Pourquoi le plan de relance creusera les inégalités ?

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1 million. C’est le nombre de Françaises et Français tombés dans la pauvreté avec la Covid-191. Nous l’avons bien compris depuis plusieurs mois : voilà une pandémie qui touche tout le monde, et pourtant, nous ne sommes pas toutes et tous égaux face à elle.
En injectant 100 milliards d’euros dans un plan de relance sur 3 ans (2020-2022), l’objectif du gouvernement est triple : écologie – compétitivité – cohésion. Un dernier terme qui renvoie à celui de la solidarité, répété à plusieurs reprises dans le plan. Solidarité entre les territoires, entre les générations, entre chaque acteur de la société française. Cependant, les mesures prises sont davantage favorables aux entreprises et risquent, en réalité, de creuser les inégalités sociales.


Une prise en compte insuffisante des plus précaires

Le plan de relance instaure des mesures sociales favorisant entre autres la sauvegarde de l’emploi, l’insertion professionnelle des jeunes et des personnes handicapées, le soutien aux personnes précaires et au secteur de la santé.

Le gouvernement a pris le parti de cibler en priorité les jeunes, avec pour objectifs principaux de lutter contre la précarité et de promouvoir l’égalité des chances. Parmi les mesures en ce sens, on trouve l’instauration du repas à 1 € dans les restaurants universitaires pour les étudiantes et étudiants boursiers. Également, le plan prévoit de doubler le nombre de bénéficiaires des programmes d’égalité des chances à destination des collégiens et lycéens en situation de défaveur. Ils devraient davantage cibler les lycées professionnels et ceux en zone rurale et isolée.

La répartition des fonds du plan "France Relance" est inégale. Sur les 100 milliards d'euros prévus, seulement 1% est destiné aux personnes en situation de précarité.

Toutefois, les mesures sociales du plan restent insatisfaisantes. Les désormais 10 millions de personnes précaires ont-elles été suffisamment prises en compte ? Moins de 1 milliard d’euros, sur les 100 que prévoit le plan de relance, leur a été destiné2. Pourtant, mettre en place davantage de mesures en leur faveur engendrerait des effets positifs sur l’économie du pays grâce à “l’effet multiplicateur”. En effet, les personnes défavorisées, lorsqu’elles disposent d’un revenu supplémentaire, ont tendance à l’utiliser pour consommer, plutôt qu’à l’épargner. Ainsi, si les dépenses publiques les visent en priorité, elles augmenteront davantage la consommation et stimuleront donc plus l’activité économique3

En outre, le plan vise principalement la relance du secteur marchand, alors que le secteur public a été peu considéré. Il aurait fallu investir plus dans les services publics, notamment dans la santé et dans la recherche. La création d’emplois publics et l’augmentation des salaires des fonctionnaires auraient aussi été souhaitables. À l’inverse, cibler majoritairement les entreprises – même dans une démarche de maintien de l’emploi – risque d’enrichir les plus aisés, notamment en stimulant la bourse ainsi que le marché immobilier.4 Cela contribuera paradoxalement au creusement des inégalités. Les répercussions positives sur l’emploi et les salaires compenseront-elles ce risque ? Il est permis d’en douter.

Aucune contrepartie concrète ne sera demandée aux entreprises

Le plan de relance prévoit une forte baisse des impôts sur les entreprises. Plus précisément, il prévoit une baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), de la contribution économique territoriale (CET), et des impôts fonciers des entreprises5. De plus, il prévoit de distribuer des aides aux entreprises. Or, ces mesures ne feront l’objet d’aucune contrepartie contraignante. En effet, le plan n’envisage aucune mesure permettant de contrôler l’utilisation de ces fonds offerts aux entreprises par l’État. Le risque est donc que les entreprises les utilisent pour verser plus de dividendes à leurs actionnaires, pour investir ou pour baisser leurs prix, plutôt que pour embaucher.

Cette situation pousse à se remémorer l’échec du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Cette mesure, mise en place par le Président Hollande en 2013, abaissait les charges des entreprises afin de leur permettre d’embaucher. Cependant, en l’absence de contrôle de l’État sur l’utilisation faite de cette aide, elles en ont souvent fait un tout autre usage. Résultat : alors que le CICE promettait de créer un million d’emplois en cinq ans, il en a créé six à dix fois moins6.

