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L’été dernier, en Californie, une des régions les plus riches du globe, des black-out ont privé des centaines de milliers d’américains d’un service de première nécessité. Ce raté soulève plusieurs problématiques, dont une commune à tous réseaux électriques : la pilotabilité du réseau, c’est à dire notre capacité à faire varier la quantité d’électricité sur le réseau à un moment donné pour correspondre à la demande. Quand on parle du développement des sources d’énergie renouvelable, l’aspect non-pilotable de la plupart de ces sources ressort comme un des enjeux majeurs de leur essor. Pour pallier ce problème, la solution du stockage de l’électricité est souvent mentionnée, avec la mention d’utilisation de technologies complexes comme les batteries ou l’hydrogène (On en avait même fait un article ici !). Ces technologies reposent sur des promesses d’innovation pour être fonctionnelles et viables à grande échelle. Cependant, est rarement évoqué le système de stockage éprouvé depuis plus d’un siècle, nommé STEP.


Une step, c’est quoi ?

Acronyme de Station de Transfert d’Energie par Pompage, une STEP est une centrale hydro-électrique spécifique, capable de faire monter de l’eau d’un bassin inférieur vers un autre situé plus en altitude pour stocker son énergie potentielle.

Pour comprendre le fonctionnement de cette technologie, quelques rappels sur l’hydroélectricité s’imposent. Les centrales hydroélectriques sont des usines munies d’une turbine, que l’eau sous pression provenant d’un court d’eau fait tourner. L’énergie de la pression de l’eau se transforme en électricité grâce à un alternateur lié à cette turbine. Les centrales peuvent être de deux sortes :

  • Avec retenue. Un barrage retient ici l’eau pour former un stock et utiliser ce stock lorsque nécessaire. C’est donc une énergie pilotable.
  • Au fil de l’eau. Pas de barrage ici, une partie du courant est simplement déviée dans la centrale, en fonction du débit du cours d’eau et sans stock possible, c’est donc une énergie non-pilotable.

Les STEP font partie de la première catégorie de centrale. Leur particularité est que la turbine, la partie mécanique de la centrale qui convertit la pression de l’eau en électricité, peut devenir en quelques minutes une pompe. Aux heures de faible consommation sur le réseau, le trop plein d’électricité est utilisé afin de déplacer l’eau de son bassin inférieur vers son bassin supérieur.Cela permet de stocker l’énergie qui, autrement, aurait été perdue. À l’inverse, aux heures de forte consommation, l’eau descend du niveau supérieur vers le niveau inférieur et actionne une turbine : c’est le turbinage qui permet de produire de l’électricité (comme dans une centrale hydro classique). La capacité de stockage est déterminée par la taille des bassins, et par différence d’altitude entre les deux bassins. Plus le dénivelé est grand, plus l’énergie stockée par litre d’eau déplacée l’est aussi.

Pas de procédé industriel complexe, pas de mine de cobalt et de lithium dans les pays émergents. Avec un rendement énergétique supérieur aux autres technologies de stockage (>75% contre 25% pour l’hydrogène et 70% pour les batteries[1]), les STEP ont un potentiel réalisable énorme en Europe (14 pays étudiés[2]), 10 fois supérieur au gisement exploité en 2013. Bien que le potentiel gisement soit énorme, il n’en reste pas moins que les STEP sont dès aujourd’hui un outil majeur de stabilité du réseau. En 2020, 99,2% de la puissance de stockage installée sur le réseau Français était hydraulique[3]. L’énergie produite dans ces centrales correspond à environ 5% de toute la production hydro-électrique Française[4], et contribue à la stabilité du réseau en période de forte demande comme cet hiver.

Futur des STEP

Malgré le rôle stratégique de STEP dans la stabilité du réseau électrique, la stratégie des différents pays Européens sur ce sujet diverge.

L’Allemagne était en 2019 le pays européen le plus fourni en STEP. Cependant, avec un gisement 20 fois supérieur à son potentiel exploité[1], l’Allemagne a décidé de ne plus investir dans cette technologie, ni même dans l’hydro-électricité au sens large. Elle mise maintenant sur la croissance des batteries et de l’hydrogène comme solution de stabilité du réseau.

À l’inverse, l’Espagne qui possède un gisement 10 fois plus grand qu’en Allemagne, a choisi d’investir massivement dans les STEP. La politique d’É     tat prévoit de doubler sa puissance installée dans les 10 prochaines années, alors que ce pays est déjà le deuxième dans la liste des pays les plus producteurs d’électricité issue des STEP.

La France, elle, n’envisage pas d’augmenter sa capacité de stockage mais plutôt d’utiliser l’effacement, c’est-à-dire l’utilisation de moyens de production pilotables comme le nucléaire ou le gaz, pour maintenir un réseau stable.

Cependant cette logique n’est pas applicable aux régions qu’on appelle Zones Non-Interconnectées (ZNI), comme les îles par exemple. Ces zones ne peuvent pas bénéficier de l’électricité produite par une centrale nucléaire en métropole, et le gaz y est difficilement transportable. Traditionnellement leur mix électrique est donc fortement composé de pétrole, très polluant. Pour les ZNI, le meilleur moyen de conserver un réseau stable tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre du réseau est donc de développer le stockage local.

