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Quels liens entre désindustrialisation, importations et empreinte carbone?
L’empreinte carbone d’un Français s’élève à 11,2 tonnes CO2eq1 en 2018 et devra diminuer à 2 tonnes CO2eq en 2050 pour respecter les accords de Paris. La part croissante des émissions liées aux importations a compensé la baisse des émissions locales ces dernières années2. La relocalisation de l’industrie française, en plus de l’impact positif tant du point de vue économique que social, relève donc d’un impératif écologique et représente une condition sine qua non à l’atteinte des objectifs climatiques. Il est également important de comprendre les causes de la désindustrialisation française avant de regarder en détail comment le plan de relance de 100 milliards d’euros, qui a pour objectif de redresser l’économie française suite à la crise de la Covid-19, compte pallier la dynamique de déclin de l’industrie française.

Retour sur les principales causes du déclin de l’industrie française
Le solde de la balance commerciale française est déficitaire depuis le début des années 2000 (depuis 1950 si l’on exclut la décennie 1990), ce qui signifie que la France importe davantage qu’elle n’exporte, et l’inversion de cette tendance n’est pas encore à l’ordre du jour3. En ordre de grandeur, le solde déficitaire en 2019 était de 59 milliards d’euros, soit le même coût que la totalité des importations de pétrole, charbon et gaz françaises4.
L’industrie est la première cause du déficit commercial français et pèse près de la moitié de ce dernier. Ce constat est d’autant plus vrai ces 20 dernières années où la part de l’industrie dans le PIB s’est effondrée. Ainsi le déclin n’est pas récent mais on constate une accélération ces dernières années. S’agit-il d’une tendance générale ou bien ce mal est-il purement français?
Si l’on compare la France avec ses voisins quant à l’évolution de la contribution de l’industrie dans l’économie, on remarque des disparités marquantes. Le Royaume-Uni, premier pays industriel, connaît la même trajectoire que la France avec un déclin industriel marqué depuis des dizaines d’années. En revanche, nos voisins latins, l’Espagne et l’Italie, connaissent un déclin moins marqué et même un regain industriel depuis quelques années. L’Espagne voit même sa production industrielle remonter depuis 20135. La contribution de l’industrie au PIB allemand est même 2 fois plus importante qu’en France. D’autres pays européens parviennent à maintenir une industrie compétitive face aux pays de l’est et asiatiques, il faut donc regarder plus en détail les raisons de la désindustrialisation française.

Le déclin de l’industrie française depuis les années 1980, avec notamment la perte sèche de 2 millions d’emplois, peut se résumer en 3 points6 :
- L’amélioration de l’efficacité des entreprises a entraîné une réduction des emplois industriels qui a été compensée par une croissance des emplois dans le secteur des services
- Les gains de productivité ont conduit à une hausse du revenu des ménages qui a modifié les habitudes de consommation en réduisant la part des achats de biens au profit des achats de services
- La concurrence étrangère bien que plus difficile à évaluer a également contribué à la destruction d’une partie des emplois industriels
En parallèle de ces 3 grandes tendances, et ce depuis les années 2000, on constate un recul des exportations de produits à haute et moyenne technologie, faute d’investissements. Les entreprises françaises se trouvant enfermées dans un cercle vicieux où, faute de capacités d’investissement elles perdent des parts de marché, ce qui réduit d’autant plus leurs revenus et donc leur capacité à inverser la tendance.
De plus, ce déclin de l’industrie est un paradoxe climatique. Alors que nous bénéficions d’une électricité bas-carbone grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables, nous importons des biens qui viennent dégrader le bilan carbone national, en raison de l’intensité carbone plus élevée des pays exportateurs, mais également en raison du transport de ces biens. Le coût environnemental n’étant en effet pas pris en compte dans le coût réel des produits, il ne permet pas au consommateur de mesurer la portée écologique de ses achats.
Le plan France Relance a pour objectif de redynamiser les territoires, renforcer la souveraineté nationale et promouvoir la réindustrialisation tout en favorisant la croissance durable. La question est donc de savoir si les mesures sont suffisamment ambitieuses pour répondre à ces objectifs affichés.
Les ambitions du plan de relance
Quels engagements ? Quelles contreparties ?

