Parti Pris, c’est un espace libre. Chaque article est une prise de position de la personne qui le rédige, qu’elle soit membre de Parti Civil ou invitée.

Il y a quelques jours, le Parlement européen a voté pour les trois textes composant la nouvelle politique agricole européenne, appelée Politique Agricole Commune (PAC). Rares sont les politiques publiques aussi connues de nom mais incomprises dans leur fond, que ne l’est la PAC. C’est pourtant la première dépense de l’Union européenne, représentant plus d’un tiers de son budget total1. On comprend facilement pourquoi : elle touche à l’un des besoins fondamentaux de la population, à savoir se nourrir. Malgré cette importance de premier plan, elle est constamment remodelée lors du renouvellement de budget européen, tous les 7 ans. Les désaccords sur son façonnement sont nombreux, et concernent notamment trois éléments : le budget lui étant octroyé, ses prérogatives, et sa mise en œuvre dans les États membres. 

Au sein de la nouvelle PAC 2021-2027, ces trois points sont âprement discutés. Malgré le vote du Parlement, les négociations sont toujours en cours entre le Conseil, la Commission et le Parlement (ce qu’on appelle le trilogue), pour finaliser les orientations du programme pour les 7 prochaines années.

Notons, en particulier, le désaccord concernant l’ambition environnementale à donner à cette nouvelle PAC, au vu des enjeux climatiques et environnementaux actuels. Ce conflit fait la une de nombreux journaux, mobilise associations et partis politiques, et suscite de vives réactions au sein des syndicats et interprofessions agricoles. Les écosystèmes et la biodiversité étant les outils de travail direct des agriculteurs, et le terreau de notre sécurité alimentaire actuelle et future, il paraît en apparence curieux d’assister à de tels désaccords. Toutefois, pour ne pas tomber dans de vaines accusations, et systématiquement caractériser les détracteurs d’une PAC verte d’anti-écologistes, il nous appartient de comprendre ce positionnement.


Un outil économique avant tout

Revenons aux origines de la PAC. Créé en 1962 et entré en vigueur en 1968, cet outil a initialement pour ambition de nourrir une Europe d’après-guerre affaiblie, en mutualisant les moyens des États membres de l’UE. Pour cela, la PAC est structurée autour de trois principes2

  • Instauration d’un marché agricole unique, permettant la libre circulation des produits agricoles et l’uniformisation des prix et des réglementations ; 
  • Développement d’une préférence communautaire, en privilégiant la production européenne à celle d’autres pays ;
  • Introduction d’une solidarité financière entre États membres.

Une telle politique favorise la modernisation des “systèmes agricoles”, soit l’ensemble des moyens matériels, humains et financiers permettant le fonctionnement de la chaîne alimentaire, afin d’assurer l’augmentation de la production et in fine, la sécurité alimentaire. Grâce à l’introduction de nouvelles technologies et modes de gestion, les augmentations de production souhaitées sont facilement atteintes aux débuts de la PAC. Tant et si bien qu’en quelques années, la surproduction devient problématique. En 1984, des quotas de production sont donc instaurés pour limiter l’offre et apporter un soutien aux prix de vente menaçant de s’effondrer. 8 ans après les débuts de la PAC, l’UE est autosuffisante alimentairement3 ; 16 ans après, une politique radicale d’encadrement de la production est adoptée.

Mais les quotas s’avèrent insuffisants pour limiter la surproduction, qui reste à un niveau problématique (car, trop de production = baisse de sa valeur). De nouvelles réformes sont adoptées en 1992 : les aides directes distribuées aux producteurs en fonction de la taille de l’exploitation, le gel de certaines terres, et le plafonnement du soutien à certaines filières. En aidant les producteurs à l’hectare possédé et non aux volumes produits, l’incitation de développement se modifie alors : il devient avantageux pour un producteur d’élargir la taille de son exploitation pour maximiser le recours aux aides directes à l’hectare, plus que de produire davantage, les prix de vente étant bas du fait de la surproduction. Autrement dit, il devient plus rémunérateur d’avoir une grande exploitation agricole avec de faibles rendements à l’hectare qu’une petite exploitation possédant de forts rendements. Les conséquences en sont nombreuses : fusion d’exploitations, modernisation des systèmes de production pour s’adapter aux tailles élargies des exploitations, disparition des modes de production paysans, diminution de la main d’œuvre à l’hectare, etc. En Slovaquie, la conséquence en est même l’organisation criminelle de mafias, acquérant des terres agricoles par la force et sans les cultiver par la suite, pour toucher ces aides4.

