi souvent plus de responsabilités en matière de soin des enfants et des personnes âgées, ce qui rend plus difficile le départ du foyer. 

Autrement dit, les femmes souffrent davantage des conséquences du changement climatique en raison des normes et barrières sociales et culturelles. 

Les conséquences du changement climatique exposent les femmes à un plus grand risque de violence basé sur le genre. Les femmes des zones rurales assurent la gestion agricole dans leur communauté et leur foyer. Lors de périodes de sécheresses prolongées, comme en 2017 en Ouganda, les femmes et les filles étaient plus vulnérables aux agressions sexuelles car elles étaient obligées de faire des trajets plus fréquents et plus longs pour se ravitailler en eau et nourriture4

De plus, la précarité financière et l’insécurité alimentaire qui découlent des catastrophes naturelles peuvent mettre sous pression le rôle traditionnel des hommes, comme protecteurs de la famille, comme l’impose les diktats patriarcaux. Le sentiment d’échec à leur rôle présupposé favorise l’alcoolisme de certains hommes, ce qui les conduit fréquemment à devenir violents. Ce phénomène apparaît également dans des pays développés : comme en 2005 où suite à l’ouragan Katrina, de nombreuses femmes (surtout celles en situation de précarité) de la Nouvelle-Orléans, aux Etats-Unis, ont été victimes d’agressions sexuelles dans les abris et autres logements temporaires.

Agressions physiques, sexuelles mais aussi mariages forcés : 30 % à 40 % des mariages d’enfants au Malawi sont dus aux inondations et aux sécheresses causées par le changement climatique. Les familles, ne pouvant subvenir aux besoins de leurs enfants, marient leurs filles, de plus en plus jeunes, afin de diminuer le nombre de bouches à nourrir5

Le réchauffement climatique et ses impacts, peuvent conduire à une baisse de revenus pour certaines familles : elles ne peuvent subvenir aux besoins de tous les enfants et arrangent des mariages forcés pour les jeunes filles, afin d'avoir une bouche en moins à nourrir.

Ainsi, on peut constater que les femmes souffrent d’une double injustice : celle de lutter contre les inégalités de genre ainsi que le changement climatique. L’injustice devient triple si on y joint la pauvreté.

Malgré le fait que les femmes soient davantage victimes de ces inégalités, elles sont des actrices clés de cette lutte. Les femmes se sentent plus concernées par la cause environnementale, et ce depuis la fin des années 70. Les femmes du « Sud » et du « Nord » luttent pour la défense de leur environnement. Du mouvement antinucléaire aux États-Unis et en Angleterre dans les années 80, en passant par le mouvement Chipko opposant la politique gouvernementale de déforestation en Inde et le mouvement de la ceinture verte au Kenya, les combats se sont multipliés. Aujourd’hui, ils sont menés par des jeunes militantes écologistes telles que la suédoise Greta Thunberg au travers de ses différentes marches pour le climat à travers le monde. En France, les femmes ont été plus nombreuses à voter pour le parti EELV (17%) que les hommes (9%) aux dernières élections européennes.

Aux éléctions européennes, 17% des femmes ont voté pour une liste "Ecologie" contre 9% des hommes. Les femmes semblent donc plus concernées par le réchauffement climatique.

Les femmes sont donc déjà sur tous les fronts du combat environnemental et attendent impatiemment d’être incluses dans les prises de décisions politiques, car sous-représentées aujourd’hui.

Opposer les genres : le piège de l’écoféminisme

Certaines interprétations de l’écoféminisme définissent la femme comme plus proche de la nature, grâce ou à cause, de son caractère présumé doux et naturel, en intégrant son rapport de mère-nourrisière, mère-nature en opposition à celui de l’homme comme une puissance forte et qui massacre la planète. 

Cette opposition, entre les caractéristiques des hommes et des femmes, renforcent ici exactement ce contre quoi le féminisme, et donc l’écoféminisme se bat : les influences du patriarcat. Les caractéristiques attribuées aux hommes et aux femmes sont sociales et culturelles : non, les femmes ne viennent pas de Vénus, ni les hommes de Mars. 