Le gouvernement prétend qu’on ne peut pas demander de contreparties à une entreprise en difficulté. C’est faux.

En l’absence de contreparties demandées aux entreprises bénéficiaires du plan de relance, le risque est que ce scénario se répète. À nouveau, certaines entreprises utiliseront les fonds de l’État pour, au choix, investir, verser plus de dividendes, ou augmenter les salaires de leurs employés, sans en embaucher de nouveaux. Pire : certaines entreprises pourraient licencier massivement après avoir reçu des aides de l’État et versé des dividendes importants à leurs actionnaires. L’impact social du plan de relance risque ainsi d’être moins positif qu’espéré, puisqu’il ne permettra pas de lutter aussi efficacement que possible contre l’augmentation du chômage.

Une telle situation risque d’alimenter le discours ambiant sur la montée des inégalités. Le gouvernement risque fortement d’être accusé d’avoir fait des « cadeaux aux plus riches » au cœur de la crise, et d’avoir oublié les plus précaires. Cette décision risque de miner encore un peu plus la cohésion sociale dans notre pays. Or, dans la crise inédite que nous traversons, c’est justement l’esprit de solidarité qui nous permettra de nous en sortir. Un facteur de division supplémentaire ne peut que nous enfoncer plus profondément encore dans la difficulté.

Le gouvernement prétend qu’on ne peut pas demander de contreparties à une entreprise en difficulté. C’est faux. Des contreparties peuvent très bien être demandées, sans pour autant gêner le rétablissement économique de l’entreprise. Certes, on ne va pas demander à un patron d’embaucher au beau milieu d’une crise. Mais, pour pouvoir bénéficier d’aides publiques, on peut lui demander de s’engager à embaucher une fois la crise terminée. Ou au moins, lui interdire de verser des dividendes l’année où il reçoit des aides de l’État.

La baisse des impôts sur les entreprises pourrait in fine être payée par les citoyennes et citoyens

Comme vu plus haut, le plan de relance prévoit des baisses d’impôts pour les entreprises. Mais, contrairement aux autres mesures, cette baisse est pérenne : elle continuera à s’appliquer chaque année, même après 2022.

Or, la baisse de ces impôts représentera un manque à gagner pour l’État, de 10 milliards d’euros par an7. Ce chiffre peut sembler un peu abstrait. Il faut néanmoins réaliser qu’il représente une augmentation d’environ 13 % du déficit public. Pour autant, le plan de relance ne prévoit rien pour compenser ce « trou » dans les finances publiques. Et il est important de préciser que le supplément de croissance, qui sera généré par cette baisse d’impôts, ne permettra sans doute pas de compenser complètement cette perte pour les finances publiques. Il est, en effet, très rare qu’une baisse d’impôts s’autofinance pour l’État8.

Pourtant, il faudra bien récupérer cet argent. D’abord, parce qu’une augmentation du déficit public fait courir à notre pays le risque d’une nouvelle crise, qui serait dévastatrice pour notre économie9. Ensuite, parce que les règles de l’Union européenne nous obligent à maintenir notre déficit public en-dessous du seuil de 3 % du PIB. Et même si actuellement, en pleine période de crise, l’Union européenne tolère qu’un pays s’écarte de ce seuil, il faudra bien, une fois la tempête de la Covid-19 passée, revenir à cet objectif. Et donc réduire les déficits publics.

Comment l'Etat français peut compenser une perte de 10 milliards d'euros ? En baissant la qualité des services publics, en augmentant le temps de travail hebdomadaire et les impôts sur les ménages.

Mais alors, comment ces 10 milliards seront-ils récupérés par l’État ? C’est toute la question. Il semble peu probable que l’État revienne sur cette baisse, une fois la crise de la Covid-19 passée. Sinon, pourquoi avoir rendu cette baisse pérenne ? Ce seront sans doute d’autres leviers qui seront mobilisés, et qui feront payer la facture aux citoyennes et citoyens :

  • Baisse des dépenses publiques, ce qui se traduit souvent par une baisse de qualité des services publics (hôpital, école, administrations de proximité…) ;
  • Augmentation du temps de travail hebdomadaire, ce qui permettrait d’augmenter le chiffre d’affaires des entreprises, et donc ce que rapportent les impôts qu’elles paient ;
  • Hausse d’impôts payés par les particuliers, notamment la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). En effet, une hausse d’un point de tous les taux de TVA rapporterait 11 milliards d’euros10, ce qui permettrait de financer intégralement la baisse des impôts sur les entreprises.