Depuis sa création en 1968, la PAC (ou Politique Agricole Commune) a mis en place des réformes majeures. De son entrée en vigueur à la mise en place des quotas de productions en passant pas les aides conditionnées au respect des critères sociaux et environnementaux.

Près de 40 ans après le début de la PAC, la question de la compétitivité du secteur agricole se pose toujours, la vente de la production seule ne parvenant à l’assurer. D’autres facteurs exogènes viennent détériorer ce constat : la volatilité des prix agricoles s’accroît à partir de 2005 du fait de la dérégulation des marchés financiers ; la volatilité des aléas climatiques accroît les risques de perte des récoltes5. Un deuxième volet de la PAC est créé en 1999, nommé “second pilier”. Il est dédié au développement rural, en proposant d’intégrer à la quête de modernisation agricole des exploitations une préoccupation de durabilité : la protection de l’environnement et du paysage, de la qualité de vie, la dynamisation des territoires et la diversification de l’économie font leur entrée au sein du programme. Le postulat est qu’en développant les territoires ruraux, le secteur agricole bénéficiera d’une meilleure attractivité, de débouchés variés et davantage locaux, d’une main d’œuvre qualifiée et de meilleures conditions de vie, bienfaits bénéficiant en outre à l’ensemble des habitants. Dans les faits cependant, 4/5ème des aides restent octroyées à un développement agro-centré6, peu orienté vers de tels projets transversaux. Ce second pilier octroie également une grande autonomie aux États membres dans sa mise en œuvre, permettant des stratégies de développement rural nationalisées : l’influence européenne s’amenuise petit à petit.

La prise en compte des enjeux environnementaux au sein de la PAC est croissante : en 2003, le concept de conditionnalité des aides est introduit, par laquelle un minimum de standards doivent être respectés pour se voir octroyer certaines aides. Après un “bilan de santé” en 2007 ayant vocation à améliorer le fonctionnement de la PAC, la réforme de 2013 concrétise l’importance donnée aux enjeux de développement durable en consacrant la conditionnalité des aides et en assurant leur distribution au sein du second pilier vers des projets de diversification économique, d’amélioration de la qualité de vie, et de protection environnementale. Encore une fois cependant, la majorité des aides revient aux projets purement agricoles plus qu’aux projets transversaux.

Les trois textes votés par le Parlement il y a quelques jours bouleversent-ils la trajectoire d’évolution de la PAC après plus de 50 ans de fonctionnement ? Oui et non. L’ambition environnementale est certes relevée par un certains nombres de dispositifs7, mais le soutien économique aux exploitants reste pour autant central au programme, et constitue la dépense dominante. La subsidiarité, soit la délégation de compétences et du pilotage des objectifs aux États membres, est considérablement renforcée : l’atteinte des objectifs européens est donc conditionnée à la bonne mise en œuvre de ces objectifs au niveau national. 

La garantie européenne d’ambition environnementale est donc faible au sein de cette nouvelle PAC. Nous l’aurons vu, ce n’est pourtant pas sa raison d’être initiale, mais plutôt un objectif connexe, montant en puissance au vu de l’urgence climatique et environnementale. Ainsi, à la lumière de ce bref historique, nous pouvons nous interroger : pourquoi autant d’acteurs s’indignent-ils du manque d’ambition affichée par cette nouvelle PAC, alors que son rôle est principalement économique ?

Comment est structurée la PAC (Politique Agricole Commune) ? Les aides directes aux agriculteurs pour soutenir le marché, les prix et les revenus agricoles représentent 70% de son budget. Le développement rural pour une économie dynamique, soutenable et résiliente représente 30% de son budget.