Diviser la société entre les femmes et les hommes, d’un côté comme une victime et l’autre comme un bourreau, c’est renforcer les préjugés et inégalités de genre. 

Certaines et certains écoféministes arguent ainsi que c’est uniquement aux femmes de mener la lutte contre le réchauffement climatique, car elles en sont les premières victimes et les premières actrices. Oui, elles le sont et doivent être davantage incluses dans les prises de décision en raison de l’impact plus fort du réchauffement climatique qu’elles subissent. Mais ce n’est pas plus aux femmes de défendre la planète qu’aux hommes, au contraire : il s’agit de redéfinir le système pour plus d’égalité et de partage des responsabilités.

Le patriarcat implique la stigmatisation des femmes, la discrimination et le sentiment d'illégitimité. Ainsi, les femmes sont absentes des prises de décisions, renforcant ainsi les inégalités de genre.

Le terme anglais « reclaim » apparaît dans de nombreux ouvrages écoféministes. En français, il se traduit par “réhabiliter”, “réclamer” ou encore “réapproprier”. 

L’objectif est de redéfinir un modèle de société plus égalitaire, affranchi des diktats du patriarcat, pour une prise de décision collective sans distinction de genre. Ce modèle de société se veut émancipé des stigmatisations émettrices de pression social. L’écoféminisme, c’est donc déconstruire les stigmatisations liées à la féminité et à la masculinité pour légitimer à part égale la parole des hommes et des femmes.

S’affranchir des diktats du patriarcat, c’est déconstruire ce qui a été intentionnellement mis du côté des femmes pour les décrédibiliser dans leurs prises de décision, comme par exemple l’émotion, la douceur ou encore la timidité. Ces qualités ne représentent en effet pas nécessairement le genre féminin, mais une éducation culturelle.

L’écoféminisme ce n’est donc pas opposer le genre feminin au genre masculin, mais redéfinir une société plus égalitaire sans stigmatisation de genre.


Les inégalités géographiques et financières creusent les inégalités de genre. Il est donc important d’impliquer davantage les femmes dans les prises de décisions sur les manières de prévenir et de faire face aux impacts du changement climatique. 

Seulement, la prise de décision doit être collective, et inclure à la fois les hommes et les femmes : il ne faut pas tomber dans le piège qui consisterait à opposer les qualités présupposées des genres pour justifier une quelconque responsabilité. Les hommes et les femmes doivent redéfinir ensemble un modèle de société plus égalitaire, affranchi des diktats du patriarcat, pour espérer répondre aux défis écologiques actuels.

Portrait de Clara Laviale, responsable Financement et Levée de fonds chez Parti Civil.

PAR CLARA LAVIALE


Pôle Financement chez Parti Civil. Mais aussi, Partenariats, Marketing et Levée de fonds à l’OCDE. Egalité des sexes • Egalité des chances

Portrait de Marine Reinhardt, co-fondatrice de Parti Civil.

PAR MARINE REINHARDT


Co-fondatrice de Parti Civil. Mais aussi, chargée de levée de fonds chez Rêv’Elles.
Egalité des sexes • Protection de la biodiversité • Transition écologique et inégales conséquences du réchauffement climatique

Notes et sources

1. Diktats du patriarcat : il s’agit de comportements et attitudes historiquement imposés au genre sans justification. Par exemple, les femmes sont plus douces, doivent être jolies, fines et s’occuper des tâches ménagères alors que les hommes sont forts et puissants, et ils s’occupent de protéger et apporter un soutien financier à leur famille. Ces comportements sont injustifiés mais socialement imposés et impliquent des déviances quotidiennes comme des hommes qui coupent la parole ou rendent illégitime la parole des femmes.
2. Eric Neumayer & Thomas Plümper (2007): ‘The Gendered Nature of Natural Disasters: The Impact of Catastrophic Events on the Gender Gap in Life Expectancy, 1981–2002’
3. ONU Femmes (2018): ‘Traduire les promesse en actions : L’égalité des sexes dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030’
4. Programme des Nations Unies pour le développement (2020): ‘Why climate change fuels violence against women’
5. Mac Bain Mkandawire, le directeur exécutif de Youth Net and Counselling, une organisation qui lutte pour les droits des femmes et des enfants.