Ainsi, en prévoyant des baisses d’impôts pérennes pour les entreprises, qu’il faudra financer d’une manière ou d’une autre, ce plan de relance risque d’avoir, dans un avenir proche, un coût social extrêmement important. Il aurait fallu prévoir, dès le départ, comment cette baisse allait être financée, afin d’éviter une telle incertitude. Mais plus globalement, on peut s’interroger sur le choix de rendre cette mesure pérenne. Dans le cadre d’un plan de relance, il faut prendre des mesures uniquement temporaires, pour faire face à une crise passagère. Une baisse d’impôts pérenne est une décision qui ne semble pas avoir sa place dans un tel plan. Il aurait donc, sans doute, été préférable de faire de cette baisse une mesure temporaire, applicable uniquement jusqu’en 2022, comme toutes les autres mesures du plan de relance. Cela aurait évité l’incertitude sur le financement de cette mesure à long terme.

Qui remboursera les subventions de l’Union européenne, qui financent 40 % du plan ?

L’Union européenne (UE) a mis en place un grand plan de relance de 750 milliards d’euros, destiné à financer les plans de relance nationaux. Sur ces 750 milliards, 390 sont distribués sous la forme de subventions, ce qui est une petite révolution. En effet, pour la première fois de son histoire, l’Union européenne s’est endettée en son nom propre, afin de distribuer l’argent emprunté aux États membres qui en ont besoin. 

Ainsi, le plan de relance français, d’un montant de 100 milliards d’euros, est financé à hauteur de 40 milliards d’euros par ces subventions européennes. Bien entendu, l’Union devra par la suite rembourser ces 390 milliards d’euros.

Le plan France Relance est soutenu par l'Union Européenne à hauteur de 40%, soit 40 milliards d'euros de subventions accordées.

Mais l’UE n’a, actuellement, pas les moyens de rembourser cette somme. En effet, son budget est très faible : ses recettes s’élevaient à seulement 148 milliards d’euros en 2019. À titre de comparaison, les recettes publiques en France s’élevaient la même année à 1275 milliards d’euros11. L’UE va donc devoir trouver des ressources supplémentaires afin de rembourser sa dette. Or, ces nouvelles ressources n’ont pas encore été définies.

Le problème qui en découle est le suivant : le remboursement des subventions européennes aura sans doute un coût social important pour les citoyennes et citoyens. Pour le moment, les pistes principalement explorées sont la mise en place d’impôts européens, et en particulier d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe. Or, une telle taxe ferait monter le prix de beaucoup de produits importés en France, et augmenterait donc le coût de la vie pour la population. La mise en place d’une taxe numérique européenne est aussi sur la table, mais le poids de celle-ci pèserait essentiellement sur les entreprises.

Une autre piste serait l’augmentation des contributions que les États membres versent chaque année à l’UE. Mais cela les forcerait à augmenter les impôts nationaux, ou bien à baisser leurs dépenses, ce qui in fine nuira aux populations européennes. Enfin, l’UE pourrait baisser ses propres dépenses afin de trouver de quoi rembourser son emprunt. Néanmoins, cela se traduira par moins d’aides versées par l’Union aux États membres, ce qui impactera tout particulièrement les agriculteurs français, premiers bénéficiaires de la politique agricole commune.

Le plan de relance européen, qui finance 40 % du plan de relance français, risque ainsi d’avoir un impact social négatif dans les années à venir, suivant la manière dont les subventions européennes seront remboursées. Il est urgent d’accélérer les discussions à ce sujet, afin de trouver une solution permettant de rembourser l’emprunt européen, sans faire peser le poids de ce remboursement sur les citoyennes et citoyens. La finalisation de la taxe sur les transactions financières dans l’Union européenne, discutée depuis 2010, pourrait être une solution.