Depuis 2014 dans la plus petite île des canaries, el Hierro, un système hybride Eolien-STEP a été mis en place pour subvenir aux besoins de ses 10 000 habitants et des 60 000 touristes annuels de l’île.  Ce modèle est à la fois bon d’un point de vue environnemental, et pourrait permettre aux ZNI, historiquement très dépendantes du prix du pétrole, d’accéder à une plus grande autonomie financière.

Limites des STEP

À la lumière des avantages que présente cette technologie face au défi climatique, il convient de s’interroger : Pourquoi les politiques, investisseurs et médias ne semblent pas ou peu intéressés par les STEP ?

Il existe plusieurs raisons à cela :

La petite hydro n’intéresse pas le secteur public

Tout d’abord, il existe dans l’hydro-électricité une division importante entre la petite et la grande hydro-électricité. L’État français a historiquement énormément investi dans la grande hydro, laissant les plus petites centrales de moins de 10 MW à l’investissement privé. Cette décision, probablement due à des questions d’économies d’échelle dans la gestion des centrales, est exacerbée sur la technologie STEP. Il n’existe en France que 6 grosses centrales STEP, toutes propriété      d’EDF. Pour les centrales de cette taille, il n’existe plus de gisement non-exploité en France, ce qui limite l’intérêt d’EDF pour cette technologie.

Le modèle économique des STEP n’est pas assez rentable (pour l’instant)

Pour les petites STEP, on pourrait donc s’attendre à ce que des investisseurs privés aient un rôle dans leur développement, comme ils ont pu l’avoir pour les petites centrales hydro-électriques standards. Se pose alors le problème majeur des STEP, à savoir leur modèle économique. Les actifs hydro-électriques sont globalement très demandant en investissement initial, et possèdent une durée de vie extrêmement longue (>100 ans). Cependant, leur taux de retour sur investissement est faible, autour de 4% en France. Cela signifie qu’un investissement est rentable à partir de 25 ans, un horizon de temps très long pour les modèles d’investissement actuels.

Cet horizon temporel lointain de retour sur investissement s’applique également aux STEP, qui ne produisent pas d’énergie      à proprement parler. Comme tout outil de stockage, elles créent de la valeur économique grâce aux différences en temps réel du prix de l’électricité, dit prix SPOT. Ces centrales achètent de l’électricité à bas coût en heures creuses, et la revendent en heures de pointe à une valeur plus élevée. La forte proportion du nucléaire dans le mix électrique français par rapport aux énergies non-pilotables permettant une volatilité faible de ce prix SPOT, la rentabilité de ce mécanisme en est donc affectée.

La croissance de la part de solaire et d’éolien dans le mix électrique pourrait accentuer cette volatilité, et rendre ce type d’actif plus rentable.

Les investissements sur temps long demandent de la confiance

Nous l’avons évoqué plus tôt, les actifs hydro-électriques sont des investissements rentables sur le long terme. Les investisseurs qui placent leur argent dans ce type d’actifs doivent donc avoir confiance en la rentabilité de leur investissement. Celle-ci ne doit pas s’écrouler du jour au lendemain, du fait notamment d’un changement de politique publique.

Or, les politiques publiques concernant l’énergie évoluent, selon le bord politique du Gouvernement en place. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui définit la feuille de route énergétique du pays, est modifiée tous les 5 ans. Pire, elle n’est qu’indicative d’une stratégie et en aucun cas contractuellement engageante pour des investisseurs qui voudraient anticiper les changements à venir du mix électrique. Il est donc trop risqué pour les investisseurs de parier sur un investissement d’une telle ampleur temporelle, qui miserait sur l’augmentation des énergies renouvelables sur les 20 prochaines années.

Limites de stockage

Le stockage d’électricité de manière générale est très utile pour pallier les différences entre les pics et les creux de demande au cours d’une journée, voire d’une semaine. Cependant, pour des variations saisonnières fortes, aucun système de stockage ne saurait suffire à compenser les différences à la fois d’offre et de demande.

La demande, tout d’abord, est dépendante de la saison, et compenser une augmentation de 20% de la consommation électrique Française entre un jour d’hiver et un jour d’été demanderait 263 GWh soit 1,4 fois la quantité d’énergie stockée par les STEP françaises à leur plein.

Si le stockage est utile et nécessaire à la stabilité du réseau, il ne sera peut-être pas suffisant dans un monde 100% renouvelable.

Acceptation des projets

L’introduction de nouveaux projets hydrauliques, qui plus est avec barrage, rencontre aussi des difficultés d’acceptation des populations et de l’administration. Deux raisons à cela : l’altération du paysage visuel et sonore et l’impact écologique. En effet, comme tout actif énergétique, les STEP ne sont pas sans conséquences sur leur environnement. La création de lacs artificiels en amont et en aval de la centrale provoque  des inondations qui modifient les habitats naturels de la faune locale.