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Parti Pris, c’est un espace libre. Chaque article est une prise de position de la personne qui le rédige, qu’elle soit membre de Parti Civil ou invitée.

En septembre 2019, Ursula von der Leyen, la nouvelle Présidente de la Commission européenne, publiait ses political guidelines, censées diriger son action pendant les 5 prochaines années. Parmi celles-ci, la nécessité d’effectuer une “transition juste”, une transition écologique qui concilie impératifs écologiques et justice sociale. “Je crois que ce qui est bon pour notre planète doit être bon pour nos populations, nos régions et notre économie. Nous assurerons une transition juste pour tous”, affirmait-elle alors. Force est de constater, cependant, que les doutes des citoyens ne portent pas tant sur le caractère souhaitable de la “transition juste” mais bien davantage sur sa faisabilité. Transition écologique et justice sociale : antagonisme indépassable ou conciliation indispensable pour garantir l’acceptabilité sociale d’une transition inéluctable ? 

La transition écologique est une nécessaire évolution de notre modèle économique et social vers un nouveau modèle, un modèle de société qui renouvelle nos façons de consommer, de travailler, de produire, et de vivre ensemble pour répondre aux grands enjeux environnementaux contemporains. Ces défis, ce sont ceux du changement climatique, de l’accroissement de la pression mise sur les ressources, de la perte accélérée de la biodiversité et de la multiplication des risques sanitaires environnementaux.

La justice sociale est, selon l’ONU, fondée sur l’égalité des droits pour tous les peuples et la possibilité pour tous les êtres humains sans discrimination de bénéficier du progrès économique et social partout dans le monde. Cette notion implique la nécessité d’une solidarité collective entre les personnes d’une société donnée afin de promouvoir l’égalité des chances.


La transition écologique interroge nos équilibres sociaux

Parce qu’elle requiert le concours de tous les acteurs de la société et de tous les secteurs de l’économie, la transition écologique interroge nos équilibres sociaux et économiques et ce faisant ne doit pas contrevenir à la justice sociale. À l’inverse, ce changement de modèle doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur les inégalités.

Or, il faut bien convenir que si la transition écologique conduit à limiter les effets des dérèglements climatiques, elle renforce trois types d’inégalités :

La transition écologique renforce les inégalités : les inégalités socio-économiques, les inégalités générationnelles et les inégalités sectorielles.
  • Socio-économiques : la transition écologique affecte davantage les classes populaires, qui disposent souvent d’une plus faible capacité d’adaptation. On peut citer à ce titre le cas des États-Unis. Depuis 30 ans, les fermetures de mines aux États-Unis ont contraint de nombreux Américains à perdre leur emploi à cause de politiques écologiques oubliant tout impératif d’accompagnement et de réinsertion.
  • Générationnelles : bien que les bouleversements écologiques concernent l’avenir des nouvelles générations, la transition touche à court terme principalement les générations déjà bien ancrées sur le marché du travail, pour qui les alternatives professionnelles ainsi que les possibilités de reconversion sont limitées. 
  • Sectorielles : la transition écologique affecte nécessairement les secteurs les plus polluants en premier lieu. Derrière ces industries se trouvent des emplois, qui se trouveront menacés par celle-ci. Ce mécanisme est à l’œuvre actuellement en Pologne, où la transition vers une énergie verte menace les emplois miniers historiques. Plus récemment, le gouvernement français a été amené à réautoriser jusqu’en 2023 certains néonicotinoïdes, ces “pesticides tueurs d’abeilles”, dans le but de prévenir les cas de jaunisse qui affectent excessivement les plantations de betteraves en France. La question qui s’est posée est bien celle du choix entre la transition rapide vers une agriculture durable ou la préservation, dans le court terme, d’un secteur agricole employant plusieurs dizaines de milliers d’emplois.

