Pourquoi les “pauvres” vont-ils chez McDonald’s ?

Façade d'un restaurant McDonald's

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7,80€ : c’est le prix d’un menu Big Mac à Paris. Le doughnut nature coûte, quant à lui, 1,75€. Les prix sont plus élevés lorsque l’on ajoute un dessert, ou un burger plus élaboré. Bien que ces prix ne choquent pas le consommateur moyen, ils restent élevés en comparaison d’un repas acheté en boulangerie, ou encore en supermarché. Encore plus lorsque l’on compare ces prix au budget alimentaire hebdomadaire des personnes en situation de précarité alimentaire, situé à 3,7€/jour/personne1. Et d’autant plus si l’on observe la richesse nutritionnelle des aliments, et leur impact durable sur le façonnement d’habitudes alimentaires peu saines, et motrices de l’épidémie d’obésité2.  Pourtant, l’entreprise cible bel et bien les individus aux catégories de revenus défavorisées. Produits d’appel alléchants (citons le hamburger à 1,75€, ou encore le Happy Meal à 4€), densification de la couverture géographique des magasins dans les quartiers défavorisés3 et les agglomérations de petites tailles4, les stratégies sont nombreuses. 

Ainsi, alors que les individus aux revenus moins élevés, et ceux habitant en zones peu denses, mangent en moyenne davantage à domicile5, McDonald’s figure parmi les exceptions. McDonald’s séduit, et ce de plus en plus, notamment en France6. Si la pandémie mondiale d’obésité n’était pas si préoccupante, nous n’en ferions pas un article. Mais près de 1 adulte sur 5 est obèse en France, et la courbe de croissance est exponentielle. Alors que le nombre de victimes augmente, le coût de l’obésité s’élève à 60 millions d’euros par jour en France7, un coût porté par la sécurité sociale et, ainsi, par les Français. Enfin, l’obésité est sur-représentée chez les populations défavorisées8, faisant de celle-ci un accélérateur d’inégalités sociales. Populations précisément ciblées par certaines entreprises de l’industrie agro-alimentaire, dont McDonald’s est ici utilisé comme représentant.

Quel est le coût réel du surpoids et de l'obésité ? 1 adulte sur 5 est obèse en France. Le coût de l'obésité s'élève à 60 millions d'euros par jour en France.

Comment expliquer ces phénomènes alors que les messages de santé publique s’intensifient ? Les individus en situation de précarité sont-ils responsables de l’évolution de leurs habitudes alimentaires ? Le marketing et la vente des entreprises agro-alimentaires sont-ils suffisamment réglementés ?


Un marketing et un lobbying bien rôdés

La capacité de McDonald’s à s’adapter aux particularités culturelles de son audience est bien connue aujourd’hui, et érigée en exemple dans les écoles de commerce9. Alors que la branche américaine de la multinationale propose des portions de grande taille aux États-Unis, sa stratégie française diverge en proposant des repas illustrant les fers de lance de la gastronomie et de l’agriculture françaises : fromages, boeufs français, etc. Le logo, passé de la couleur rouge au vert, symbolise cette stratégie différenciée. Le repas “à la française” est une fierté nationale, étant même classé au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Les Français sont attachés à la qualité de leur alimentation, aussi bien en termes sanitaires que gustatifs. Or les produits vendus par McDonald’s, diversifiés en France, procurent du plaisir, et attirent. Plus de la moitié des Français disent éprouver “beaucoup de plaisir” grâce à la malbouffe (produits ultra-transformés, riches en gras, sel, sucre) ; un plaisir “coupable”, mais bien réel.

Face à cet engouement, l’industrie agro-alimentaire intensifie la publicité, n’hésite pas à l’orienter vers les publics vulnérables commes les enfants, et promeut la responsabilité des consommateurs comme pilier de la lutte contre l’obésité. L’introduction de choix de menus plus sains (salades, fruits) incarne la volonté de responsabilisation des individus. Celle-ci fait référence à la liberté de choix du consommateur, à son devoir d’information quant au caractère néfaste d’une alimentation trop riche en sel, gras, sucre et produits ultra-transformés, à son devoir de modération et, enfin, à celui d’exercer une activité physique suffisante à l’élimination du surplus calorique ingéré. 

