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Le 4 avril dernier, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire déclarait au JDD : « Je préfère que nous nous endettions aujourd’hui, en évitant un naufrage, plutôt que laisser détruire des pans entiers de notre économie ». Le Ministre faisait référence au plan « France Relance » (alors en préparation pour répondre à la crise économique liée à la COVID-19), dont le gouvernement a fait de la transition écologique un des piliers essentiels.

La crise écologique porte en effet en elle un risque d’incertitude économique bien plus violente que celle liée à la pandémie actuelle. Par exemple, les ressources fossiles (comme le pétrole) étant limitées, il arrivera un jour où nous ne pourrons plus nous déplacer, transporter de la nourriture, produire des biens… au rythme où nous le faisons actuellement. Aussi, notre économie doit devenir plus résiliente, c’est-à-dire capable de conserver un fonctionnement permettant d’assurer les besoins essentiels de la population même en cas de choc majeur (économique, politique, social et/ou écologique). Pour cela, il est nécessaire de mettre en place des politiques économiques à la hauteur de l’enjeu, quoi qu’il en coûte.

Mais justement, comment financer une véritable transition écologique de notre économie vers la résilience ?


Des mesures fortes sont nécessaires pour bâtir une économie plus résiliente

En cas d’inaction face au changement climatique, les coûts annuels engendrés pourraient être compris entre 5% et 20% du PIB mondial, contre 1% en cas d’action préventive.1 Cependant, si cette action préventive engendre des restrictions trop importantes sur notre mode de vie (production, transport, etc.), elle sera difficilement acceptable par les citoyens.

Comment dès lors s’assurer du soutien de l’opinion tout en agissant efficacement ?

Il faudrait ni plus ni moins changer de paradigme, pour passer d’une économie basée sur la croissance à une économie basée sur la résilience. L’impératif de croissance qui guide nos politiques économiques gagnerait à être remplacé par celui de “partenariat avec la Terre”2, de coopération respectueuse avec les milieux vivants dont nous dépendons.

Pour cela, nous pourrions commencer par redéfinir nos indicateurs de réussite économique3, comme l’a fait la Nouvelle-Zélande : le PIB ne peut plus être notre principale boussole, car il ne tient pas compte des conséquences environnementales et sociales de la production de richesses. De même, le commerce international devrait être limité en imposant des clauses de suspension en cas de non-respect des engagements climatiques internationaux et en relocalisant un maximum d’activités économiques.

L’Etat a ici un rôle essentiel à jouer en tant que régulateur économique et garant de l’égalité à long-terme : il doit être le moteur de la restructuration de notre économie vers la résilience, en pilotant des investissements stratégiques.

Quels leviers d’action ?

Financer la transition écologique sera coûteux et l’Etat devra donc mobiliser de nouvelles ressources.

Pour cela, le premier levier dont il dispose est la création ou le renforcement de taxes.

Ainsi, la taxe carbone ou contribution climat-énergie (CCE) pourrait être augmentée pour la consommation domestique et instaurée pour les biens importés. Cette taxe permet au prix des biens et services d’intégrer non seulement le coût de production, mais aussi le coût environnemental associé, tel que la pollution ou la consommation en ressources naturelles.

Un « signal-prix » serait alors envoyé au consommateur, lequel aurait tendance à adapter sa consommation à la baisse. Cette baisse de la consommation entraînerait mécaniquement une baisse de la pollution associée à la production.

De plus, la recherche pour une production plus respectueuse de l’environnement serait ainsi stimulée : en effet, on peut faire l’hypothèse forte que les producteurs chercheraient à minimiser l’impact environnemental du produit en question, afin de minimiser le montant de la taxe associée.

Attention aux écueils cependant : en cas de taxation trop faible, le « signal-prix » risque d’être faussé et les effets attendus n’auront alors pas lieu. On peut d’ailleurs constater que c’est le cas aujourd’hui, puisque dans les pays ayant mis en place une taxe carbone, aucune ne reflète le véritable coût écologique correspondant à la production.

La taxe carbone calcule le déficit de tarification carbone, à savoir la différence entre l'impact climatique estimé du carbone et son prix réel. En France, le déficit est de 41%.

De la même manière, une taxation trop importante n’est pas optimale, pour deux raisons. Premièrement, cela peut constituer une incitation à la fraude (à moins de développer une coopération internationale suffisante). Deuxièmement, cette taxe doit pouvoir être supportée par la population ; le mouvement des Gilets Jaunes nous éclaire sur cela.

Ainsi, une récente note du Conseil d’Analyse Economique4 recommande que les recettes tirées de la taxe carbone soient allouées intégralement à la transition écologique et dirigées en priorité vers les ménages les plus modestes. L’économiste Thomas Piketty propose quant à lui d’intégrer cette taxe dans le calcul de l’impôt sur le revenu et suggère également de faire contribuer davantage les plus aisés, par exemple à travers une taxe exceptionnelle sur les hauts revenus 5.

Le deuxième levier permettant aux États de financer la transition écologique est l’emprunt.

Actuellement, les taux d’emprunt sont historiquement faibles, voire négatifs, le moment paraît donc très opportun pour que l’Etat contracte une telle dette.

Certes, les niveaux d’endettement public sont déjà très importants. Néanmoins, ceux-ci ne sont pas forcément problématiques tant que l’État reste soutenable sur le long terme, ce qui est le cas pour la France. De plus, un endettement d’envergure en faveur de la transition écologique serait bénéfique pour l’économie : le passage à une économie verte est un levier important de création d’emplois, dans des secteurs aussi variés que l’agriculture, le bâtiment ou les transports. Cela produirait ainsi de la richesse, laquelle participerait au remboursement de la dette.