Les politiques européennes, entre prolifération et isolement

Nous avons jusqu’à présent évoqué la PAC comme principale politique publique touchant à l’agriculture européenne. Elle n’est pas la seule s’y attelant, la machine européenne n’étant malheureusement pas si simple. La stratégie européenne pour les 4 prochaines années inclue 6 préoccupations notables :  l’environnement, le numérique, l’économie, la scène internationale, les modes de vie et la démocratie8. L’agriculture se situe à l’intersection de l’ensemble de ces sujets. Elle est donc soumise à des stratégies multiples, au sein de ces différentes thématiques. Au-delà de la PAC, elle est régie par la stratégie Champ à la Table (elle-même intégrée au Green Deal européen, la stratégie environnementale de l’UE), mais aussi à la stratégie Biodiversité, Partenariats internationaux, Consommateurs, ou encore Marché intérieur. 

Il semble jusqu’ici compréhensible que chaque objectif se dote de moyens financiers et humains nécessaires à sa mise en œuvre. Un paradoxe émerge toutefois : en ramifiant les stratégies, ces dernières risquent de ne pas servir pareillement un même objectif. Prenons le climat. L’UE souhaite être neutre en carbone d’ici 20509. Or, alors que l’agriculture est le troisième secteur le plus émetteur en Europe derrière l’énergie et les transports, représentant en France près de 1/5ème des émissions de gaz à effet de serre10, la Commission européenne admet que les politiques prévues pour les prochaines années au sein du secteur agricole ne permettraient qu’une stabilisation des émissions du secteur11. Au sein des récentes négociations de la PAC, les députés européens débattaient entre allouer 30% ou 40% des montants du pilier développement rural à des mesures agro-environnementales. Cela démontre que, malgré l’existence d’une stratégie climat, les objectifs d’autres politiques lui étant directement liées restent malléables. Il semblerait qu’en souhaitant organiser et rationaliser l’action de l’UE, les différentes stratégies en viennent à manquer d’uniformité, voire de compatibilité.

L'agriculture est un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Elle représente 1/5ème des émissions de GES en France. En Europre, c'est le troisième secteur le plus émetteur après l'énergie et les transports.

La nécessaire cohérence des politiques publiques

Le manque d’uniformité diagnostiqué permet donc de comprendre la vague d’opposition à la nouvelle PAC. Ses détracteurs relèvent l’absurdité criante d’une machine politique affichant sa volonté de lutter contre le réchauffement climatique, tout en omettant de se doter des moyens nécessaires au sein des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. En négociant une PAC peu verte, ce n’est pas seulement choisir l’économie face au climat, c’est aussi faire obstacle au Green Deal, et ce pour les 7 années à venir. C’est aussi menacer l’économie agricole à long terme, son outil de travail étant menacé de détériorations profondes. Et c’est contredire le principe de précaution inscrit au sein du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, principe directeur de son action environnementale et climatique. L’enjeu devient alors conséquent, car à l’intersection entre responsabilité morale, et prescription légale.

Mais comment faire autrement, alors que la PAC vient aujourd’hui en aide immédiate à un secteur en difficulté économique ? Rappelons que 1 agriculteur sur 5 ne parvient pas à se rémunérer12, et que le nombre de décès dans la profession est alarmant, en partie du fait de taux de suicides anormalement élevés13. Ces problématiques économiques, il ne s’agit pas de les nier, mais plutôt d’y répondre différemment et sur le long terme. Au lieu de distribuer des aides publiques permettant à un système agricole ni rentable ni durable de perdurer, les détracteurs de la nouvelle PAC promeuvent un système alternatif, n’opposant pas économie et résilience. Il s’agit plutôt de faire en sorte que les aides publiques irriguent les projets permettant de remplir à la fois les ambitions économiques, sociales et environnementales de l’UE. De cette manière, 1 euro investi pour la PAC sera également 1 euro investi pour le Green Deal, et ainsi de suite pour l’ensemble des programmes concernés. La cohérence n’est pas seulement une injonction idéologique, c’est aussi et surtout un gage d’efficacité et d’optimisation budgétaire. Et elle est encore possible !