Cette argumentation est puissante, elle est au coeur du lobbying ayant notamment permis à l’industrie agro-alimentaire de résister aux réglementations apposées sur la publicité et le marketing alimentaire, en transformant notamment les projets de loi successifs en chartes d’engagement volontaire. Elle est néanmoins mensongère : de nombreuses études montrent que la malbouffe est addictive, car conçue pour l’être10 ; le célèbre documentaire Supersize me en donne un exemple. Et, si la lutte contre l’obésité était réellement endossée par l’industrie agro-alimentaire, peut-être les produits proposés seraient-ils conformes aux seuils nutritionnels recommandés11

Hélas, il semblerait que certains grands noms de l’industrie agro-alimentaire, dont l’Association Nationale des Industries Alimentaires porte la parole, privilégient la lutte contre l’indiscipline individuelle à une remise en question des pratiques de production et de commercialisation de leurs produits.

La fonction “plaisir” de l’alimentation

Au-delà de ce devoir individuel d’auto-censure préconisé par certains, il serait réducteur de penser à l’alimentation des pauvres comme une contrainte budgétaire, ou un risque sanitaire. L’alimentation possède de nombreuses vertus, et notamment un rôle social central dans notre société12. Manger à table est un acte de socialisation primaire, auquel de nombreuses familles accordent de l’importance. C’est, pour beaucoup, le seul moment de la journée où l’on se retrouve. C’est l’occasion de dissiper les tensions quotidiennes, d’oublier les soucis de chacun. Les Français sont d’ailleurs ceux qui cultivent le plus ce plaisir, détenant le record du temps journalier passé à table13. On comprend alors la réticence de beaucoup à déclencher conflits et débats autour du choix du menu. Par ailleurs, quand il est financièrement compliqué pour une famille de combler ses membres, l’achat alimentaire devient un plaisir facile en comparaison d’achats vestimentaires, de sorties ou de voyages. La malbouffe procure un plaisir immédiat, et bon marché. Enfin, lorsque l’on se débat quotidiennement avec des difficultés financières, la quête de plaisirs faciles constitue un exutoire d’autant plus bienvenu que les difficultés sont grandes. En d’autres termes, quand on n’a plus grand chose, les petits plaisirs du quotidien sont précieux. Comme un McDo. Blâmer les individus pour une faiblesse bien compréhensible devient alors non seulement hypocrite (rappelons ici la responsabilité que possède l’industrie agro-alimentaire dans la production d’aliments néfastes), mais aussi indigne.

L’échec des injonctions sanitaires

Pour lutter contre les conséquences sanitaires d’une alimentation telle qu’en propose McDonald’s, des politiques publiques sanitaires sont aujourd’hui développées. En matière d’alimentation, le ministère de la Santé investit depuis de nombreuses années au sein du Programme National Nutrition Santé (PNNS), aux recommandations bien connues : “5 fruits et légumes par jour”, “Mangez mieux bougez plus”. Outre le fait qu’ils ciblent ouvertement l’individu, et que les seuils en sel, gras et sucre jugés néfastes restent tolérés dans la fabrication des produits alimentaires, cette politique publique adopte une rhétorique fondée sur l’injonction. En martelant informations factuelles et conseils nutritionnels, on espère convaincre rationnellement les individus de modifier leurs habitudes alimentaires. Or, d’une part, et nous l’avons vu, les mécanismes à l’oeuvre dépassent les individus, et d’autant plus quand ils ont peu de moyens. D’autre part, les injonctions issues d’une autorité morale supérieure sont souvent accueillies avec rejet. Ce rejet s’explique tout d’abord par l’absence de compréhension des mécaniques de construction dont ces consignes sont issues. Seul un quart des Français ont d’ailleurs confiance en les autorités sanitaires françaises. Elles sont perçues comme opaques, centralisées et technocratiques, et ne servant pas les intérêts des individus, mais des élites.

