Sommes-nous égaux face à la consommation responsable ?

Dans un supermarché, un consommateur hésite entre deux produits (pommes) pour consommer plus responsable et plus sain.

Parti Pris, c’est un espace libre. Chaque article est une prise de position de la personne qui le rédige, qu’elle soit membre de Parti Civil ou invitée.

Est-il équitable de demander à tous les citoyens, sans distinction socio-économiques ou de catégories de revenus, de consommer “responsable” ? Les stigmatisations formulées à l’égard des plus modestes, souvent accusés de dégrader l’environnement, méritent contradiction. Ces accusations remontent loin : dès 1972, l’accélération de la croissance démographique mondiale et ses conséquences sur la surexploitation des ressources suscitent une inquiétude, largement dirigée envers les pays du Sud. La solution préconisée est notamment, dans les années 1970, le contrôle des naissances, exercé sur les plus pauvres vivant cette transition démographique. 

Encore aujourd’hui, ces accusations persistent. Certains1 l’expliquent par le fait que l’impact des pauvres sur leur environnement, concentré géographiquement, serait plus visible que celui des riches, dispersé sur l’ensemble de la planète. D’autres2 se distancent d’explications liés aux revenus, pour plutôt cibler les mauvais systèmes de gouvernance et de gestion des ressources comme responsables de dégradations environnementales.

Aujourd’hui en France, les injonctions à la “consommation responsable” édictées à l’encontre des plus modestes semblent inappropriées.

La consommation responsable regroupe la suppression de l'extrême pauvreté, la réduction des émissions de CO2, la protection de la biodiversité et la diminution radicale des inégalités.

Tout d’abord, car elles manquent de recul sur leur réel engagement socio-environnemental, ne divergeant pas drastiquement du reste de la population. Ensuite, car leurs revenus conditionnent partiellement leur mode de vie, diminuant leur impact socio-environnemental comme conséquence collatérale. Enfin, car accroître les efforts socio-environnementaux menés nécessite un réel accompagnement, en partie financier, du ressort d’acteurs à la fois publics et privés.

Cet article traite de la consommation responsable à l’échelle individuelle, excluant les efforts de consommation responsable (devant être) menés par l’État (à travers la commande publique) et les acteurs économiques (en termes d’approvisionnement et de fonctionnement). N’ayant pas vocation à cibler les individus comme principaux acteurs du changement, les auteurs reconnaissent la complémentarité entre efforts individuels et action ambitieuse de la part de l’État et des acteurs économiques. D’autres articles du think tank suivront, afin de traiter exclusivement de la question du partage de la responsabilité.


Une consommation réellement responsable possède des objectifs clairs

Les injonctions à la consommation responsable sont aujourd’hui omniprésentes : aussi bien médias, politiciens, entreprises que citoyens s’érigent en défenseurs d’une ligne de conduite consumériste exemplaire. La “consommation responsable” reste un concept flou, chacun l’appréhendant à sa manière. L’INSEE la définit comme devant “à la fois [être] moins polluante, moins prédatrice en termes de ressources et de milieux naturels, et limiter au maximum les risques pour l’environnement et les conditions de la vie sur terre”. Une trajectoire est tracée, celle d’une diminution de l’impact des activités humaines sur les écosystèmes, dont l’Homme fait partie. Aucun objectif clair car chiffré n’est cependant fixé. Le Groupement International des Experts du Climat (GIEC) évoque, au sein de son dernier rapport, le respect d’un budget carbone (quotas individuels et collectifs d’émissions de gaz à effet de serre) comme principale ligne directrice consumériste pour permettre un réchauffement climatique bien en deçà de 2°C. Alors que l’empreinte carbone moyenne des français était de 11tCO2/an (soit 11 allers-retours Paris-New York) en 2015, l’atteinte des objectifs fixés par le GIEC impliquerait une réduction à 2tCO2/an ; une réduction de plus de 80%. 

L'empreinte carbone d'un Français est de 11 tonnes de CO2 par an (soit 11 vols aller/retour de Paris à New-York). Pour limiter le réchauffement climatique à 2°C (Accord de Paris), il faudrait que son empreinte carbonne soit de 2 tonnes de CO2 par an (soit 2 vols aller/retour de Paris à New-York).

Au-delà du caractère émetteur de la consommation, son caractère environnementalement responsable fait également écho au respect de la biodiversité (20 objectifs concrets ont par exemple été fixés par la Convention sur la diversité biologique) et du bien-être animal. Enfin, une consommation est considérée responsable par l’ONU si elle respecte des critères sociaux, et s’ancre dans une lutte contre les inégalités et la pauvreté. L’objectif 12 de Développement Durable des Nations Unis y met l’accent.