La nouvelle PAC ayant pris le parti (et le pari) d’accroître la subsidiarité, les États membres disposent encore d’une grande marge de manœuvre dans la définition de dispositifs concrets de son application, au sein de leurs Plans Stratégiques Nationaux (PSN). Par exemple, le second pilier de la PAC (développement rural) est désormais doté du dispositif obligatoire appelé “éco-régime” : des programmes définis par les États, ayant vocation à verdir les systèmes agricoles et alimentaires, et auxquels seront alloués 30% du budget du second pilier14. Ces éco-régimes seront construits au niveau national, de façon libre ; une variété de possibilités s’offre à la France. Favoriser la conversion à l’agriculture biologique, l’innovation environnementale, le développement des circuits-courts, l’introduction de produits durables locaux en restauration collective, la coopération entre exploitations, la transmission des exploitations, l’attractivité du métier d’agriculteur… : les possibilités sont infinies. Encore s’agit-il de s’assurer que les États et leurs collectivités décident d’une orientation ambitieuse de ces éco-régimes. Car, si la subsidiarité laisse encore de l’espoir quant à l’ambition environnementale de la nouvelle PAC en France, elle crée aussi le danger d’une application disparate à travers l’Europe. Une perte d’unité de l’UE sur son poste budgétaire le plus important, aurait sans nul doute des répercussions en termes d’unité européenne. La cohérence est donc plus que jamais de mise, aussi bien entre programmes européens qu’entre États ; nous avons du pain sur la planche !

Portrait d'Eva Morel, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR EVA MOREL


Directrice du Pôle Études et Opinions chez Parti Civil. Mais aussi, Collaboratrice Parlementaire et Co-Présidente de QuotaClimat. Prise de conscience de l’urgence climatique Transition agricole et alimentaire Politique européenne Egalité des genres et des chances

Notes et sources

1. Source : Comprendre l’Europe, accessible ici : https://www.touteleurope.eu/actualite/le-budget-de-l-union-europeenne.html#:~:text=En%202019%2C%20le%20budget%20de,%2C2%20milliards%20d’euros.
2. Source : Supagro, accessible ici : https://www.supagro.fr/capeye/histoire-de-la-pac/
3. Avec des taux de croissance de plus de 2,5% par an, voir ici : https://www.lafranceagricole.fr/1er-avril-1984-l-europe-instaure-la-politique-des-quotas-1,0,3439751696.html
4. Voir documentaire de Arte à ce propos intitulé “La souveraineté alimentaire est-elle en danger ?” accessible ici : https://www.youtube.com/watch?v=vUsOHJHRTKE
5. Voir la proposition de diagnostic faite par la France en prévision du Plan stratégique national de la PAC 2021-2027, et notamment pages 2-3, accessible ici : https://agriculture.gouv.fr/telecharger/107656?token=ccf154ba41b3bf6996372a9ce9eab1c500f71e2b814f126b14ce4e6b8469ed14
6. Voir l’article de François Lataste, Marielle Berriet-Solliec, Aurélie Trouvé, Denis Lépicier, intitulé “Le second pilier de la Politique Agricole Commune : une politique à la carte”, accessible ici : https://www.cairn.info/revue-d-economie-regionale-et-urbaine-2012-3-page-327.htm.
7. Mise en place d’une conditionnalité des aides à des critères environnementaux à l’ambition relevée, développement d’éco-régimes au sein du deuxième pilier permettant aux États membres d’appuyer financièrement des projets agroécologiques sur leur territoire national, et paiements en partie à l’actif plutôt qu’à l’hectare pour inciter à la création d’emploi et freiner l’agrandissement des exploitations. Voir détail ici : https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/113/vers-la-politique-agricole-commune-de-l-apres-2020
8. Consulter la stratégie européenne 2019-2024 ici : https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024_fr
9. Voir ses objectifs climatiques ici : https://ec.europa.eu/clima/policies/strategies_fr
10. Voir rapport de la Fondation Nicolat Hulat Hulot et du Réseau Action Climat, page 19, accessible ici : http://www.fondation-nature-homme.org/sites/default/files/publications/101110_agriculture_et_gaz_a_effet_de_serre-etat_des_lieux_et_perspectives.pdf
11. Voir le rapport publié en 2019 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52019DC0559&from=DA#:~:text=En%202018%2C%20les%20%C3%A9missions%20de,n’a%20cess%C3%A9%20de%20cro%C3%AEtre.&text=de%20GES%20de%2020%20%25%20d,le%20plus%20bas%20depuis%201990.
12. Voir article du Monde se fondant sur les statistiques de l’INSEE : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/11/08/pres-de-20-des-agriculteurs-n-ont-degage-aucun-revenu-en-2017_6018444_3244.html
13. Étude INVS notamment réalisée sur le sujet à la demande du ministère de l’agriculture et de l’alimentation : https://agriculture.gouv.fr/etude-de-linvs-sur-la-mortalite-par-suicide-des-agriculteurs-stephane-le-foll-reaffirme-lengagement
14. Voir le détail ici : https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/food-farming-fisheries/key_policies/documents/cap-post-2020-environ-benefits-simplification_fr.pdf