L’abandon des énergies fossiles est nécessaire à une transition énergétique aboutie. Pour ce faire, toutes les pistes pour augmenter la capacité de stockage doivent être poursuivies pour compenser l’intermittence de l’éolien et du solaire. L’hydraulique a son rôle à jouer dans ce contexte, et pour lui donner la place qu’il mérite un changement devra s’opérer, soit dans la planification des investissements et les horizons de temps considérés pour celle-ci, soit dans les méthodes de rémunération de l’électricité.

PAR BARTHÉLÉMY MARAVAL

Notes et sources

1. Xxx
2. Xxx

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Il y a 5 ans jour pour jour, le 12 décembre 2015, les discussions de la COP 21, aussi connue sous le nom de Conférence de Paris ou Accord de Paris, prenaient fin. Elles ont permis d’aboutir à un nouvel accord international historique sur le climat. Cet accord, contraignant et applicable à tous les pays, vise à maintenir le réchauffement mondial en deçà du seuil de 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels (1850), conformément aux préconisations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

La COP 21 est entrée formellement en vigueur le 4 novembre 2016 et est désormais ratifiée par 187 Parties (dont les 28 de l’Union européenne) représentant 96,98% des émissions1.

Concrètement, que contenait cet accord en termes d’engagements climatiques ? Les États ont-ils respecté leurs engagements ? Ces engagements sont-ils compatibles avec les scénarios 1,5°C et 2°C ? Quels sont les risques si les États venaient à manquer leurs engagements ?


Quels étaient les enjeux et les objectifs de la COP 21 ?

Une COP est une conférence internationale sur le climat qui réunit chaque année des pays signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC). Lors de la COP 21, en 2015, les 197 membres, aussi appelés parties à la négociation, se sont engagés à formuler des stratégies de développement à faible émission de gaz à effet de serre (GES) sur le long terme. Si des accords similaires avaient déjà été conclus en Europe, notamment dans le cadre du “Paquet climat-énergie 2020”2, celui-ci est le premier au niveau mondial à lutter directement contre le réchauffement climatique de manière contraignante. Les membres signataires se sont en effet engagés à respecter les objectifs contraignants qu’ils ont eux-mêmes définis, par opposition à des objectifs globaux qui auraient pu être imposés par la communauté internationale.

Un accord international qui prend en compte les différences des États signataires

L’accord reconnaît une responsabilité partagée mais différenciée des États. En d’autres termes, l’accord prend en compte les capacités relatives de chaque État à lutter contre le réchauffement climatique mais également les contextes nationaux différents. En effet, si la Chine est l’un des pays les plus émetteurs, cela n’a pas toujours été le cas. L’Europe et les États-Unis sont à date, les 2 plus gros émetteurs de CO2 en cumulé depuis le 18ème siècle et ont donc une responsabilité différente du fait de leur responsabilité passée3

Graphique représentant les émissions de CO2 des membres de la COP 21 (ou Accord de Paris).

Un accord qui prend en compte les questions de justice climatique

Une autre spécificité de cet accord est la notion de justice climatique. Les 197 membres n’ont pas tous le même niveau de développement. En particulier, les pays en voie de développement n’ont pas la même capacité que les pays les plus développés à développer des solutions technologiques efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique. De ce fait, les pays les plus développés se sont engagés à apporter des financements pour aider les pays en voie de développement, à hauteur de 100 milliards de dollars par an, mais aussi à assurer un transfert de technologie afin de permettre à tous les pays de disposer des solutions nécessaires pour décarboner leur économie.

Un accord dynamique qui a vocation à réhausser les objectifs climatiques

Enfin, l’accord est défini comme dynamique dans le sens où les pays doivent revoir leurs engagements à intervalle régulier et renforcer leurs engagements en termes de réduction des émissions. Aussi, si l’objectif officiel est de limiter l’augmentation moyenne de la température en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, les pays sont vivement encouragés à poursuivre leurs efforts afin de contenir le réchauffement climatique aux alentours de 1,5°C. En pratique, l’Accord de Paris prévoit que chacun des pays revoie tous les cinq ans ses engagements pour poursuivre l’effort de diminution de ses émissions de GES.

Afin de s’assurer que les pays augmentent continuellement leurs efforts dans la lutte contre le dérèglement climatique, chaque nouvelle contribution déterminée au niveau national devrait intégrer une progression par rapport à la précédente. Cependant, l’accord en lui-même et l’atteinte de l’objectif des 2°C ne sont pas contraignants juridiquement, seuls les Nationally Determined Contributions4 (NDC) le sont. Les pays ont donc été libres de fixer eux-mêmes leurs engagements nationaux et ce sont uniquement ces NDC qui sont contraignants. Le problème étant qu’à l’heure actuelle, les objectifs fixés dans les NDC ne permettent pas d’atteindre les 2°C. C’est l’une des critiques principales de l’accord car de nombreuses ONG pensent que certains pays ne feront pas suffisamment d’efforts pour atteindre puis rehausser leurs objectifs.