La transition écologique est un vecteur d'emploi puisque d'ici 2050, l'économie verte va créer 900000 emplois. Et ce, en débit d'une baisse des emplois dans les seceturs dépendants des énergies fossiles.

Enfin, une troisième piste pourrait être l’intervention directe des banques centrales, en l’occurrence de la Banque Centrale Européenne (BCE).

Celle-ci a interdiction de financer directement la dette des États membres (article 123 TFUE). Cependant, par différents mécanismes tels le quantitative easing, la BCE possède une partie des dettes de ces États (estimée à environ 12% en 2020). Une alternative à un endettement supplémentaire pourrait donc se trouver dans l’annulation de tout ou partie de ces dettes, qui pourrait être conditionnée à des investissements publics en faveur de la transition écologique. Cette position est défendue par de nombreux économistes, dont Alain Grandjean.6

De plus, une partie de la production monétaire des banques centrales pourrait être consacrée à la transition écologique, comme le propose la Fondation Nicolas Hulot.

Au niveau européen, ces solutions sont néanmoins incompatibles avec les traités en vigueur (critères de Maastricht et indépendance de la BCE). Une adaptation de ceux-ci semble donc nécessaire pour répondre à l’urgence écologique ; le contexte actuel y semble d’ailleurs favorable, puisque l’UE a annoncé la suspension des critères de Maastricht dès le mois de mars, constituant un aveu d’inadaptabilité de ces critères en situation de crise. Enfin, le “Green New Deal” que la Commission Européenne souhaite mettre en place constitue un motif supplémentaire à une intervention de la BCE, qui permettrait qu’une politique économique européenne d’ampleur en faveur de la transition écologique se dessine.


Face à la nécessité d’agir en faveur de la transition écologique, les Etats disposent donc de nombreux outils pour assurer une transition viable, pragmatique et juste vers une économie plus résiliente : il leur revient dès à présent de s’emparer de ces solutions pour mettre en place des politiques ambitieuses en ce sens.

PAR SARAH CHAMPAGNE ET BRICE GUILLOTEAU


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Notes et sources

1. Ademe (https://www.territoires-climat.ademe.fr/ressource/174-56).
2. France Stratégie (https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-soutenatablite-seance-1-note-synthese.pdf).
3. Blog de Jean-Marc Jancovici (https://jancovici.com/transition-energetique/choix-de-societe/leconomie-peut-elle-decroitre/).
4. Conseil d’Analyse Economique (http://www.cae-eco.fr/Pour-le-climat-une-taxe-juste-pas-juste-une-taxe).
5. Piketty, Thomas, Capital et Idéologie (Éditions du Seuil, 2019).
6. Blog d’Alain Grandjean (https://alaingrandjean.fr/2020/03/19/coronavirus-premiere-etape-du-combat-pour-une-vraie-transition-ecologique/).

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1 million. C’est le nombre de Françaises et Français tombés dans la pauvreté avec la Covid-191. Nous l’avons bien compris depuis plusieurs mois : voilà une pandémie qui touche tout le monde, et pourtant, nous ne sommes pas toutes et tous égaux face à elle.
En injectant 100 milliards d’euros dans un plan de relance sur 3 ans (2020-2022), l’objectif du gouvernement est triple : écologie – compétitivité – cohésion. Un dernier terme qui renvoie à celui de la solidarité, répété à plusieurs reprises dans le plan. Solidarité entre les territoires, entre les générations, entre chaque acteur de la société française. Cependant, les mesures prises sont davantage favorables aux entreprises et risquent, en réalité, de creuser les inégalités sociales.


Une prise en compte insuffisante des plus précaires

Le plan de relance instaure des mesures sociales favorisant entre autres la sauvegarde de l’emploi, l’insertion professionnelle des jeunes et des personnes handicapées, le soutien aux personnes précaires et au secteur de la santé.

Le gouvernement a pris le parti de cibler en priorité les jeunes, avec pour objectifs principaux de lutter contre la précarité et de promouvoir l’égalité des chances. Parmi les mesures en ce sens, on trouve l’instauration du repas à 1 € dans les restaurants universitaires pour les étudiantes et étudiants boursiers. Également, le plan prévoit de doubler le nombre de bénéficiaires des programmes d’égalité des chances à destination des collégiens et lycéens en situation de défaveur. Ils devraient davantage cibler les lycées professionnels et ceux en zone rurale et isolée.

La répartition des fonds du plan "France Relance" est inégale. Sur les 100 milliards d'euros prévus, seulement 1% est destiné aux personnes en situation de précarité.

Toutefois, les mesures sociales du plan restent insatisfaisantes. Les désormais 10 millions de personnes précaires ont-elles été suffisamment prises en compte ? Moins de 1 milliard d’euros, sur les 100 que prévoit le plan de relance, leur a été destiné2. Pourtant, mettre en place davantage de mesures en leur faveur engendrerait des effets positifs sur l’économie du pays grâce à “l’effet multiplicateur”. En effet, les personnes défavorisées, lorsqu’elles disposent d’un revenu supplémentaire, ont tendance à l’utiliser pour consommer, plutôt qu’à l’épargner. Ainsi, si les dépenses publiques les visent en priorité, elles augmenteront davantage la consommation et stimuleront donc plus l’activité économique3

En outre, le plan vise principalement la relance du secteur marchand, alors que le secteur public a été peu considéré. Il aurait fallu investir plus dans les services publics, notamment dans la santé et dans la recherche. La création d’emplois publics et l’augmentation des salaires des fonctionnaires auraient aussi été souhaitables. À l’inverse, cibler majoritairement les entreprises – même dans une démarche de maintien de l’emploi – risque d’enrichir les plus aisés, notamment en stimulant la bourse ainsi que le marché immobilier.4 Cela contribuera paradoxalement au creusement des inégalités. Les répercussions positives sur l’emploi et les salaires compenseront-elles ce risque ? Il est permis d’en douter.