Le plan de relance contient des mesures sociales à destination des plus précaires. Néanmoins, ces mesures semblent insuffisantes par rapport à celles accordées aux entreprises, qui sont bien plus importantes, et qui ne font l’objet d’aucune contrepartie permettant de garantir des embauches. De plus, à long terme, le financement de ce plan risque de peser sur les citoyennes et citoyens, annulant largement l’effet des mesures sociales. Ainsi, en l’état, le plan de relance risque de bénéficier largement aux entreprises, et d’avoir un effet limité pour les ménages, ce qui minera un peu plus la cohésion sociale dans notre pays.
Enfin, la justice sociale passe, aussi, par la justice environnementale. Un environnement dégradé a des conséquences néfastes pour tout le monde, et en particulier pour les publics les plus fragiles. Or, en matière écologique, le plan de relance semble également insuffisant.

Antoine Batal, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR ANTOINE BATAL


Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, militant chez EELV et bénévole à la Fondation des oeuvres sociales de l’air. Changement climatique Égalité des chances.

Portrait de Marion Crepin, responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR MARION CREPIN


Membre de Parti Civil. Mais aussi, Bénévole en communication chez each One (ex-Wintegreat). Inclusion des personnes réfugiées et en demande d’asile • Egalité des chances

Notes et sources

1. Estimation du collectif Alerte, de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (ATD Quart Monde, Emmaüs, Médecins du Monde…).
https://www.alerte-exclusions.fr/fr/nos-actions/communiques-de-presse/plan-de-relance-les-plus-precaires-une-fois-de-plus-ignores
2. Voir le communiqué du collectif Alerte du 3 septembre 2020.
https://www.alerte-exclusions.fr/fr/nos-actions/communiques-de-presse/plan-de-relance-les-plus-precaires-une-fois-de-plus-ignores
3. Voir l’interview dans Le Monde de Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE-Sciences Po) et directeur de recherche au CNRS.
https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/03/plan-de-relance-dans-une-crise-comme-celle-ci-on-a-compris-que-la-dette-est-une-solution-plutot-qu-un-probleme_6050887_3234.html
4. Voir l’article publié dans Capital, « Thomas Piketty critique le plan de relance, réclame une hausse des salaires », 04/09/20
https://www.capital.fr/economie-politique/thomas-piketty-critique-le-plan-de-relance-reclame-une-hausse-des-salaires-1379586
5. La part de la CVAE prélevée par les régions sera supprimée (elle représente actuellement la moitié de son produit). La CET, actuellement plafonnée à 3 % de la valeur ajoutée de l’entreprise, sera désormais plafonnée à 2 %. Quant aux impôts fonciers (taxes foncières et cotisation foncière des entreprises), ils seront réduits de moitié).
6. Voir l’article publié à ce sujet dans Le Monde par Béatrice Madeline, « Le CICE, beaucoup d’argent pour bien peu d’emplois » https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/18/le-cice-beaucoup-d-argent-pour-bien-peu-d-emplois_6052721_3234.html
7. En effet, la suppression de la part de la CVAE destinée aux régions sera compensée par l’État, qui versera aux régions une partie des recettes de la TVA. C’est donc l’État qui en supportera le coût.
8. Voir l’article de Fipeco, « La baisse des cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises », disponible à l’adresse suivante (consultation le 6 octobre 2020) : https://www.fipeco.fr/commentaire/La%20baisse%20des%20cotisations%20sur%20la%20valeur%20ajoutée%20des%20entreprises
9. Voir la note d’analyse de Fipeco, « Quelles sont les solutions du problème posé par l’augmentation des dettes publiques ? », disponible à l’adresse suivante (consultation le 6 octobre 2020) : https://www.fipeco.fr/fiche/Pourquoi-faut-il-réduire-la-dette-publique-%3F
10. Voir la fiche de Fipeco, « La taxe sur la valeur ajoutée », disponible à l’adresse suivante (consultation le 6 octobre 2020) : https://www.fipeco.fr/fiche/La-taxe-sur-la-valeur-ajoutée
11. Il s’agit de la totalité des recettes publiques, perçues par l’État, les collectivités territoriales, et la Sécurité sociale.

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