L’accord en lui-même et l’atteinte de l’objectif des 2°C ne sont pas contraignants juridiquement, seuls les Nationally Determined Contributions4 (NDC) le sont. Le problème étant qu’à l’heure actuelle, les objectifs fixés dans les NDC ne permettent pas d’atteindre les 2°C.

Les objectifs

Selon les données du GIEC, il faudrait que les émissions mondiales baissent de 40% à 70% d’ici à 2050 (par rapport au niveau de 2010) et atteindre une économie neutre en carbone durant la deuxième partie du XXIe siècle, idéalement dès 2050, pour limiter le réchauffement climatique à une hausse de température de 2°C à l’horizon 2100. Chaque région du monde ayant des responsabilités et des situations différentes. 

Pour rappel les principaux émetteurs en 2012 étaient la Chine, les États-Unis et l’Europe.

Les principaux émetteurs de gaz à effet de serre dans le monde sont la Chine (23,75% des émissions des GES), les Etats-Unis (12,1% des émissions des GES) et l'Europe (

Les objectifs de ces 3 régions du monde qui comptent pour près de 45% des émissions de GES mondiales suite à l’Accord de Paris étaient les suivants :

  • La Chine prévoit d’atteindre son pic d’émissions en 2030, même si elle ambitionne de l’atteindre avant, de produire 20% de son énergie à partir de sources d’énergie bas-carbone à l’horizon 2030 et de diminuer ses émissions de CO2 par unité de PIB de 60 à 65% par rapport au niveau de 2005 à l’horizon 2030. 
  • Les États-Unis prévoyaient avant leur sortie de l’accord de diminuer leurs émissions de GES de 26 à 28% par rapport au niveau de 2005 à l’horizon 2030.
  • L’Europe a décidé de fixer l’objectif de réduction des émissions de 40% par rapport au niveau de 1990 à l’horizon 2030 dans son “Cadre d’action en matière de climat et d’énergie d’ici à 2030”6.

5 ans plus tard, où en est-on ?

Chine

La Chine devrait respecter à la fois son engagement pour 2020 et ses objectifs en matière de NDC, malgré l’augmentation des émissions à moyen terme. Le précédent négociateur principal de la Chine sur le climat, Xie Zhenhua, avait exprimé l’opinion que la Chine pourrait atteindre ses objectifs de 2030 de manière précoce. Ces résultats ont été confirmés dans de nombreuses études ce qui laisse penser que la Chine devrait effectivement réussir à atteindre son pic d’émissions avant 2030, possiblement autour de 20257. Climate Action Tracker, un organisme indépendant qui suit l’action des gouvernements quant au respect de l’Accord de Paris, confirme que la Chine est également susceptible d’atteindre sans risque son objectif d’intensité carbone (quantité de GES émis par unité de production d’énergie) de 20308.

La raison principale est que l’objectif affiché par la Chine dans son NDC n’est pas compatible avec un scénario 1,5°C mais plutôt un scénario 3°C ou 4°C. Les récentes déclarations laissent cependant espérer que la Chine devrait rehausser ses objectifs et s’afficher comme un nouveau leader dans la lutte contre le dérèglement climatique9. La Chine reste le 1er émetteur au niveau mondial mais possède des géants mondiaux dans les secteurs des énergies renouvelables, du nucléaire, des véhicules électriques, etc. Une politique écologique volontariste permettrait à la Chine d’afficher un plan climat à la hauteur des enjeux, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.

L’objectif affiché par la Chine dans son NDC n’est pas compatible avec un scénario 1,5°C mais plutôt un scénario 3°C ou 4°C.

États-Unis

Les États-Unis devraient voir leurs émissions baisser de 20 à 21% par rapport au niveau de 2005 à l’horizon 2020. Si les États-Unis étaient restés dans l’Accord de Paris, ils auraient pu atteindre leurs objectifs de 26 à 28% de réduction de GES par rapport au niveau de 2005 à l’horizon 2030, principalement en raison du Covid et de la réduction des émissions liées à la production d’électricité (grâce à un moindre recours aux centrales à charbon)10.

Le problème des États-Unis n’est pas tant leur capacité à atteindre les objectifs de la NDC que leur volonté de rehausser les objectifs afin qu’ils soient compatibles avec les scénarios 1,5°C. Si tous les pays suivaient l’approche des États-Unis, le réchauffement climatique pourrait atteindre 3°C. La perspective d’un changement de cap avec l’élection de Joe Biden qui va faire réintégrer aux États-Unis l’Accord de Paris est néanmoins prometteuse. Le plan de relance qui sera voté suite à son élection devrait faire la part belle aux énergies renouvelables et aux technologies permettant une baisse des émissions de CO2 (véhicules électriques, rénovation thermique). Pour autant, ces investissements ne seront pertinents que s’ils s’inscrivent dans un objectif de réduction des émissions de GES plus ambitieux que celui qui avait été voté en premier lieu.