Le plan de relance7, d’un montant de 100 milliards, se répartit en 3 catégories : Ecologie, Compétitivité, Cohésion. En premier lieu il convient de noter qu’il s’agit avant tout d’un plan de relance économique. Le gouvernement, à travers ses mesures, n’a pas souhaité opposer de frein à la reprise économique ce qui explique pourquoi certaines mesures peuvent entrer en contradiction avec des objectifs environnementaux. Par exemple, aucune contrepartie à l’attribution des financements n’a été clairement définie. La relance économique est un objectif affiché, qu’elle soit “verte” ou “grise” n’est donc pas aussi clair. Il faudra attendre le déploiement des premières mesures afin de connaître précisément les engagements que les entreprises devront prendre. Air France devrait par exemple supprimer des lignes courtes-distance. Des mesures concernant l’égalité homme/femme devraient être mises en place en entreprise, et les emplois devront être au maximum maintenus sur le territoire. Mais ces mesures n’ont pas encore été confirmées. Si l’on prend l’exemple de l’automobile, le secteur a déjà subi une vague de délocalisation massive, avec la perte de 100 000 emplois en 15 ans et une balance commerciale déficitaire de 15 Mds€8. Si les aides ont été annoncées rapidement, les garanties de maintien des emplois locaux se font encore attendre. Ainsi 2 interrogations majeures demeurent, quelles seront les contreparties finales demandées et de quelle manière leur non-application sera sanctionnée?
Calendrier des investissements : en phase avec l’urgence écologique et économique ?
Le plan de 100 milliards est considéré par l’exécutif comme l’un des plus importants d’Europe en termes d’investissements ramenés au PIB. Ce chiffre est à relativiser car les dépenses seront engagées sur 3 ans : 2020, 2021 et 2022 alors qu’à titre de comparaison l’Allemagne engagera 130 milliards sur 2 ans, dont 80 milliards de soutien immédiat pour soutenir les ménages et entreprises. Une arrivée tardive des investissements et aides par rapport à nos voisins retarderait la relance économique ce qui aura pour effet d’accentuer l’écart de compétitivité entre nos industriels et ceux de nos voisins, en particulier les allemands.
Quels sont les principaux secteurs bénéficiaires du Plan de relance ?
En 2018, l’industrie Agro Alimentaire était le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre (GES) (hors secteur énergie), les importations comptant pour la moitié du total. 1 Md€ sera mobilisé afin d’accélérer la transformation du secteur agricole (bio, circuits courts, …), de favoriser l’indépendance protéique et le bien-être animal, et de renouveler les agro-équipements. Or, l’agriculture et l’agro-industrie représentent presque 20% du total des émissions françaises (CITEPA9). Ainsi, l’investissement (1% du budget) peut paraître insuffisant pour transformer le secteur le plus émetteur français. Par ailleurs, certaines mesures de cette transformation ne semblent pas suffisantes. Par exemple, le crédit d’impôt pour l’agriculture biologique ne permettra pas de lever certains freins à la conversion : pénibilité du travail, maillage de coopératives trop faibles, plus grande variabilité des rendements, …
Le plan concernant l’écologie cible tout de même des secteurs fortement émetteurs de GES. Les secteurs bénéficiant d’aides significatives sont les transports, avec le retour attendu du fret ferroviaire et du train de nuit, et le bâtiment, avec la rénovation thermique. Ces 2 secteurs représentent des emplois non délocalisables et les gains écologiques associés vont permettre de réduire les émissions de CO2 de ces secteurs. Les principaux enjeux seront de trouver un équilibre économique pour la relance ferroviaire car la disparition de ces lignes était due à un manque de rentabilité. Quant au bâtiment, il faudra surveiller l’effet d’aubaine, c’est-à-dire regarder la proportion des travaux qui vont bénéficier d’aides alors que les ménages auraient fait ces travaux sans contreparties. Il faudra également observer la catégorie de ménage ayant recours à ces dispositifs, les plus précaires étant ceux qui vivent dans les “passoires thermiques” mais qui n’ont pas nécessairement les fonds pour engager des travaux, même avec une prise en charge à hauteur de 90%.
Un autre effet à surveiller est l’effet rebond : “les ménages auraient tendance à augmenter leur confort ou diminuer leurs restrictions dans leur logement rénové, dès lors que le service de chauffage leur coûte moins cher”10. Cet effet rebond est complexe à mesurer car dépend de nombreux paramètres : climat, type de chauffage, présence dans le logement, … mais les études tendent à montrer que cet effet rebond annule partiellement les gains attendus avec les travaux de rénovation. La présence du gaz au détriment de l’électricité dans les nouveaux plans de rénovation sera également à surveiller, les entreprises gazières faisant pression pour conserver leur avantage11.