Aucune contrepartie concrète ne sera demandée aux entreprises

Le plan de relance prévoit une forte baisse des impôts sur les entreprises. Plus précisément, il prévoit une baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), de la contribution économique territoriale (CET), et des impôts fonciers des entreprises5. De plus, il prévoit de distribuer des aides aux entreprises. Or, ces mesures ne feront l’objet d’aucune contrepartie contraignante. En effet, le plan n’envisage aucune mesure permettant de contrôler l’utilisation de ces fonds offerts aux entreprises par l’État. Le risque est donc que les entreprises les utilisent pour verser plus de dividendes à leurs actionnaires, pour investir ou pour baisser leurs prix, plutôt que pour embaucher.

Cette situation pousse à se remémorer l’échec du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Cette mesure, mise en place par le Président Hollande en 2013, abaissait les charges des entreprises afin de leur permettre d’embaucher. Cependant, en l’absence de contrôle de l’État sur l’utilisation faite de cette aide, elles en ont souvent fait un tout autre usage. Résultat : alors que le CICE promettait de créer un million d’emplois en cinq ans, il en a créé six à dix fois moins6.

Le gouvernement prétend qu’on ne peut pas demander de contreparties à une entreprise en difficulté. C’est faux.

En l’absence de contreparties demandées aux entreprises bénéficiaires du plan de relance, le risque est que ce scénario se répète. À nouveau, certaines entreprises utiliseront les fonds de l’État pour, au choix, investir, verser plus de dividendes, ou augmenter les salaires de leurs employés, sans en embaucher de nouveaux. Pire : certaines entreprises pourraient licencier massivement après avoir reçu des aides de l’État et versé des dividendes importants à leurs actionnaires. L’impact social du plan de relance risque ainsi d’être moins positif qu’espéré, puisqu’il ne permettra pas de lutter aussi efficacement que possible contre l’augmentation du chômage.

Une telle situation risque d’alimenter le discours ambiant sur la montée des inégalités. Le gouvernement risque fortement d’être accusé d’avoir fait des « cadeaux aux plus riches » au cœur de la crise, et d’avoir oublié les plus précaires. Cette décision risque de miner encore un peu plus la cohésion sociale dans notre pays. Or, dans la crise inédite que nous traversons, c’est justement l’esprit de solidarité qui nous permettra de nous en sortir. Un facteur de division supplémentaire ne peut que nous enfoncer plus profondément encore dans la difficulté.

Le gouvernement prétend qu’on ne peut pas demander de contreparties à une entreprise en difficulté. C’est faux. Des contreparties peuvent très bien être demandées, sans pour autant gêner le rétablissement économique de l’entreprise. Certes, on ne va pas demander à un patron d’embaucher au beau milieu d’une crise. Mais, pour pouvoir bénéficier d’aides publiques, on peut lui demander de s’engager à embaucher une fois la crise terminée. Ou au moins, lui interdire de verser des dividendes l’année où il reçoit des aides de l’État.

La baisse des impôts sur les entreprises pourrait in fine être payée par les citoyennes et citoyens

Comme vu plus haut, le plan de relance prévoit des baisses d’impôts pour les entreprises. Mais, contrairement aux autres mesures, cette baisse est pérenne : elle continuera à s’appliquer chaque année, même après 2022.

Or, la baisse de ces impôts représentera un manque à gagner pour l’État, de 10 milliards d’euros par an7. Ce chiffre peut sembler un peu abstrait. Il faut néanmoins réaliser qu’il représente une augmentation d’environ 13 % du déficit public. Pour autant, le plan de relance ne prévoit rien pour compenser ce « trou » dans les finances publiques. Et il est important de préciser que le supplément de croissance, qui sera généré par cette baisse d’impôts, ne permettra sans doute pas de compenser complètement cette perte pour les finances publiques. Il est, en effet, très rare qu’une baisse d’impôts s’autofinance pour l’État8.

Pourtant, il faudra bien récupérer cet argent. D’abord, parce qu’une augmentation du déficit public fait courir à notre pays le risque d’une nouvelle crise, qui serait dévastatrice pour notre économie9. Ensuite, parce que les règles de l’Union européenne nous obligent à maintenir notre déficit public en-dessous du seuil de 3 % du PIB. Et même si actuellement, en pleine période de crise, l’Union européenne tolère qu’un pays s’écarte de ce seuil, il faudra bien, une fois la tempête de la Covid-19 passée, revenir à cet objectif. Et donc réduire les déficits publics.

Comment l'Etat français peut compenser une perte de 10 milliards d'euros ? En baissant la qualité des services publics, en augmentant le temps de travail hebdomadaire et les impôts sur les ménages.