Le problème des États-Unis n’est pas tant leur capacité à atteindre les objectifs de la NDC que leur volonté de rehausser les objectifs afin qu’ils soient compatibles avec les scénarios 1,5°C.

Europe

L’Union Européenne, à travers son Cadre d’action en matière de climat et d’énergie d’ici à 2030, prévoit de réduire ses émissions de CO2 de 40% par rapport au niveau de 1990 à l’horizon 2030. Si cet objectif devrait être atteint, il reste très loin de l’objectif de 65% qui permettrait à l’Europe d’avoir des objectifs qui seraient compatibles avec l’Accord de Paris.

L’Union Européenne a bien compris que l’objectif initial de 40% n’est pas assez ambitieux et c’est la raison pour laquelle la présidente de la Commission européenne vient de valider un nouvel objectif de 55%. Cela permettra à l’Union Européenne de s’afficher comme la région du monde leader de la transition écologique. À court terme, ce nouvel objectif de 55% devrait ouvrir la voie à une nouvelle révision des objectifs qui cette fois-ci, s’ils atteignent 65%, pourraient être compatibles avec l’Accord de Paris. Bien sûr, il faudra que l’Union Européenne ne se contente pas d’afficher l’objectif de 55%, ou de 65%, mais mettent effectivement des actions en place afin d’avoir une cohérence entre ses déclarations d’intentions et les actions effectivement menées.

1,5°C ou 2°C, quelle différence ?

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) évoquait dès 2014 dans son rapport les différences entre les scénarios 1,5°C et 2°C : “Ces différences consistent notamment dans l’augmentation de la température moyenne dans la plupart des régions continentales et océaniques, des extrêmes de chaleur dans la plupart des zones habitées, des épisodes de fortes précipitations dans plusieurs régions et de la probabilité de sécheresses et de déficits de précipitations dans certaines régions”11.

Si le réchauffement planétaire est de +2°C (au lieu de 1,5°C), le niveau de la mer sera en hausse de 10 cm, impactant

Pour prendre quelques exemples concrets :

  • Un réchauffement planétaire de 2°C entraînerait une hausse du niveau de la mer environ 10 cm supérieure à celle du scénario 1,5°C. Ces 10 cm représentent 10 millions de personnes directement impactées qui devront potentiellement être déplacées.  
  • Un réchauffement planétaire de 2°C entraînerait une perte de l’aire de niche climatique pour 9,6% des insectes, 8% des plantes et 4% des vertébrés contre 18% des insectes, 16% des plantes et 8% des vertébrés dans le scénario 1,5°C.
  • Il ne devrait y avoir qu’un seul été arctique sans glace de mer par siècle en cas de réchauffement planétaire de 1,5°C. Cette fréquence passe à au moins un été par décennie en cas de réchauffement planétaire de 2 °C.
  • La limitation du réchauffement à 2°C plutôt qu’à 1,5°C pourrait, à l’horizon 2050, augmenter de plusieurs centaines de millions le nombre de personnes exposées aux risques liés au climat et vulnérables à la pauvreté.

Cette liste, loin d’être exhaustive, n’est malheureusement qu’une très courte présentation des différences majeures entre les scénarios 1,5°C et 2°C, qui pour l’instant sont loin d’être atteignables si l’on se réfère aux objectifs affichés dans les NDC.

Ce bref aperçu permet néanmoins de comprendre qu’un réchauffement climatique à 2°C aura des conséquences bien plus importantes qu’un réchauffement climatique à 1,5°C, d’où la nécessité pour les membres signataires de l’Accord de Paris de viser des émissions de CO2 compatibles avec le scénario 1,5°C.

Si seulement nous avions le “luxe” de choisir entre 1,5°C et 2°C…

Alors que tous les scientifiques alertent sur l’état d’urgence climatique dans lequel nous sommes, la tendance actuelle ne nous permettrait même pas d’atteindre le scénario 2°C. Selon le GIEC, les activités humaines ont déjà provoqué un réchauffement planétaire d’environ 1°C au-dessus des niveaux préindustriels et il est probable que le réchauffement planétaire atteindra 1,5 °C entre 2030 et 2052 s’il continue d’augmenter au rythme actuel. Sans un effort de réduction drastique, le chemin tracé conduit à une hausse de 3,7°C à 4,8°C , d’ici 2100 par rapport à l’ère pré-industrielle.

Il existe pour autant des solutions pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, cela passe notamment par :

  • Une réduction importante dès maintenant des émissions mondiales ;
  • Un déploiement à large échelle de l’ensemble des technologiques de réduction des émissions (énergies bas-carbone, mobilité douce, bâtiments faiblement consommateurs d’énergies, technologies de stockage et capture du CO2, etc) ;
  • Un basculement vers de nouveaux modes de vie plus sobres et climato-compatibles.

Sans un effort de réduction drastique, le chemin tracé conduit à une hausse de 3,7°C à 4,8°C , d’ici 2100 par rapport à l’ère pré-industrielle.