Envie de continuer votre lecture ?

Parti Pris, c’est un espace libre. Chaque article est une prise de position de la personne qui le rédige, qu’elle soit membre de Parti Civil ou invitée.

Les médias sont aujourd’hui friands d’anecdotes entourant les « végans » (individus ne consommant pas de produits d’origine animale). Vitrines de boucheries saccagées, abattoirs surveillés, les végans sont dépeints comme un mélange entre militants justiciers et ayatollahs de la nutrition. Pourtant, malgré ces caricatures, le phénomène séduit et n’apparaît plus si marginal, concernant en 2014 près de 90 000 personnes en France, ce nombre étant en constante augmentation.


Le véganisme, un acte citoyen avant tout

Afin de dépasser les représentations déformées et les actes violents isolés, il convient de revenir aux causes originelles de ce mode de consommation. Quatre explications sont notamment identifiables.

Être vegan, c'est défendre le bien-être animal, lutter contre le réchauffement climatique, lutter contre la faim dans le monde et préserver sa santé.

Défendre le bien-être animal

Tout d’abord, les végans partent du constat d’une surconsommation de produits d’origine animale dans les pays développés. Tous les ans, la consommation mondiale augmente de plus de 1%, cette augmentation étant en majorité imputable à moins de 10 pays1. Afin d’y répondre, les méthodes de production s’intensifient : concentration des animaux en cages, optimisation des plannings et réduction du temps d’exposition au plein air, réduction des durées de vie, mutilations, etc. Ces pratiques sont, de manière évidente, hostiles au bien-être animal. Beaucoup de végans considèrent cette atteinte comme insupportable, car discriminant certains êtres vivants et causant leurs souffrances au profit d’un plaisir humain éphémère. La hiérarchisation des êtres vivants, positionnant l’être humain au sommet de l’échelle de valeur, est également rejetée par beaucoup.

Lutter contre le réchauffement climatique

L'efficacité du véganisme ? L'élevage est responsable de 1/5ème des émissions de gaz à effet de serre. Une politique ambitieuse de réduction de la viande est l'équivalent de diviser par deux le parc automobile mondial.

Les végans établissent un deuxième constat : celui de l’inéluctabilité du réchauffement de notre planète et de conséquences socio-environnementales catastrophiques si l’on maintient le rythme d’émissions actuel. À lui seul, l’élevage est responsable de près de 1/5ème des émissions humaines2. Certains3 affirment même qu’en prenant en compte l’ensemble des aspects liés à l’élevage, il représenterait la moitié des émissions mondiales ! Si on l’estime à la baisse (1/5ème donc), c’est autant que le secteur de l’industrie (industrie lourde et manufacturière). Cela est notamment lié à la production de nourriture animale impliquant engrais et équipements, à la déforestation nécessaire à l’élevage, au transport international, et au gaspillage. Ainsi, le Groupement International des Experts du Climat (GIEC) prédit que l’efficacité d’une politique ambitieuse de réduction de la consommation de viande serait comparable, en termes d’émissions, à une division de moitié du parc automobile mondial4.