Mais alors, comment ces 10 milliards seront-ils récupérés par l’État ? C’est toute la question. Il semble peu probable que l’État revienne sur cette baisse, une fois la crise de la Covid-19 passée. Sinon, pourquoi avoir rendu cette baisse pérenne ? Ce seront sans doute d’autres leviers qui seront mobilisés, et qui feront payer la facture aux citoyennes et citoyens :

  • Baisse des dépenses publiques, ce qui se traduit souvent par une baisse de qualité des services publics (hôpital, école, administrations de proximité…) ;
  • Augmentation du temps de travail hebdomadaire, ce qui permettrait d’augmenter le chiffre d’affaires des entreprises, et donc ce que rapportent les impôts qu’elles paient ;
  • Hausse d’impôts payés par les particuliers, notamment la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). En effet, une hausse d’un point de tous les taux de TVA rapporterait 11 milliards d’euros10, ce qui permettrait de financer intégralement la baisse des impôts sur les entreprises.

Ainsi, en prévoyant des baisses d’impôts pérennes pour les entreprises, qu’il faudra financer d’une manière ou d’une autre, ce plan de relance risque d’avoir, dans un avenir proche, un coût social extrêmement important. Il aurait fallu prévoir, dès le départ, comment cette baisse allait être financée, afin d’éviter une telle incertitude. Mais plus globalement, on peut s’interroger sur le choix de rendre cette mesure pérenne. Dans le cadre d’un plan de relance, il faut prendre des mesures uniquement temporaires, pour faire face à une crise passagère. Une baisse d’impôts pérenne est une décision qui ne semble pas avoir sa place dans un tel plan. Il aurait donc, sans doute, été préférable de faire de cette baisse une mesure temporaire, applicable uniquement jusqu’en 2022, comme toutes les autres mesures du plan de relance. Cela aurait évité l’incertitude sur le financement de cette mesure à long terme.

Qui remboursera les subventions de l’Union européenne, qui financent 40 % du plan ?

L’Union européenne (UE) a mis en place un grand plan de relance de 750 milliards d’euros, destiné à financer les plans de relance nationaux. Sur ces 750 milliards, 390 sont distribués sous la forme de subventions, ce qui est une petite révolution. En effet, pour la première fois de son histoire, l’Union européenne s’est endettée en son nom propre, afin de distribuer l’argent emprunté aux États membres qui en ont besoin. 

Ainsi, le plan de relance français, d’un montant de 100 milliards d’euros, est financé à hauteur de 40 milliards d’euros par ces subventions européennes. Bien entendu, l’Union devra par la suite rembourser ces 390 milliards d’euros.

Le plan France Relance est soutenu par l'Union Européenne à hauteur de 40%, soit 40 milliards d'euros de subventions accordées.

Mais l’UE n’a, actuellement, pas les moyens de rembourser cette somme. En effet, son budget est très faible : ses recettes s’élevaient à seulement 148 milliards d’euros en 2019. À titre de comparaison, les recettes publiques en France s’élevaient la même année à 1275 milliards d’euros11. L’UE va donc devoir trouver des ressources supplémentaires afin de rembourser sa dette. Or, ces nouvelles ressources n’ont pas encore été définies.

Le problème qui en découle est le suivant : le remboursement des subventions européennes aura sans doute un coût social important pour les citoyennes et citoyens. Pour le moment, les pistes principalement explorées sont la mise en place d’impôts européens, et en particulier d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe. Or, une telle taxe ferait monter le prix de beaucoup de produits importés en France, et augmenterait donc le coût de la vie pour la population. La mise en place d’une taxe numérique européenne est aussi sur la table, mais le poids de celle-ci pèserait essentiellement sur les entreprises.

Une autre piste serait l’augmentation des contributions que les États membres versent chaque année à l’UE. Mais cela les forcerait à augmenter les impôts nationaux, ou bien à baisser leurs dépenses, ce qui in fine nuira aux populations européennes. Enfin, l’UE pourrait baisser ses propres dépenses afin de trouver de quoi rembourser son emprunt. Néanmoins, cela se traduira par moins d’aides versées par l’Union aux États membres, ce qui impactera tout particulièrement les agriculteurs français, premiers bénéficiaires de la politique agricole commune.

Le plan de relance européen, qui finance 40 % du plan de relance français, risque ainsi d’avoir un impact social négatif dans les années à venir, suivant la manière dont les subventions européennes seront remboursées. Il est urgent d’accélérer les discussions à ce sujet, afin de trouver une solution permettant de rembourser l’emprunt européen, sans faire peser le poids de ce remboursement sur les citoyennes et citoyens. La finalisation de la taxe sur les transactions financières dans l’Union européenne, discutée depuis 2010, pourrait être une solution.


Le plan de relance contient des mesures sociales à destination des plus précaires. Néanmoins, ces mesures semblent insuffisantes par rapport à celles accordées aux entreprises, qui sont bien plus importantes, et qui ne font l’objet d’aucune contrepartie permettant de garantir des embauches. De plus, à long terme, le financement de ce plan risque de peser sur les citoyennes et citoyens, annulant largement l’effet des mesures sociales. Ainsi, en l’état, le plan de relance risque de bénéficier largement aux entreprises, et d’avoir un effet limité pour les ménages, ce qui minera un peu plus la cohésion sociale dans notre pays.
Enfin, la justice sociale passe, aussi, par la justice environnementale. Un environnement dégradé a des conséquences néfastes pour tout le monde, et en particulier pour les publics les plus fragiles. Or, en matière écologique, le plan de relance semble également insuffisant.

Antoine Batal, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR ANTOINE BATAL


Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, militant chez EELV et bénévole à la Fondation des oeuvres sociales de l’air. Changement climatique Égalité des chances.