La transition écologique concourt à la lutte contre les inégalités

Cependant, parce que la transition écologique conduit à limiter les effets des dérèglements climatiques, elle conduit également à lutter contre les trois types d’inégalités qui découlent des effets du dérèglement climatique :

Les facteurs d'inégalités face au changement climatique sont le lieu d'habitation, le métier ou le secteur d'activité et les revenus.
  • Géographiques : les conséquences des bouleversements environnementaux ont davantage d’effets sur certaines zones géographiques. Le Vietnam est par exemple l’un des pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique (source : AFD). À terme, ces conséquences aux effets disparates en fonction des régions pousseront des millions de personnes sur les routes de l’exil. Plus précisément, d’après un rapport de la Banque Mondiale paru en 2018, le changement climatique transformera près de 140 millions de personnes en réfugiés climatiques, cherchant à fuir les pénuries d’eau, les mauvaises récoltes et la montée du niveau des mers, majoritairement dans les pays en développement.
  • Sectorielles : le dérèglement climatique bouleverse certains secteurs d’activité plus que d’autres. Le secteur primaire (agriculture, pêche, etc.) est bien plus touché que le secteur tertiaire. Par exemple, la récolte de blé 2020 semble être la deuxième plus faible en quinze ans, après 2016 et avant 2018, et ce directement à cause des trop fortes pluies de l’automne et de la sécheresse printanière et estivale en cours. Et à la clé : des revenus toujours plus faibles pour les agriculteurs.

L’évolution de la production de blé tendre
en France de 2010 à 2021

Evolution de la production de blé tendre en France de 2010 à 2021
En millions de tonnes. Source : Jean-Marc Jancovici
  • Sociales : le changement climatique et ses conséquences diverses touchent davantage les personnes les plus pauvres, du fait de leur plus faible capacité de protection. Il conduit alors fréquemment à un renforcement des inégalités existantes, comme l’a démontré, dans le cas des Etats-Unis, une étude de 2017. C’est aussi le cas de la pollution. Ainsi, selon un rapport de l’Agence Européenne pour l’Environnement paru en février 2019, les Européens les plus pauvres sont aussi les plus exposés à la pollution.

Adhérer à une visions réaliste et écologiste

S’il est faux de penser que transition écologique et justice sociale s’opposent, il est également faux de penser que ces deux dynamiques vont nécessairement ensemble, que la transition est par définition solidaire. Tant que nous continuerons à faire l’erreur d’opposer les deux, mais aussi d’oublier que la combinaison des deux ne va pas de soi, nous continuerons à donner raison aux populistes ou aux électeurs climatosceptiques.

Nous devons accepter que la transition écologique aille de pair avec des suppressions d’emploi. Il ne faut pas le nier. Mais celle-ci peut (et doit) s’inscrire dans un processus de destruction créatrice. Ces disparitions d’emplois doivent s’accompagner de créations d’emplois plus qualifiés et plus durables. C’est par cela que nous mettrons en musique transition écologique et justice sociale. D’ailleurs, ce mécanisme est déjà à l’œuvre. La transition écologique crée des emplois, davantage que les industries fossiles. “Les industries extractives sont surtout intensives en capital, pas en travail”, remarque Celia Gautier, du Réseau action climat (RAC) France – et ce, bien davantage que les industries vertes. Ainsi, selon une étude de l’Université du Massachusetts, investir 1 million d’euros permettrait de créer 5 emplois dans le charbon, mais 14 dans les renouvelables et 19 dans l’efficacité énergétique.

La relance économique post-COVID est d’ailleurs une formidable occasion de soutenir la création d’emplois décarbonés. Une analyse de EY pour WWF Australie parue en juin 2020 a soulignée que les programmes de stimulation économique soutenant l’énergie propre comme moyen de sortir de la récession créeraient, là encore, près de trois fois plus d’emplois pour chaque dollar dépensé que pour le développement de combustibles fossiles.