Satisfaire les besoins alimentaires de la population mondiale

Nous l’avons vu, nourrir les animaux qui eux-mêmes nous nourrissent possède un impact carbone conséquent. Cela représente également une occupation de terres agricoles dédiées à cette production ; une perte nette pour la production alimentaire à destination humaine. Cette perte, non-problématique en soi, le devient lorsqu’elle est mise en perspective avec les statistiques concernant la sous-nutrition. À l’échelle mondiale, 800 millions de personnes sont sous-alimentées (accès à un nombre insuffisant de calories et de nutriments). Il est possible d’attribuer ce fléau à de nombreuses causes structurelles5, telles que les modes de gouvernance, de redistribution, le degré d’inégalités entre les femmes et les hommes, d’intervention de l’Etat dans l’économie, et le niveau de concentration de pouvoir au sein des différents maillons de la chaîne alimentaire. Toujours est-il que réduire les taux de consommation de produits carnés est un levier permettant d’accroître la quantité de production alimentaire à destination humaine et de contribuer, certes partiellement, à la problématique de lutte contre la faim. Le Prix Nobel d’économie Amartya Sen déclare lui-même qu’à certains endroits dans le monde, il s’agit encore de produire davantage (en complément de mesures d’accessibilité de la production), comme sur le continent Africain par exemple. Réduire la consommation de produits carnés est également, en termes d’augmentation de la production alimentaire à destination humaine, une solution alternative à l’intensification des modes de production agricole induisant appauvrissement des sols, perte de biodiversité, endettement des producteurs, et conséquences sanitaires pour eux et les populations alentours.

Préserver notre santé

Quel est l'effet de la viande rouge sur notre santé ? Manger trop de viande rouge augmente les risque de cancer selon l'OMS.

Enfin, la surconsommation de viande à laquelle nous assistons aujourd’hui (et à laquelle nous prenons part) possède des conséquences sanitaires non-négligeables. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) classifie la surconsommation de viande rouge comme « probablement cancérigène » pour l’être humain. Elle serait responsable de plus de 34 000 décès par an dans le monde6. Par ailleurs, la consommation de viande est également associée à des régimes riches en calories, et notamment en « calories vides » (ne contenant que peu de propriétés nutritionnelles), que l’on retrouve dans les fast food, produits transformés, etc. Elle alimenterait donc aussi l’épidémie mondiale d’obésité.

Les végans, militants de l’ombre incompris

Face à ces multiples explications issues de données scientifiques et porteuses de sens et d’engagement, il convient de s’interroger sur la polémique sans cesse renouvelée autour du choix du véganisme. Pourquoi le véganisme, en tant que comportement individuel, est-il si dérangeant ?

Parce que la mise en danger du modèle gastronomique et culturel français est souvent opposée comme argument à l’encontre du véganisme, il convient de le mentionner. Relevons ici son absurdité : une gastronomie si réputée car constamment enrichie des apports culturels et innovations culinaires, serait désormais menacée par la proposition d’alternatives non-carnées ? L’introduction de menus 100% végétaliens au sein de restaurants étoilés au guide Michelin prouve le contraire : même les chefs français adhèrent à cette cuisine éco-responsable, y percevant un nouveau défi culinaire. La production agricole française, réputée pour sa qualité reflétée par ses nombreux labels, est également sauve : les végans s’opposent aujourd’hui à une quête de quantité délétère, et prônent le respect de la qualité avant tout.

Ainsi, sans revenir sur l’opposition quasi-systématique à laquelle se retrouvent confrontés les agents du changement, il convient de s’attarder sur les acteurs réellement « menacés » par l’accroissement de ce mode de consommation. Parmi eux, il est possible de nommer les éleveurs, l’industrie agro-alimentaire, les artisans bouchers-charcutiers, l’industrie du cuir, les chasseurs, etc. Il serait selon eux légitime, en tant qu’acteurs dont l’activité économique repose sur la consommation de tels produits, de résister à un démantèlement ou une disparition de leur activité. Mais une telle annihilation est-elle bien la demande du véganisme ?