Concernant l’isolation des TPE/PME, un budget de 200 M€ est alloué sous forme d’aide aux travaux d’isolation. D’après le plan de relance, il coûterait 120 000 € à une entreprise d’isoler par l’extérieur un espace de 1000m². À hauteur de 4 millions de TPE/PME en France, le budget de 200 M€ est malheureusement une goutte d’eau, et même si cette aide est la bienvenue, c’est une aide qu’il serait nécessaire de renouveler tous les ans.
Vers une ré-industrialisation massive ?
Les industriels de l’agro-alimentaire français sont soumis à de nombreuses normes afin de garantir la sécurité et la qualité de notre alimentation. Mais de nombreux produits importés ne respectent pas les règles qualité et sociales que nous nous imposons. Ainsi, malgré un engagement de l’État pour promouvoir une alimentation saine, durable, en circuit court, la question de la compétitivité reste au centre des interrogations. Le soutien à l’industrie pourra alors en partie venir de la baisse permanente de 20 milliards des impôts de production et le renforcement des fonds propres des TPE/PME/EPI. Une éventuelle taxe carbone aux frontières12 n’a pas été évoquée dans le plan.
La filière hydrogène est, quant à elle, à citer parmi les grands bénéficiaires de ce plan de relance, et fera l’objet d’investissements complémentaires à l’horizon 2030 pour un montant total de 7 milliards. Contrairement aux investissements à la filière solaire, qui ont surtout bénéficié aux producteurs de panneaux solaires asiatiques, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, souhaite cette fois-ci développer une filière de production française. La France possède des acteurs de première importance sur toute la chaîne de valeur ce qui facilitera le décollage de l’hydrogène “vert”.
Sur le volet économique, le plan prévoit un soutien à l’investissement et aux relocalisations dans la santé, l’électronique, l’agro-alimentaire, ainsi que la 5G. Ces secteurs étant hautement stratégiques en termes d’indépendance et de souveraineté nationale et européenne.
Il est important d’accorder une grande vigilance envers la ré-industrialisation pour une croissance verte. En effet, attention à ce que ne se génère pas un surplus d’émission lié aux exportations. Il ne faut pas oublier que l’écologie doit apporter des solutions à un problème global. Ainsi une partie (seulement) des délocalisations est liée au fait que les entreprises souhaitent placer leur sites de production à proximité de leur marché et est donc bénéfique d’un point de vue environnemental.
L’écologie au cœur de la stratégie ?
Dans le plan de relance, le volet décarbonation de l’industrie peut se résumer en 3 points :
- L’efficacité énergétique
- La chaleur bas carbone
- La technologie verte
Concernant les thématiques d’efficacité, le point d’attention majeur sera encore l’effet rebond et la surconsommation qui pourrait en découler. Par ailleurs, tout comme les projets de chaleur bas carbone, leur mise en oeuvre se fait sur la base d’un appel à projet et donc sur la volonté propre à chaque entreprise de se lancer dans l’optimisation de ces processus de production. Ces mesures ne sont donc pas contraignantes.
Dans sa déclaration publique sur le fonds de soutien aux industries aéronautique, Bruno Le Maire a annoncé que l’objectif était “d’accélérer la décarbonation de l’industrie aéronautique française” en produisant un avion neutre en Carbone d’ici 2035.
Une jolie annonce qui pour le moment relève de la fiction comme l’écrit le collectif “supaero decarbo” dans sa lettre ouverte au gouvernement13. L’avion du futur est certes souhaitable, et l’investissement en R&D dans une filière française à hydrogène est nécessaire. Mais, si d’ici 15 ans, nos talentueux ingénieurs réussissent à relever tous les défis (réglementaires, techniques, …) liés à la mise sur le marché de ce nouveau type d’avion – Rappelons qu’il a fallu presques 10 années pour développer l’A380 alors que la technologie en question était maîtrisée – combien de temps faudra-t-il à la flotte mondiale pour se renouveler ? Ainsi, en 2019, Airbus avait une capacité de production avoisinant les 800 avions par an, et bien que l’avionneur souhaite mettre en place de nouvelles lignes, il faudra transformer une flotte de 48 000 appareils d’ici 20 ans.
Par conséquent, il reste une grande part d’incertitude sur le fait que l’aéronautique sortira si facilement de son addiction aux énergies fossiles. Et le plan de relance du secteur n’anticipe aucune stratégie à la gestion d’une industrie qui, faute de réduire sa dépendance, devra probablement être contrainte de réduire sa voilure.