Un devoir collectif certes, mais différencié

Une définition complète de la “consommation responsable” intègre donc des objectifs de réduction d’impacts à la fois sociaux et environnementaux, et chiffrés. 

À la lumière de cette exigence (dont la futilité ne pourrait être reprochée au vu de l’ampleur des défis que le concept combat), la notion apparaît technique et ainsi difficile d’accès. Au-delà de cette complexité, la consommation responsable est en partie, et nous l’avons vu, un outil de lutte contre la précarité socio-économique. 

Ainsi, demander aux plus modestes3 de consommer responsable consiste à demander aux bénéficiaires d’une politique d’aide sociale d’y contribuer également. Absurde ou cohérent, les opinions pourront ici diverger. Il semble toutefois qu’un concept reconnaissant la perte de dignité et d’autonomie que constitue l’état de pauvreté ne puisse formuler, envers les publics touchés, une attente égale à ceux n’en souffrant pas. Une pondération de l’injonction à la consommation responsable, en fonction de la situation socio-économique, semble alors de mise.

Prise de conscience généralisée et diversité des actions déployées

L’Institut National de la Consommation (INC)4 démontre que les catégories socio-professionnelles n’influent pas dans l’implication individuelle au sein de démarches éco-responsables. Le revenu influe légèrement : les plus modestes5 seraient légèrement moins impliqués que les plus riches6. Les différences d’implication existent, mais les écarts demeurent faibles.

Des différences significatives sont observées en termes d’actions menées : quand les CSP+7 évitent de prendre leur voiture, consomment davantage bio et local, les CSP-8 et les bas revenus empruntent davantage de matériel, achètent d’occasion et pratiquent les dons, achats et échanges d’objets. Les répertoires d’actions varient donc. Ces différences sont également à mettre en perspective au vu de l’influence du revenu sur le mode de vie : bien que les ménages les plus pauvres citent moins le recours à la mobilité douce comme démarche éco-responsable, le taux d’équipement de ces ménages est également moindre. 84% des ménages sont motorisés en France, or seuls 60% des ménages les plus modestes le sont. Bien que le moindre recours à la voiture ne résulte pas d’un choix de consommation responsable, il serait donc pratiqué de façon contrainte.

Toutes et tous inégaux

Les obstacles à la consommation responsable sont nombreux, et les études et sondages les documentant le sont également. Ainsi, près de la moitié des Français9 identifient le coût financier comme principal frein ; le confort personnel est également une variable explicative importante. La charge mentale induite par la multiplication des efforts quotidiens est par ailleurs invoquée de manière croissante, ainsi que le caractère genré de cette charge, car plus fréquemment endossée par les femmes. 

Face à ces nombreux obstacles, il convient de noter que la perception de la difficulté des nombreuses actions éco-responsables varie en fonction de l’âge, du genre, de la géographie, des catégories socio-professionnelles et du revenu. Malgré ces disparités de perception, la quasi-totalité de la population française10 affirme mettre en place des actions de consommation responsable en les adaptant aux contraintes lui étant propres.

En contraste avec une prise de conscience inédite, un impact insuffisant

Face à ces constats, nous concluons au caractère simpliste d’une stigmatisation de certaines catégories socio-économiques ou de revenus pour cause d’inaction socio-environnementale. Chaque individu (ou presque) semble aujourd’hui concerné et acteur, sans qu’une réelle différenciation entre modestes et riches ne prévale. 

L’insuffisance de ces actions reste pourtant un constat partagé, et alarmant. Bien que l’empreinte carbone moyenne des français ait légèrement diminué récemment11, cette diminution reste marginale en proportion du défi. L’érosion de la biodiversité se poursuit également, le risque d’extinction des espèces connues en France ayant à titre d’exemple augmenté en quelques années12. En parallèle, 2018 a marqué une hausse des inégalités de niveaux de vie en France, après une période de stabilisation. Ces quelques indicateurs ne sont qu’un échantillon permettant d’illustrer la continuité des problématiques, malgré une prise de conscience inédite.

Chaque individu semble concerné et acteur, sans qu’une réelle différenciation entre modestes et riches ne prévale. 