Vers une nécessaire transition juste

Soutenir les créations d’emplois verts, la réduction de la pauvreté, l’égalité et l’accès de tous à un mode de vie décent, et donc in fine soutenir la justice sociale, c’est tout l’objectif de la “transition juste” (ou just transition, en anglais). De plus en plus présente dans le débat public, elle correspond à l’ensemble des interventions sociales nécessaires pour garantir les droits et les moyens de subsistance des travailleurs lorsque les économies se tournent vers une production durable. C’est le dessein (encore hésitant) affiché par le Just Transition Fund porté par la Commission Européenne de Ursula von der Leyen, visant à soutenir les régions et secteurs impactés par la transition en Europe.

Les deux objectifs de la transition juste sont de soutenir les régions, industries et secteurs particulièrement touché ; de protéger les populations les plus affectées par les boulversements écologiques.

Cette transition juste, nous le pensons, doit répondre à deux objectifs :

  • Soutenir les régions, les industries et les secteurs particulièrement touchés par la transition : la transition doit soutenir leur décarbonation et/ou, lorsque celle-ci est incompatible (e.g. les mines à charbon) doit permettre leur mise à l’arrêt en favorisant l’accompagnement des employés à la hauteur des besoins et leur réorientation rapide et durable. Pour cela, la transition juste doit non seulement soutenir des politiques de formation et de réinsertions ambitieuses mais aussi soutenir les filières durables qui créent des emplois capables de remplacer ces emplois perdus, à commencer par la rénovation énergétique des bâtiments, les transports durables et l’énergie décarbonée mais aussi la relocalisation de certaines industries (e.g. la production des batteries). Une transition vers les énergies propres pourrait entraîner un gain net d’environ 11,6 millions d’emplois d’ici 2050 par rapport à un scénario de statu quo, dont l’Organisation Internationale du Travail estime que 2 millions pourraient être générés dans l’UE.1 Ces emplois sont d’ailleurs non seulement durables mais également plus résilients face aux aléas climatiques ou naturels. Le cas de la betterave évoqué plus haut en est l’exemple. Alors que les cultures intensives de betteraves sont particulièrement affectées par la jaunisse, il semblerait que la betterave cultivée selon le cahier des charges de l’Agriculture Biologique soit peu ou pas touchée par cette maladie virale, comme le rapportait le journal Le Monde.
  • Protéger les populations les plus affectées par les bouleversements écologiques : si l’objectif est bien entendu de lutter contre ceux-ci pour se prémunir d’impacts désastreux, ces bouleversements sont déjà en train de se produire et nous imposent de penser notre adaptation à ceux-ci. Il est donc primordial de ne pas abandonner les secteurs, régions et populations particulièrement affectés. Si nous décidons d’y répondre, les conséquences sanitaires, sociales, économiques et écologiques seront aussitôt visibles. Le passage à une économie à émissions nettes zéro pourrait d’ailleurs sauver des milliers de vies chaque année en Europe, à commencer par les populations pauvres très exposées. En 2013, seules 280 centrales électriques au charbon en activité dans l’UE étaient responsables d’environ 22 900 décès prématurés (contre 26 000 décès dans des accidents de la route dans l’UE la même année).2 La transition juste protège les populations affectées par les pollutions humaines ou, dans d’autres circonstances (e.g. l’agriculture), par le réchauffement climatique, et elle favorise le passage à une économie décarbonée créatrice d’emploi.

Rich Trumka, président de la Fédération américaine du travail et du Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO) et ancien Président du principal syndicat des mineurs, estime qu’une “transition juste n’est qu’une invitation à des funérailles fantaisistes”. Nous ne partageons pas cette perspective morbide. Nous ne nous résoudrons pas à un désastre écologique, social et économique. La transition juste est notre seul espoir pour allier transition écologique et justice sociale et permettre le passage à une économie zéro-carbone, créatrice d’emploi. 

PAR THÉODORE TALLENT


Pôle Affaires Publiques chez Parti Civil. Mais aussi, étudiant en politiques environnementales à l’université de Cambridge. Biodiversité • Transition juste• Affaires européennes • Solutions fondées sur la nature

Notes et sources

1. IRENA (2018). ‘Global energy Transition – A Roadmap to 2050’
2. CAN Europe, HEAL, WWF European Policy Office, Sandbag (2016). ‘Europe’s Dark Cloud – How coal-burning countries are making their neighbours sick’

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