Au vu des explications formulées ci-dessus, il s’agirait plutôt pour les végans d’adopter un comportement volontairement provocateur, car radical, afin de susciter une remise en question ; non un démantèlement. Afin d’engager une évolution, et non une disparition. Car c’est la nuance qui importe ici. Les végans s’opposent à la maltraitance, luttent pour contenir le réchauffement climatique et limiter ses conséquences, contre les inégalités et pour le maintien d’une espèce humaine en bonne santé. Ils apportent une réponse à l’injonction faite de manière omniprésente aujourd’hui à l’engagement individuel et à la responsabilisation citoyenne, en adoptant une forme de militantisme pacifiste et circonscrit au champ de leur pouvoir d’achat. Leur finalité : l’amélioration des pratiques et la soutenabilité de l’activité économique. En réponse à leur engagement citoyen, une attitude constructive de la part des acteurs économiques concernés serait la remise en cause de leurs processus de production, transformation et commercialisation lorsque nécessaire, et une adhésion de principe lorsque leurs pratiques sont conformes à des standards socio-environnementaux ambitieux.

Vers une politique de végétalisation alimentaire à large échelle

Nous l’avons vu, les végans portent aujourd’hui une double peine : celle d’une lutte militante quotidienne, couplée de la stigmatisation de leur choix. Poursuivre, à l’échelle collective, ce que des mouvements citoyens ont porté jusqu’à présents, permettrait d’alléger leur charge, tout en décuplant son efficacité. Les politiques publiques permettant de répondre à ce défi sont nombreuses. Portons notre attention sur une proposition formulée par de nombreux acteurs de la société civile, du monde associatif, de la recherche et de politiques : la mise en place d’un plan protéique végétal à l’échelle européenne. L’objectif serait à la fois de réduire la dépendance aux importations en provenance d’autres continents et source de déforestation massive, tout en favorisant la production de protéines végétales directement à destination de la consommation humaine.

Le développement d’une telle politique de végétalisation de la production agricole européenne est étudié avec attention, notamment depuis 2018. Plusieurs rapports ont été publiés, indiquant l’effet d’opportunité résidant dans une telle politique pour les acteurs économiques. Car l’urgence climatique et sociale ne suffit que rarement… La végétalisation de la production est, enfin, mise à l’agenda. Beaucoup reste certes à faire pour qu’éclose de ces déclarations d’intentions des préconisations concrètes. Mais, fait notable : la Commission européenne note l’essor des régimes végétariens et végans comme signal fort et accélérateur de mesures ambitieuses au niveau européen7. Avis à ses détracteurs : le véganisme porte ses fruits !

Portrait d'Eva Morel, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR EVA MOREL


Directrice du Pôle Études et Opinions chez Parti Civil. Mais aussi, Collaboratrice Parlementaire et Co-Présidente de QuotaClimat. Prise de conscience de l’urgence climatique Transition agricole et alimentaire Politique européenne Egalité des genres et des chances

Notes et sources

1. Selon le rapport de la FAO accessible ici : http://www.fao.org/3/CA4076FR/CA4076FR_chapitre6_Viande.pdf
2. 18% selon la FAO.
3. Notamment le WorldWatch Institute.
4. Voir article de Médiapart accessible ici : https://blogs.mediapart.fr/edition/il-etait-une-fois-le-climat/article/080915/l-elevage-emet-plus-de-gaz-effet-de-serre-que-les-transports
5. Voir les travaux de Amartya Sen, prix Nobel d’économie, en la matière, les conclusions étant résumées ici par exemple : http://news.aouaga.com/h/9248.html
6. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, rapport ici : https://www.who.int/features/qa/cancer-red-meat/fr/
7. La Commission européenne reconnaît que ces nouveaux modes de consommation ouvrent des fenêtres d’opportunités économiques permettant aux acteurs économiques d’opérer une transition économiquement viable. Voir présentation ici : https://ec.europa.eu/info/news/new-opportunities-eu-plant-protein-market-2019-feb-25_fr

Envie de continuer votre lecture ?