Il semble ainsi nécessaire d’accroître la consommation responsable afin de répondre (partiellement, comme expliqué au début de l’article) à ces défis. La diversité des répertoires d’actions dont se saisissent les différentes catégories socio-économiques et de revenus suggèrent des besoins différenciés en termes d’accompagnement et de sensibilisation. Ainsi, alors qu’un développement du recours à l’économie circulaire (seconde main, diminution des équipements et tailles d’équipements, emprunt et dons) est préconisé pour les catégories à hauts revenus, les catégories modestes peuvent être accompagnés selon d’autres modalités : accès à une alimentation bio et locale, moindre utilisation de la voiture, isolations thermiques des bâtiments, etc.

Des politiques d’aide encore frileuses

La consommation responsable est ciblée de manière croissante par l’action publique, et les initiatives privées et associatives. Elle est perçue comme un levier puissant, car étant source de création d’emploi, en plus de ces vertus socio-environnementales initiales. Ainsi, les projets de loi se multiplient, à l’ambition cependant variable. Qu’il suffise de mentionner la récente loi dite Egalim13, ayant seulement contraint les restaurants collectifs à inclure a minima un repas végétarien au choix par semaine.

Rendre accessible l’alimentation saine et durable pour tous

Prenons en exemple les trois axes de consommation responsable les moins adoptés par les catégories les plus modestes ; tout d’abord, l’alimentation durable. La structure des prix alimentaires ne favorise pas, aujourd’hui, une alimentation saine, encore moins “responsable”. Les calories en provenance de produits nutritionnellement sains sont en moyenne plus de 3 fois plus chères que celles en provenance de produits gras, salés ou sucrés.14 À titre indicatif, il a été prouvé que le budget minimal permettant de respecter a minima les recommandations nutritionnelles françaises (en omettant toute considération environnementale) est de 3,5€/jour/personne. Cela est à mettre en perspective des tarifications de l’agriculture biologique, près de 2 fois plus chère à produit équivalent15. Il faudrait donc disposer d’un budget de 7€/jour/personne pour se nourrir convenablement en produits bios. Or le budget alimentation des personnes en situation de précarité se situe à 3,7€/jour/personne16… Il apparaît évident qu’au delà d’un certain niveau de contrainte budgétaire, une aide est requise pour s’alimenter de façon nutritionnellement satisfaisante et environnementalement durable. Réévaluation de la structure des prix du bio à l’échelle de l’Europe, établissement d’un système de sécurité sociale de l’alimentation, promotion des circuits courts d’approvisionnement, distanciation des produits transformés, diffusion des cours de cuisine ? Les solutions restent à inventer, ou à appuyer dans les sphères compétentes. Toujours est-il qu’en l’état, l’alimentation durable reste aujourd’hui inaccessible aux plus modestes.

Pour que tout le monde puisse accéder à une alimentation saine et durable, une aide est requise. En effet, il faudrait un budget de 7€ par jour par personne minimum pour manger bio. Or, les personnes en situation de précarité ont un budget de 3,70€ par jour pour se nourrir.

Développer les solutions de mobilité tout en les décarbonant

En termes de mobilité, la précarité énergétique est identifiée aujourd’hui comme un enjeu fort en termes d’insertion sociale, d’intégration professionnelle et de qualité de vie. La loi de 201517 relative à la transition énergétique pour la croissance verte l’identifie comme une priorité nationale. En France, la moitié des personnes en situation d’insertion ont déjà refusé un emploi ou une formation pour des raisons de mobilité. Le quart ne dispose d’aucun moyen de transport. Dans ces conditions, demander une réduction du recours à la voiture nécessite un plan d’accompagnement robuste. C’est ce que propose la région Auvergne Rhône-Alpes, en développant un plan régional comprenant 22 actions innovantes en matière de mobilité à destination des publics précaires. Citons à titre d’exemples la vente à tarif solidaire de véhicules remis en état, l’aide à la réparation de véhicules, ou encore la mise à disposition de bons de transport pour l’achat de billets de train ou d’avion. Le bilan est positif, bien que le soutien apporté soit marginal, le nombre de personnes touchées par chaque action allant de 50 à près de 150.

Lutter contre la précarité énergétique dans le secteur du logement

Le soutien à l’isolation thermique fait également partie du plan de lutte national contre la précarité énergétique. Le ministère de la Cohésion des territoires couple les objectifs de réduction de la facture énergétique et de réduction de la consommation énergétique, en proposant de soutenir les 7 millions de logements concernés grâce à un plan d’investissement de près de 14 milliards d’euros. Les actions incluent des primes à la rénovation pour faire disparaître les “passoires énergétiques”, des formations de syndicats de propriété à la maîtrise de l’énergie, ou encore des prêts aux ménages modestes. Le bilan s’avère cependant peu concluant : moins de 20% de l’objectif de rénovations énergétiques fixé a été atteint, et un nombre colossal de dossiers de demande d’aide ont été abandonnés18. Enfin, et de façon problématique, l’aide est octroyée aux propriétaires : les plus modestes ne s’en trouvent pas directement bénéficiaires, alors que la précarité énergétique les atteint davantage. Une nouvelle démonstration du caractère insuffisant, peu socio-économiquement différencié, et donc perfectible, des mesures d’aide à la consommation durable. 