Pourquoi rejette-t-on les recommandations ? Par manque de compréhension et par réflexe à l'encontre des restrictions.

Le rejet est également un mécanisme psychologique fréquent, les individus réagissant souvent “à l’encontre des restrictions ou des pressions qui leur sont faites”14. Si ce rejet est prévisible, alors il n’est pas étonnant que le bilan des politiques publiques sanitaires françaises soit si peu satisfaisant après près de 20 ans de diffusion15.

Du constat de l’échec à l’essor de nouvelles politiques publiques sanitaires

La crise sanitaire actuelle constitue une fenêtre d’opportunité pour le renouvellement des politiques publiques. La santé est au coeur des préoccupations mondiales, et les budgets nationaux dédiés s’accroissent. L’obésité constitue un facteur de comorbidité de la Covid-19 : un cas positif à la Covid-19 a plus de chance d’en mourir en étant obèse. L’inefficacité de la lutte contre le surpoids et l’obésité, et en particulier chez les publics précaires, possède donc aujourd’hui des conséquences d’autant plus tangibles. Ne convient-il pas, dès lors, de se distancier des vieilles recettes (autorégulation de l’industrie, injonctions responsabilisantes) pour penser des dispositifs participatifs, compréhensibles de tous, légitimes, et ainsi efficaces ?

Le nutriscore est un système incompris et peu utilisé. Seulement 20% des Français l'utilisent (tout comme les informations nutritionnelles présentes sur les emballages des produits alimentaires).

À quoi bon mettre en place un NutriScore quand la signification des lettres et des couleurs qu’il utilise reste obscure, et que moins de 1 individu sur 5 le consulte16 ? Ou encore investir dans l’éducation à l’alimentation et au goût quand les jeunes restent exposés en moyenne 10 minutes par jour aux publicités alimentaires, à l’efficacité alarmante17 ?


Ne serait-il pas plus cohérent de mettre en place une politique d’aide alimentaire aux plus précaires, qui soit compatible avec leur libre exercice du choix de leur alimentation, et compatible avec les notions de plaisir et de dignité ? L’offre des associations d’aide alimentaire, certes honorable, ne peut en tout cas pleinement y satisfaire. Ne serait-il pas plus cohérent de construire des outils d’information et de formation sanitaires en impliquant les citoyens dans toute leur diversité socio-économique, géographique, générationnelle et culturelle ? Cela ne permettrait-il pas d’aboutir à des dispositifs davantage compris et acceptés ? Enfin, ne serait-il pas plus cohérent de développer une politique de régulation ambitieuse de l’industrie agro-alimentaire, dont les engagements volontaires restent insignifiants18 ? Une taxe sur la malbouffe, sur le marketing alimentaire, voire une interdiction de la publicité alimentaire lorsqu’elle cible directement les plus jeunes, à l’instar des restrictions relatives au tabac et à l’alcool, ne seraient-elles pas de mise (comme d’ailleurs à l’étude récemment par certains parlementaires) ? Car personne ne devrait pouvoir profiter économiquement de la débâcle sanitaire.

Portrait d'Eva Morel, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR EVA MOREL


Directrice du Pôle Études et Opinions chez Parti Civil. Mais aussi, Collaboratrice Parlementaire et Co-Présidente de QuotaClimat. Prise de conscience de l’urgence climatique Transition agricole et alimentaire Politique européenne Egalité des genres et des chances