Malheureusement, les freins à la lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas tant technologiques que politiques. Tous les groupes de pays tentent de préserver au mieux leurs intérêts. Les pays en voie de développement ne souhaitent pas renoncer à leur croissance qui est malheureusement inexorablement liée à une hausse des émissions. Les pays les plus développés ne sont pas encore prêts à accepter les efforts nécessaires tant du point de vue des enjeux climatiques que de leur contribution passée aux niveaux d’émissions actuelles. Par exemple, il n’est pas anodin que la Chine ait fixé avant tout des objectifs de réduction de CO2 par unité de PIB et non en valeur absolue, ce qui lui permet d’avoir une croissance moins émettrice, mais une croissance quand même, à la fois du PIB et des émissions de CO2.


Agir maintenant pour ne pas le regretter plus tard

La COP 21 a été une avancée majeure si l’on se réfère aux échecs des sommets internationaux précédents. Avant l’Accord de Paris, le réchauffement climatique à l’horizon 2100 devaient atteindre entre 4°C et 6°C. Après l’Accord, les objectifs fixés par les membres signataires devraient le limiter dans le « meilleur » des cas à 3,7°C si les objectifs des NDC sont respectés et non rehaussés. Dans la mesure où le principe même de l’Accord de Paris repose sur un processus itératif contraignant, nous pouvons être relativement confiant quant à l’obligation des membres à rehausser leurs objectifs. La question principale étant : est-ce que les nouveaux objectifs s’inscriront enfin dans un scénario 1,5°C ?

Pour finir, il est important de rappeler que la communauté scientifique a donné tous les éléments aux états, entreprises et citoyens pour qu’ils prennent les actions nécessaires afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Plus que jamais, il est l’heure d’avoir moins de discours et plus d’actions !

Portrait de Clément Limare, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR CLÉMENT LIMARE


Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, analyste en stratégie pour un industriel français de l’énergie. Prise de conscience du changement climatique Création d’un monde bas-carbone Transition énergétique Transition agricole.

Notes et sources

1. https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/climat-et-environnement/la-lutte-contre-le-changement-climatique/la-conference-de-paris-ou-cop21/
2. https://ec.europa.eu/clima/policies/strategies/2020_fr
3. https://ourworldindata.org/contributed-most-global-co2
4. Contributions déterminés au niveau national en français
5. https://www.carbonbrief.org/paris-2015-tracking-country-climate-pledges
6. https://ec.europa.eu/clima/policies/strategies/2030_fr
7. Gallagher et al., 2019 ; Green & Stern, 2016 ; Wang et al., 2019 ; Xu et al., 2018
8. https://climateactiontracker.org/countries/china/current-policy-projections/
9. https://www.latribune.fr/economie/international/neutralite-carbone-en-2060-l-objectif-de-la-chine-est-il-realiste-857966.html
10. https://climateactiontracker.org/countries/usa/fair-share/
11. https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf

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Parti Pris, c’est un espace libre. Chaque article est une prise de position de la personne qui le rédige, qu’elle soit membre de Parti Civil ou invitée.

L’hydrogène est devenu depuis quelques années l’objet de tous les fantasmes. En effet, l’hydrogène, atome pourtant connu depuis des siècles, semble soudain être devenu la solution miracle pour lutter contre le réchauffement climatique. Afin que tout le monde puisse avoir un avis éclairé sur la question, il nous semblait important de revenir sur les éléments principaux de ce débat et de donner les clés de lecture nécessaires à la compréhension des enjeux. Cet article a vocation à présenter les bases du débat et revient notamment sur la production, l’utilisation et l’usage de l’hydrogène.


Hydrogène, de quoi parle-t-on ?

L’hydrogène (H2) est un gaz composé de 2 atomes d’hydrogène. Si l’on veut être précis, on devrait donc parler de dihydrogène et non d’hydrogène, mais le terme hydrogène est largement utilisé pour cette source d’énergie et c’est celui qui sera employé dans cet article. 

L’hydrogène est présent partout dans l’univers, c’est d’ailleurs la molécule qui y est la plus commune et qui constitue plus de 90% des atomes. Pour autant, l’hydrogène est très peu présent sous la forme H2 à la fois dans la croûte terrestre et dans l’atmosphère. On trouve l’hydrogène sous d’autres formes comme dans l’eau (H2O), le méthane (CH4) et de manière générale dans la plupart des molécules d’hydrocarbures (sous la forme CxHy).

L’hydrogène n’est pas une énergie mais un vecteur d’énergie, comme l’électricité. Cette nuance est importante puisqu’elle induit qu’il faut le produire pour l’utiliser. Autrement dit, on ne le trouve pas à l’état naturel, même si des recherches à ce sujet sont en cours1. En effet, par opposition aux énergies fossiles comme le charbon, le gaz ou le pétrole, l’hydrogène n’est pas considéré comme une énergie primaire dans la mesure où il doit être produit en l’extrayant de ses composés. En d’autres termes, il faut séparer l’hydrogène des autres molécules qui le constituent et cette séparation crée une réaction qui libère une forte quantité d’énergie. Ce sont d’ailleurs les caractéristiques physiques particulières de l’hydrogène qui rendent cette source d’énergie exceptionnelle sur le plan énergétique.