Portrait de Marion Crepin, responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR MARION CREPIN


Membre de Parti Civil. Mais aussi, Bénévole en communication chez each One (ex-Wintegreat). Inclusion des personnes réfugiées et en demande d’asile • Egalité des chances

Notes et sources

1. Estimation du collectif Alerte, de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (ATD Quart Monde, Emmaüs, Médecins du Monde…).
https://www.alerte-exclusions.fr/fr/nos-actions/communiques-de-presse/plan-de-relance-les-plus-precaires-une-fois-de-plus-ignores
2. Voir le communiqué du collectif Alerte du 3 septembre 2020.
https://www.alerte-exclusions.fr/fr/nos-actions/communiques-de-presse/plan-de-relance-les-plus-precaires-une-fois-de-plus-ignores
3. Voir l’interview dans Le Monde de Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE-Sciences Po) et directeur de recherche au CNRS.
https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/03/plan-de-relance-dans-une-crise-comme-celle-ci-on-a-compris-que-la-dette-est-une-solution-plutot-qu-un-probleme_6050887_3234.html
4. Voir l’article publié dans Capital, « Thomas Piketty critique le plan de relance, réclame une hausse des salaires », 04/09/20
https://www.capital.fr/economie-politique/thomas-piketty-critique-le-plan-de-relance-reclame-une-hausse-des-salaires-1379586
5. La part de la CVAE prélevée par les régions sera supprimée (elle représente actuellement la moitié de son produit). La CET, actuellement plafonnée à 3 % de la valeur ajoutée de l’entreprise, sera désormais plafonnée à 2 %. Quant aux impôts fonciers (taxes foncières et cotisation foncière des entreprises), ils seront réduits de moitié).
6. Voir l’article publié à ce sujet dans Le Monde par Béatrice Madeline, « Le CICE, beaucoup d’argent pour bien peu d’emplois » https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/18/le-cice-beaucoup-d-argent-pour-bien-peu-d-emplois_6052721_3234.html
7. En effet, la suppression de la part de la CVAE destinée aux régions sera compensée par l’État, qui versera aux régions une partie des recettes de la TVA. C’est donc l’État qui en supportera le coût.
8. Voir l’article de Fipeco, « La baisse des cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises », disponible à l’adresse suivante (consultation le 6 octobre 2020) : https://www.fipeco.fr/commentaire/La%20baisse%20des%20cotisations%20sur%20la%20valeur%20ajoutée%20des%20entreprises
9. Voir la note d’analyse de Fipeco, « Quelles sont les solutions du problème posé par l’augmentation des dettes publiques ? », disponible à l’adresse suivante (consultation le 6 octobre 2020) : https://www.fipeco.fr/fiche/Pourquoi-faut-il-réduire-la-dette-publique-%3F
10. Voir la fiche de Fipeco, « La taxe sur la valeur ajoutée », disponible à l’adresse suivante (consultation le 6 octobre 2020) : https://www.fipeco.fr/fiche/La-taxe-sur-la-valeur-ajoutée
11. Il s’agit de la totalité des recettes publiques, perçues par l’État, les collectivités territoriales, et la Sécurité sociale.

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Quels liens entre désindustrialisation, importations et empreinte carbone?

L’empreinte carbone d’un Français s’élève à 11,2 tonnes CO2eq1 en 2018 et devra diminuer à 2 tonnes CO2eq en 2050 pour respecter les accords de Paris. La part croissante des émissions liées aux importations a compensé la baisse des émissions locales ces dernières années2. La relocalisation de l’industrie française, en plus de l’impact positif tant du point de vue économique que social, relève donc d’un impératif écologique et représente une condition sine qua non à l’atteinte des objectifs climatiques. Il est également important de comprendre les causes de la désindustrialisation française avant de regarder en détail comment le plan de relance de 100 milliards d’euros, qui a pour objectif de redresser l’économie française suite à la crise de la Covid-19, compte pallier la dynamique de déclin de l’industrie française.

Les importations françaises sont un poids pour l'empreinte carbone. En 2018, elles représentaient 57% des émissions de CO2 de la France.

Retour sur les principales causes du déclin de l’industrie française

Le solde de la balance commerciale française est déficitaire depuis le début des années 2000 (depuis 1950 si l’on exclut la décennie 1990), ce qui signifie que la France importe davantage qu’elle n’exporte, et l’inversion de cette tendance n’est pas encore à l’ordre du jour3. En ordre de grandeur, le solde déficitaire en 2019 était de 59 milliards d’euros, soit le même coût que la totalité des importations de pétrole, charbon et gaz françaises4.

L’industrie est la première cause du déficit commercial français et pèse près de la moitié de ce dernier. Ce constat est d’autant plus vrai ces 20 dernières années où la part de l’industrie dans le PIB s’est effondrée. Ainsi le déclin n’est pas récent mais on constate une accélération ces dernières années. S’agit-il d’une tendance générale ou bien ce mal est-il purement français?

Si l’on compare la France avec ses voisins quant à l’évolution de la contribution de l’industrie dans l’économie, on remarque des disparités marquantes. Le Royaume-Uni, premier pays industriel, connaît la même trajectoire que la France avec un déclin industriel marqué depuis des dizaines d’années. En revanche, nos voisins latins, l’Espagne et l’Italie, connaissent un déclin moins marqué et même un regain industriel depuis quelques années. L’Espagne voit même sa production industrielle remonter depuis 20135. La contribution de l’industrie au PIB allemand est même 2 fois plus importante qu’en France. D’autres pays européens parviennent à maintenir une industrie compétitive face aux pays de l’est et asiatiques, il faut donc regarder plus en détail les raisons de la désindustrialisation française.