Beaucoup d’espoirs sont ainsi placés sur quelques technologies qui nous sauveraient (recyclage, hydrogène, …). C’est un constat que l’on peut étendre à toutes les mesures : le plan de relance n’intègre et n’anticipe pas l’hypothèse d’une diminution de l’activité de certains secteurs polluant, et ne propose aucune réponse sur le volet de l’emploi.
Par ailleurs de nombreuses études démontrent que, si l’on prend le problème au global, la voiture électrique n’est pas verte (extraction des ressources pour la batterie, processus de fabrication, …), et ne peut donc pas constituer à elle seule une solution de substitution à la voiture thermique. D’ailleurs, le rapport de la Convention Citoyenne pour le Climat14 préconise la mise en place d’un système de bonus / malus en fonction du poids du véhicule, y compris pour les voitures électriques.
Un plan pas suffisamment ambitieux
Si le plan de relance se concentre bien sur les secteurs les plus émetteurs, il n’est pas assez ambitieux : la date d’engagement des financements est trop étendue par rapport à l’urgence d’une relance économique rapide et les contreparties attendues pour les entreprises bénéficiaires des aides sont pour le moment lacunaires. Pour ceux qui sont inquiets pour nos finances publiques, le plan de relance sera financé par de la dette, or comme le répète Anne-Laure Kiechel, spécialiste française de la dette, elle n’est pas un problème quand elle est utilisée à bon escient, à savoir renforcer la compétitivité d’un État ou financer la transition écologique, raison pour laquelle nous attendons plus de ce plan de relance. Le développement d’indicateurs €/tonne de CO2 évitée pour les mesures ainsi que des annonces de contreparties pour les bénéficiaires des aides seraient des informations essentielles à la bonne compréhension du plan que nous ne possédons pas à l’heure actuelle. Enfin, de nombreuses mesures sont dirigées vers des secteurs à fort potentiel de réindustrialisation, il s’agira de surveiller dans les mois et années à venir si les entreprises ont rempli leur part du contrat.

PAR FIONA HUTCHINSON
Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, Ingénieure dans l’industrie manufacturière et membre chez CIVIL IMPACT. Responsabilité sociétale des entreprises • Modes de consommations • Alimentation saine et durable

PAR CLÉMENT LIMARE
Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, analyste en stratégie pour un industriel français de l’énergie. Prise de conscience du changement climatique • Création d’un monde bas-carbone • Transition énergétique • Transition agricole.
Notes et sources
1. Voir la définition du concept d’équivalent dioxyde de carbone par l’Union Européenne : https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Glossary:Carbon_dioxide_equivalent/fr
2. Voir l’évolution de l’empreinte carbone en fonction des importations/exportations par le Service de la Donnée et des Études Statistiques (page 8) : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-01/document-travail-n%2038-empreinte%20carbone-avril-2018.pdf
3. Selon le rapport “L’industrie manufacturière de 1970 à 2014” de l’Insee : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2121532
4. Selon le rapport “Bilan énergétique de la France en 2019” (Voir Graphique 2 – facture énergétique de la France en page 2) : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-04/datalab-essentiel-211-bilan-energetique-provisoire-2019-avril2020.pdf
5. Selon le rapport de l’OCDE sur l’Espagne : http://www.oecd.org/fr/economie/etudes/Espagne-2018-OECD-etudes-economiques-synthese.pdf
6. Selon le rapport de la DG du Trésor sur les causes de la désindustrialisation en France : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/40bd46a0-80ec-45ca-a6eb-8188b4511e54/files/607b4417-04f7-4095-a295-4dfab49fc167
7. Voir le plan de relance : https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance
8. Voir l’article sur l’industrie automobile française : https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/l-auto-francaise-creuse-encore-un-deficit-commercial-abyssal_709709
9. Selon le rapport CITEPA : https://www.citepa.org/fr/2019_06_a5/
10. Selon le rapport SDES “Les ménages et la consommation d’énergie” : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2018-10/thema-01-menages.pdf
11. Voir l’article sur la fiche technique sur le calcul du contenu CO2 du chauffage électrique en France
12. Voir le rapport de l’OFCE sur l’impact d’une fiscalité carbone aux frontières : https://www.agefi.fr/sites/agefi.fr/files/fichiers/2020/01/taxe_aux_frontieres_ofce_paul_maliet.pdf
13. Voir la lettre ouverte du Collectif SUPAERO-DECARBO au gouvernement : https://www.isae-alumni.net/fr/news/lettre-ouverte-du-collectif-supaero-decarbo-au-gouvernement-6314
14. Rapport de la Convention CItoyenne pour le Climat : https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/