En particulier : 

  • 1 kilo d’hydrogène contient autant d’énergie que 3 kilos d’essence2;
  • La combustion d’hydrogène n’émet pas de CO2;
  • L’hydrogène peut être stocké et pourrait donc constituer une source potentielle de stockage qui permettrait de compenser l’intermittence des énergies renouvelables3

Comment est-il produit et pour quels usages ?

La France produit près de 1 million de tonnes d’hydrogène chaque année, ce qui représente environ 1,5% de la production mondiale. Le problème de cette production est qu’elle est réalisée à 95% à partir d’énergies fossiles. La technique de production la plus utilisée est celle du vaporeformage du méthane. Elle consiste à créer de l’hydrogène à partir de méthane et de vapeur d’eau. Avec cette technique, 10 kg de CO2 sont émis pour 1 kg d’hydrogène produit4.

Comment fonctionne le vaporeformage ? Le reformeur puise du méthane (énergies fossiles) pour produire de l'hydrogène. Ce procédé produit également des émissions de CO2.

La production d’hydrogène à partir d’énergies fossiles engendre donc des émissions considérables de gaz à effet de serre. Rien qu’en France, la production d’hydrogène est responsable de l’émission de 9 Mt de CO2, soit environ 2 % des émissions nationales5 ! Les usages de cet hydrogène ne sont pas moins émetteurs puisqu’il sert en priorité au raffinage pétrolier (60%), à la production d’ammoniac et d’engrais (25%) et à la chimie (10%).

Rien qu’en France, la production d’hydrogène est responsable de l’émission de 9 Mt de CO2, soit environ 2 % des émissions nationales !

Si 95% de l’hydrogène est produit à partir d’énergies fossiles, c’est principalement en raison du faible coût de cette technique. En effet, le vaporeformage est le procédé le plus économique avec un coût d’environ 1,5€/kg d’hydrogène produit contre près de 4 à 6€/kg pour l’hydrogène bas-carbone6. Il est également intéressant de noter que le prix de l’hydrogène produit à partir d’énergie fossile reste près de 3 fois plus cher que le prix du gaz naturel.

Le vaporeformage est le procédé le plus économique pour produire de l'hydrogène. Il coûte 1,5€/kg alors que l'hydrogène produit à partir d'électricité bas-carbone coûte entre 4€ et 6€/kg.

Ainsi, si les techniques alternatives de production d’hydrogène sont restées à un niveau marginal jusqu’à maintenant ce sont davantage pour des raisons de coût que de contraintes techniques.

Pourquoi un tel engouement maintenant pour l’hydrogène ?

Si l’hydrogène fait tant parler de lui ces derniers temps, c’est parce que les industriels semblent prêts à industrialiser la production d’hydrogène bas-carbone et les pouvoirs publics à fournir les financements nécessaires. La production d’hydrogène bas-carbone se ferait grâce une technique particulière : l’électrolyse alcaline de l’eau, souvent abrégée en électrolyse de l’eau, qui consiste à casser des molécules d’eau pour séparer et extraire de l’hydrogène.

Comment fonctionne l'électrolyse ? L'hydrogène est produit à parti d'électricité issue des énergies renouvelables et nuclaires, et d'eau à travers un electrolyseur.

Pourquoi cette méthode de production est-elle intéressante ? Principalement, car elle ne fait appel qu’à de l’eau et de l’électricité. Si l’électricité est elle-même produite à partir de source décarbonée, comme les énergies renouvelables ou le nucléaire, cela permettrait de produire de l’hydrogène sans émettre directement de CO2 7. Il est cependant primordial d’utiliser de l’électricité bas-carbone pour produire cet hydrogène, sous peine de voir un gain nul en termes d’émissions de CO2 par rapport aux méthodes de production d’hydrogène ayant recours aux énergies fossiles. Sur ce sujet, Maxence Cordiez, ingénieur dans le secteur de l’énergie, met en avant les limites des certificats garantissant l’origine de l’électricité qui pourraient servir à produire de l’hydrogène à bas coût à partir de moyens de production d’origine fossile et fausser de manière artificielle la compétitivité réelle du marché de l’hydrogène bas-carbone8.

Pour rappel, voici les émissions totales de CO2 par kWh pour les différentes sources d’énergie utilisées lors de la production d’électricité selon le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC)9 :

Source d’énergie utilisée pour produire de l’électricitéValeur médiane retenue pour les émissions de CO2 (gCO2eq/kWh) par le GIEC
Charbon820
Pétrole650
Gaz490
Biomasse seule (non combinée au charbon)230
Panneau solaire45
Hydroélectricité24
Eolien en mer12
Nucléaire12
Eolien terrestre11

Le recours à cet hydrogène décarboné permettrait de diminuer les émissions de CO2 dans l’atmosphère. Cela contribuerait également à atteindre l’objectif qui a été fixé dans le cadre de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) pour l’industrie : 53 millions de tonnes émises par an en 2030 contre 80 millions de tonnes émises par an aujourd’hui10

Cependant, en raison du coût plus élevé de cette technique de production, son décollage ne sera permis qu’en raison d’un soutien fort de l’Etat. C’est dans ce cadre qu’intervient la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France.