L'industrie française contribue à hauteur de 12% du PIB. La contribution de l'insdustrie allemande au PIB de l'Allemagne s'élève à 24%. Cet écart entre les deux pays se creuse depuis les années 2000.

Le déclin de l’industrie française depuis les années 1980, avec notamment la perte sèche de 2 millions d’emplois, peut se résumer en 3 points6 :

  1. L’amélioration de l’efficacité des entreprises a entraîné une réduction des emplois industriels qui a été compensée par une croissance des emplois dans le secteur des services
  2. Les gains de productivité ont conduit à une hausse du revenu des ménages qui a modifié les habitudes de consommation en réduisant la part des achats de biens au profit des achats de services
  3. La concurrence étrangère bien que plus difficile à évaluer a également contribué à la destruction d’une partie des emplois industriels

En parallèle de ces 3 grandes tendances, et ce depuis les années 2000, on constate un recul des exportations de produits à haute et moyenne technologie, faute d’investissements. Les entreprises françaises se trouvant enfermées dans un cercle vicieux où, faute de capacités d’investissement elles perdent des parts de marché, ce qui réduit d’autant plus leurs revenus et donc leur capacité à inverser la tendance.

De plus, ce déclin de l’industrie est un paradoxe climatique. Alors que nous bénéficions d’une électricité bas-carbone grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables, nous importons des biens qui viennent dégrader le bilan carbone national, en raison de l’intensité carbone plus élevée des pays exportateurs, mais également en raison du transport de ces biens. Le coût environnemental n’étant en effet pas pris en compte dans le coût réel des produits, il ne permet pas au consommateur de mesurer la portée écologique de ses achats. 

Le plan France Relance a pour objectif de redynamiser les territoires, renforcer la souveraineté nationale et promouvoir la réindustrialisation tout en favorisant la croissance durable. La question est donc de savoir si les mesures sont suffisamment ambitieuses pour répondre à ces objectifs affichés.

Les ambitions du plan de relance

Quels engagements ? Quelles contreparties ?

Le plan de relance de la France est-il assez ambitieux ? Sur les 100 millards prévus, 36 milliards sont pour l'emploi, les compétences et la cohésion territoriale ; 35 milliards pour la compétitivité et l'innovation ; 30 milliards pour la transition écologique.

Le plan de relance7, d’un montant de 100 milliards, se répartit en 3 catégories : Ecologie, Compétitivité, Cohésion. En premier lieu il convient de noter qu’il s’agit avant tout d’un plan de relance économique. Le gouvernement, à travers ses mesures, n’a pas souhaité opposer de frein à la reprise économique ce qui explique pourquoi certaines mesures peuvent entrer en contradiction avec des objectifs environnementaux. Par exemple, aucune contrepartie à l’attribution des financements n’a été clairement définie. La relance économique est un objectif affiché, qu’elle soit “verte” ou “grise” n’est donc pas aussi clair. Il faudra attendre le déploiement des premières mesures afin de connaître précisément les engagements que les entreprises devront prendre. Air France devrait par exemple supprimer des lignes courtes-distance. Des mesures concernant l’égalité homme/femme devraient être mises en place en entreprise, et les emplois devront être au maximum maintenus sur le territoire. Mais ces mesures n’ont pas encore été confirmées. Si l’on prend l’exemple de l’automobile, le secteur a déjà subi une vague de délocalisation massive, avec la perte de 100 000 emplois en 15 ans et une balance commerciale déficitaire de 15 Mds€8. Si les aides ont été annoncées rapidement, les garanties de maintien des emplois locaux se font encore attendre. Ainsi 2 interrogations majeures demeurent, quelles seront les contreparties finales demandées et de quelle manière leur non-application sera sanctionnée?

Calendrier des investissements : en phase avec l’urgence écologique et économique ?

Le plan de 100 milliards est considéré par l’exécutif comme l’un des plus importants d’Europe en termes d’investissements ramenés au PIB. Ce chiffre est à relativiser car les dépenses seront engagées sur 3 ans : 2020, 2021 et 2022 alors qu’à titre de comparaison l’Allemagne engagera 130 milliards sur 2 ans, dont 80 milliards de soutien immédiat pour soutenir les ménages et entreprises. Une arrivée tardive des investissements et aides par rapport à nos voisins retarderait la relance économique ce qui aura pour effet d’accentuer l’écart de compétitivité entre nos industriels et ceux de nos voisins, en particulier les allemands.

Quels sont les principaux secteurs bénéficiaires du Plan de relance ?