L’accessibilité de la consommation responsable, un gage de cohésion

Force est de constater que le soutien financier et l’accompagnement des plus modestes à la consommation responsable sont aujourd’hui identifiés au niveau national, des enveloppes budgétaires y étant consacrés de manière croissante. Quelques exemples d’actions publiques en la matière ont été identifiés, qui trouvent parfois leur pendant côté secteur privé. Un rappel reste toutefois primordial : ces mesures ne visent pas à stigmatiser certaines catégories sociales faute d’une consommation suffisamment responsable. Elles ne constituent pas le redressement de certaines carences fautives, qui seraient observés chez les plus modestes. Ces derniers font aujourd’hui “leur part” au même titre que le reste de la population, en faisant usage d’un répertoire d’action propre à leur situation socio-économique. Les mesures citées se positionnent plutôt comme appui à une transition dont le coût ne peut être également supporté. Par leur déploiement, ces mesures de soutien alliant transition écologique et justice sociale démontrent la quasi-impuissance de la seule action individuelle en matière de consommation responsable. Demander aux citoyens d’agir unilatéralement sans distinction de catégories de revenus n’est plus un discours viable ; une telle injonction se doit d’être complétée d’un soutien public et privé ambitieux, notamment envers les plus modestes.


Opérer une transition citoyenne synchrone et inclusive, semble aujourd’hui fondamental, car gage de cohésion sociale. Il convient de s’en assurer en garantissant l’accessibilité des injonctions à la consommation responsable.

Portrait d'Eva Morel, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR EVA MOREL


Directrice du Pôle Études et Opinions chez Parti Civil. Mais aussi, Collaboratrice Parlementaire et Co-Présidente de QuotaClimat. Prise de conscience de l’urgence climatique Transition agricole et alimentaire Politique européenne Egalité des genres et des chances

Notes et sources

1. Comme Jacques Weber, anthropologue et économiste français, spécialiste de la biodiversité et de la gestion des ressources naturelles : https://www.cairn.info/rendre-possible–9782759219742-page-207.htm#
2. Comme Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie pour son analyse de la gouvernance économique et des biens communs : https://wtf.tw/ref/ostrom_1990.pdf
3. Le terme fera ici référence aux individus vivant sous le seuil de pauvreté.
4. Étude réalisée en 2019 ayant regroupé un échantillon de 5 310 répondants redressé pour être représentatif de la population française.
5. Revenus de moins de 500 € net par mois.
6. Revenus de plus de 1 000 € net par mois.
7. Catégories socio-professionnelles favorisées : chefs d’entreprise, les professions libérales, les professions à plus fort revenu du secteur privé et fonctionnaires de catégorie A.
8. Catégories socio-professionnelles moins favorisées : ouvriers, salariés employés.
9. Selon le baromètre Greenflex.
10. 99,4% de la population selon la même étude de l’INC.
11. De 0,4tCO2/an entre 2010 et 2015 : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-05/datalab-46-chiffres-cles-du-climat-edition-2019-novembre2018.pdf
12. De 15%.
13. Loi n°2018-938 du 30 octobre 2018 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037547946/
14. Quand le coût d’une calorie en provenance de fruits ou légumes se situe autour de 0,70€ pour 100 kcal, il tombe à 0,20€ pour 100 kcal en provenance de matières grasses ou de produits gras, salés, sucrés selon l’INRA : https://alive.inra.fr/opticourses.html
15. Selon UFC Que Choisir, un panier à 70€ non-bio passe à 102€ en agriculture biologique pour les mêmes produits, soit une augmentation de 45% : https://nantes.ufcquechoisir.fr/2020/02/07/enquete-prix-bio/#:~:text=L’enqu%C3%AAte%20a%20permis%20de,soit%20un%20surco%C3%BBt%20de%2080%20%25%20!
16. 111€/personne/mois selon l’étude.
17. Loi n°2015-992 du 17 août 2015 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000031044385/
18. 28% des dossiers ouverts n’ont pas abouti selon l’INC.

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