Notes et sources

1. 111€/personne/mois selon l’étude.
2. Voir à ce propos le livre de Joanne Finkelstein paru en 2014 et intitulé “Fashioning appetite : restaurants and the making of modern identity”, décrivant l’impact des fast-foods sur la modification de l’appétit et des habitudes alimentaires.
3. Voir l’étude d’Angelo et al., publiée en 2016 et intitulée “Sociodemographic Disparities in Proximity of Schools to Tobacco Outlets and Fast-Food Restaurants”, démontrant qu’aux États-Unis, 50% des écoles défavorisées sont à proximité de fast-foods, en comparaison de 21% d’écoles favorisées.
Voir également l’étude de Wilcox et al, publiée en 2012 et intitulée “Frequency of consumption at fast-food restaurants is associated with dietary intake in overweight and obese women recruited from financially disadvantaged neighborhoods”, démontrant que cette concentration accrue de fast-foods accroît de manière significative les risques d’obésité chez les populations concernées.
4. Voir article de l’Union : https://www.lunion.fr/id131124/article/2020-02-12/2019-aura-ete-une-savoureuse-annee-pour-mcdonalds-en-france
5. Voir l’étude INCA3 de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire, accessible (page 7) : https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2014SA0234Ra.pdf
6. Voir article des Échos : https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/comment-mcdonalds-croque-la-france-a-pleines-dents-1171207
7. Selon le rapport de la Cour des comptes datant de 2019, le coût économique de l’obésité s’élève à 21,9 milliards d’euros : https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-12/20191211-rapport-prevention-prise-en-charge-obesite.pdf
8. Selon Santé Publique France : https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2018/peut-on-reduire-les-inegalites-sociales-de-sante-en-creant-des-environnements-favorables-a-une-alimentation-saine-le-dossier-de-la-sante-en-actio
9. Voir les nombreux articles pédagogiques rédigés sur le sujet à destination des étudiants : https://www.etudes-et-analyses.com/blog/decryptage-economique/analyse-swot-exemple-mcdonald-17-08-2017.htmlhttps://www.marketing-etudiant.fr/marques/mcdonalds-marketing.htmlhttp://www.marketing-professionnel.fr/parole-expert/marque-puissante-creation-valeur-mc-donald-201905.html
10. Voir le livre de Robert Lustig publié en 2008 et intitulé “Fat chance, the hidden truth about sugar, obesity and disease”, où est démontrée l’orchestration du caractère addictif du sucre, ingrédient omniprésent dans les produits transformés et la malbouffe.
11. Par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au niveau international, et le Programme National Nutrition Santé (PNNS) au niveau français.
12. Voir l’article de Anne Dupuy et Jean-Pierre Poulain, paru en 2008 et intitulé “Le plaisir dans la socialisation alimentaire”, accessible : https://www.cairn.info/revue-enfance1-2008-3-page-261.htm
13. https://www.oecd.org/gender/balancing-paid-work-unpaid-work-and-leisure.htm#:~:text=French%20men%20and%20women%20spend,and%20drinkers%20in%20the%20OECD.Selon l’étude menée par l’OCDE, les Français passent en moyenne 2h11 à table par jour, soit plus du double du temps passé par les américains (1h01) : https://www.oecd.org/gender/balancing-paid-work-unpaid-work-and-leisure.htm#:~:text=French%20men%20and%20women%20spend,and%20drinkers%20in%20the%20OECD.
14. Théorie de la “réactance” formulée par Brehm en 1981, dans son livre intitulé “Psychological reactance: A theory of freedom and control.”
15. Voir article de J.-M. Lecerf, publié en 2018 et intitulé “Bilan du Programme National Nutrition Santé (PNNS) 3, et perspectives pour le suivant”, accessible : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1957255718300087
16. 16,8% des Européens consultent régulièrement les informations nutritionnelles présentes sur les emballages, selon l’article de Grunert et al., publié en 2010 et intitulé “Use and understanding of nutrition information on food labels in six European countries”.
17. Selon l’enquête menée par Santé Publique France, l’exposition des jeunes aux publicités alimentaires a augmenté entre 2012 et 2018 pour passer à une moyenne de 10 minutes par jour. Celui conduit en moyenne à une hausse de 56% du taux de consommation chez les enfants exposés à la publicité pour des aliments peu sains. Voir l’étude : https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2020/comment-limiter-le-marketing-alimentaire-en-particulier-pour-les-produits-gras-sucres-sales-en-direction-des-enfants-et-des-adolescents
18. Selon la même enquête, “les programmes jeunesse qui font actuellement l’objet d’interdiction de publicité sur les chaînes publiques et de mesure d’autorégulation de la part des industriels de l’agroalimentaire ne représentent que 0,1% des programmes diffusés et moins de 0,5% des programmes vus par les enfants”.

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