En 2018, l’industrie Agro Alimentaire était le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre (GES) (hors secteur énergie), les importations comptant pour la moitié du total. 1 Md€ sera mobilisé afin d’accélérer la transformation du secteur agricole (bio, circuits courts, …), de favoriser l’indépendance protéique et le bien-être animal, et de renouveler les agro-équipements. Or, l’agriculture et l’agro-industrie représentent presque 20% du total des émissions françaises (CITEPA9). Ainsi, l’investissement (1% du budget) peut paraître insuffisant pour transformer le secteur le plus émetteur français. Par ailleurs, certaines mesures de cette transformation ne semblent pas suffisantes. Par exemple, le crédit d’impôt pour l’agriculture biologique ne permettra pas de lever certains freins à la conversion : pénibilité du travail, maillage de coopératives trop faibles, plus grande variabilité des rendements, … 

Le plan concernant l’écologie cible tout de même des secteurs fortement émetteurs de GES. Les secteurs bénéficiant d’aides significatives sont les transports, avec le retour attendu du fret ferroviaire et du train de nuit, et le bâtiment, avec la rénovation thermique. Ces 2 secteurs représentent des emplois non délocalisables et les gains écologiques associés vont permettre de réduire les émissions de CO2 de ces secteurs. Les principaux enjeux seront de trouver un équilibre économique pour la relance ferroviaire car la disparition de ces lignes était due à un manque de rentabilité. Quant au bâtiment, il faudra surveiller l’effet d’aubaine, c’est-à-dire regarder la proportion des travaux qui vont bénéficier d’aides alors que les ménages auraient fait ces travaux sans contreparties. Il faudra également observer la catégorie de ménage ayant recours à ces dispositifs, les plus précaires étant ceux qui vivent dans les “passoires thermiques” mais qui n’ont pas nécessairement les fonds pour engager des travaux, même avec une prise en charge à hauteur de 90%.

Un autre effet à surveiller est l’effet rebond : “les ménages auraient tendance à augmenter leur confort ou diminuer leurs restrictions dans leur logement rénové, dès lors que le service de chauffage leur coûte moins cher”10. Cet effet rebond est complexe à mesurer car dépend de nombreux paramètres : climat, type de chauffage, présence dans le logement, … mais les études tendent à montrer que cet effet rebond annule partiellement les gains attendus avec les travaux de rénovation. La présence du gaz au détriment de l’électricité dans les nouveaux plans de rénovation sera également à surveiller, les entreprises gazières faisant pression pour conserver leur avantage11.

Concernant l’isolation des TPE/PME, un budget de 200 M€ est alloué sous forme d’aide aux travaux d’isolation. D’après le plan de relance, il coûterait 120 000 € à une entreprise d’isoler par l’extérieur un espace de 1000m². À hauteur de 4 millions de TPE/PME en France, le budget de 200 M€ est malheureusement une goutte d’eau, et même si cette aide est la bienvenue, c’est une aide qu’il serait nécessaire de renouveler tous les ans.

Vers une ré-industrialisation massive ?

Les industriels de l’agro-alimentaire français sont soumis à de nombreuses normes afin de garantir la sécurité et la qualité de notre alimentation. Mais de nombreux produits importés ne respectent pas les règles qualité et sociales que nous nous imposons. Ainsi, malgré un engagement de l’État pour promouvoir une alimentation saine, durable, en circuit court, la question de la compétitivité reste au centre des interrogations. Le soutien à l’industrie pourra alors en partie venir de la baisse permanente de 20 milliards des impôts de production et le renforcement des fonds propres des TPE/PME/EPI. Une éventuelle taxe carbone aux frontières12 n’a pas été évoquée dans le plan.

La filière hydrogène est, quant à elle, à citer parmi les grands bénéficiaires de ce plan de relance, et fera l’objet d’investissements complémentaires à l’horizon 2030 pour un montant total de 7 milliards. Contrairement aux investissements à la filière solaire, qui ont surtout bénéficié aux producteurs de panneaux solaires asiatiques, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, souhaite cette fois-ci développer une filière de production française. La France possède des acteurs de première importance sur toute la chaîne de valeur ce qui facilitera le décollage de l’hydrogène “vert”.

Sur le volet économique, le plan prévoit un soutien à l’investissement et aux relocalisations dans la santé, l’électronique, l’agro-alimentaire, ainsi que la 5G. Ces secteurs étant hautement stratégiques en termes d’indépendance et de souveraineté nationale et européenne.

Il est important d’accorder une grande vigilance envers la ré-industrialisation pour une croissance verte. En effet, attention à ce que ne se génère pas un surplus d’émission lié aux exportations. Il ne faut pas oublier que l’écologie doit apporter des solutions à un problème global. Ainsi une partie (seulement) des délocalisations est liée au fait que les entreprises souhaitent placer leur sites de production à proximité de leur marché et est donc bénéfique d’un point de vue environnemental.

L’écologie au cœur de la stratégie ?

Dans le plan de relance, le volet décarbonation de l’industrie peut se résumer en 3 points :

  • L’efficacité énergétique 
  • La chaleur bas carbone
  • La technologie verte

Concernant les thématiques d’efficacité, le point d’attention majeur sera encore l’effet rebond et la surconsommation qui pourrait en découler. Par ailleurs, tout comme les projets de chaleur bas carbone, leur mise en oeuvre se fait sur la base d’un appel à projet et donc sur la volonté propre à chaque entreprise de se lancer dans l’optimisation de ces processus de production. Ces mesures ne sont donc pas contraignantes.

Dans sa déclaration publique sur le fonds de soutien aux industries aéronautique, Bruno Le Maire a annoncé que l’objectif était “d’accélérer la décarbonation de l’industrie aéronautique française” en produisant un avion neutre en Carbone d’ici 2035. 

Une jolie annonce qui pour le moment relève de la fiction comme l’écrit le collectif “supaero decarbo” dans sa lettre ouverte au gouvernement13. L’avion du futur est certes souhaitable, et l’investissement en R&D dans une filière française à hydrogène est nécessaire. Mais, si d’ici 15 ans, nos talentueux ingénieurs réussissent à relever tous les défis (réglementaires, techniques, …) liés à la mise sur le marché de ce nouveau type d’avion – Rappelons qu’il a fallu presques 10 années pour développer l’A380 alors que la technologie en question était maîtrisée – combien de temps faudra-t-il à la flotte mondiale pour se renouveler ? Ainsi, en 2019, Airbus avait une capacité de production avoisinant les 800 avions par an, et bien que l’avionneur souhaite mettre en place de nouvelles lignes, il faudra transformer une flotte de 48 000 appareils d’ici 20 ans.

Par conséquent, il reste une grande part d’incertitude sur le fait que l’aéronautique sortira si facilement de son addiction aux énergies fossiles. Et le plan de relance du secteur n’anticipe aucune stratégie à la gestion d’une industrie qui, faute de réduire sa dépendance, devra probablement  être contrainte de réduire sa voilure.

Beaucoup d’espoirs sont ainsi placés sur quelques technologies qui nous sauveraient (recyclage, hydrogène, …). C’est un constat que l’on peut étendre à toutes les mesures : le plan de relance n’intègre et n’anticipe pas l’hypothèse d’une diminution de l’activité de certains secteurs polluant, et ne propose aucune réponse sur le volet de l’emploi.

Par ailleurs de nombreuses études démontrent que, si l’on prend le problème au global, la voiture électrique n’est pas verte (extraction des ressources pour la batterie, processus de fabrication, …), et ne peut donc pas constituer à elle seule une solution de substitution à la voiture thermique. D’ailleurs, le rapport de la Convention Citoyenne pour le Climat14 préconise la mise en place d’un système de bonus / malus en fonction du poids du véhicule, y compris pour les voitures électriques.


Un plan pas suffisamment ambitieux

Si le plan de relance se concentre bien sur les secteurs les plus émetteurs, il n’est pas assez ambitieux : la date d’engagement des financements est trop étendue par rapport à l’urgence d’une relance économique rapide et les contreparties attendues pour les entreprises bénéficiaires des aides sont pour le moment lacunaires. Pour ceux qui sont inquiets pour nos finances publiques, le plan de relance sera financé par de la dette, or comme le répète Anne-Laure Kiechel, spécialiste française de la dette, elle n’est pas un problème quand elle est utilisée à bon escient, à savoir renforcer la compétitivité d’un État ou financer la transition écologique, raison pour laquelle nous attendons plus de ce plan de relance. Le développement d’indicateurs €/tonne de CO2 évitée pour les mesures ainsi que des annonces de contreparties pour les bénéficiaires des aides seraient des informations essentielles à la bonne compréhension du plan que nous ne possédons pas à l’heure actuelle. Enfin, de nombreuses mesures sont dirigées vers des secteurs à fort potentiel de réindustrialisation, il s’agira de surveiller dans les mois et années à venir si les entreprises ont rempli leur part du contrat.

Portrait de Fiona Hutchinson, responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR FIONA HUTCHINSON


Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, Ingénieure dans l’industrie manufacturière et membre chez CIVIL IMPACT. Responsabilité sociétale des entreprises • Modes de consommations • Alimentation saine et durable

Portrait de Clément Limare, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR CLÉMENT LIMARE


Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, analyste en stratégie pour un industriel français de l’énergie. Prise de conscience du changement climatique Création d’un monde bas-carbone Transition énergétique Transition agricole.

Notes et sources

1. Voir la définition du concept d’équivalent dioxyde de carbone par l’Union Européenne : https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Glossary:Carbon_dioxide_equivalent/fr
2. Voir l’évolution de l’empreinte carbone en fonction des importations/exportations par le Service de la Donnée et des Études Statistiques (page 8) : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-01/document-travail-n%2038-empreinte%20carbone-avril-2018.pdf
3. Selon le rapport “L’industrie manufacturière de 1970 à 2014” de l’Insee : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2121532
4. Selon le rapport “Bilan énergétique de la France en 2019” (Voir Graphique 2 – facture énergétique de la France en page 2) : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-04/datalab-essentiel-211-bilan-energetique-provisoire-2019-avril2020.pdf
5. Selon le rapport de l’OCDE sur l’Espagne : http://www.oecd.org/fr/economie/etudes/Espagne-2018-OECD-etudes-economiques-synthese.pdf
6. Selon le rapport de la DG du Trésor sur les causes de la désindustrialisation en France : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/40bd46a0-80ec-45ca-a6eb-8188b4511e54/files/607b4417-04f7-4095-a295-4dfab49fc167
7. Voir le plan de relance : https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance
8. Voir l’article sur l’industrie automobile française : https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/l-auto-francaise-creuse-encore-un-deficit-commercial-abyssal_709709
9. Selon le rapport CITEPA : https://www.citepa.org/fr/2019_06_a5/
10. Selon le rapport SDES “Les ménages et la consommation d’énergie” : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2018-10/thema-01-menages.pdf
11. Voir l’article sur la fiche technique sur le calcul du contenu CO2 du chauffage électrique en France
12. Voir le rapport de l’OFCE sur l’impact d’une fiscalité carbone aux frontières : https://www.agefi.fr/sites/agefi.fr/files/fichiers/2020/01/taxe_aux_frontieres_ofce_paul_maliet.pdf
13. Voir la lettre ouverte du Collectif SUPAERO-DECARBO au gouvernement : https://www.isae-alumni.net/fr/news/lettre-ouverte-du-collectif-supaero-decarbo-au-gouvernement-6314
14. Rapport de la Convention CItoyenne pour le Climat : https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/

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