Quelles sont les conditions pour faire décoller la filière hydrogène ? 

Pour que l’hydrogène bas-carbone ait un avenir significatif, il faudra que son prix soit compétitif. Pour cela il faut s’intéresser au coût des électrolyseurs qui sont les “machines” permettant de produire de l’hydrogène à partir d’électricité. Les électrolyseurs ont des coûts fixes élevés (investissements liés à la construction et l’installation des électrolyseurs) mais des coûts variables (dépenses liées à l’utilisation des électrolyseurs) relativement faibles. Autrement dit, plus la quantité d’hydrogène produite est grande, moins le prix unitaire (par kilo d’hydrogène produit) sera important.

L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) a réalisé des simulations de coût d’hydrogène en fonction du degré d’utilisation des électrolyseurs. Si les électrolyseurs fonctionnent moins de 2 000 heures par an, le coût de l’hydrogène varie entre 3$/kg et 8$/kg. En revanche, lorsque les électrolyseurs fonctionnent davantage et produisent pendant 4 000 et 6 000 heures, le coût tend vers 2$/kg. Ce coût de 2$/kg d’hydrogène se rapproche du coût de l’hydrogène produit à partir d’énergies fossiles (1,5€/kg) et pourrait permettre à cette technologie de devenir compétitive d’un point de vue économique.
Ainsi, si l’on veut que l’hydrogène bas-carbone soit compétitif, il faudra que les électrolyseurs produisent avec un rendement maximum. Or, lorsque l’on parle d’hydrogène “vert”, certains souhaiteraient que l’électricité utilisée dans le procédé ne provienne que des énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire. Ces énergies sont par nature intermittentes et connaissent des creux de production en l’absence de vent ou de soleil. En effet, ces deux sources d’énergie ne fonctionnent pas à pleine puissance plus de 4 000 heures par an (2 163 heures/an pour l’éolien en 2019 et 1 183 heures/an pour solaire en moyenne en France sur l’année 201911).

Produire de l’hydrogène uniquement à partir d’électricité issue d’énergies renouvelables irait donc à l’encontre du bon sens économique et augmenterait le coût de l’hydrogène, ce qui risquerait de compromettre son déploiement à grande échelle. Il apparaît donc primordial d’inclure toutes les énergies bas-carbone, dont le nucléaire, pour la production d’électricité qui servira à produire l’hydrogène. Cela permettrait de maximiser la production, de faire baisser les coûts, et ainsi de décarboniser massivement la production d’hydrogène. La France a intégré le nucléaire dans sa stratégie d’hydrogène bas-carbone ce qui lui confère un avantage stratégique, charge à la Commission Européenne désormais d’en faire de même dans sa feuille de route sur l’hydrogène.

Produire de l’hydrogène uniquement à partir d’électricité issue d’énergies renouvelables irait donc à l’encontre du bon sens économique et augmenterait le coût de l’hydrogène, ce qui risquerait de compromettre son déploiement à grande échelle. Il apparaît donc primordial d’inclure toutes les énergies bas-carbone, dont le nucléaire, pour la production d’électricité qui servira à produire l’hydrogène.

Quels usages privilégier pour l’hydrogène bas-carbone ? 

Utiliser le surplus d’électricité des énergies renouvelables pour produire de l’hydrogène est une manière d’utiliser cet excédent mais ne devrait pas être la seule retenue afin de maximiser le potentiel de l’hydrogène comme indiqué précédemment.

Comment éviter les émissions de gaz à effets de serre avec l'électricité décarbonée ? Grâce à l'export d'électricité décarbonée (pour éviter la production des centrales à gaz et à charbon), à l'électrification de la mobilité et

Graphique réalisé d’après données RTE.

Sur ce sujet, un autre point de vigilance est à relever. La France est exportatrice nette d’électricité, c’est-à-dire qu’elle produit plus d’électricité qu’elle n’en consomme. Le surplus d’électricité produit est aujourd’hui exporté mais il sera possible à l’avenir de l’utiliser pour d’autres usages comme la production d’hydrogène ou bien la recharge des batteries des véhicules électriques. RTE, le gestionnaire du réseau électrique français a estimé que les usages qui permettent de réduire le plus les émissions de CO2 sont l’utilisation de l’électricité française en premier lieu pour l’export (car l’électricité de nos voisins directs est plus carbonée en raison d’un recours plus important que la France aux énergies fossiles), puis pour la mobilité (autrement dit la recharge des batteries des véhicules électriques qui remplacent des véhicules à diesel ou essence) et enfin pour la production d’hydrogène par électrolyse (qui remplace la production d’hydrogène à partir d’énergies fossiles) .
Ainsi, il faut espérer que nos voisins ferment au plus vite leurs centrales à charbon et au gaz pour que l’utilisation de notre surplus d’électricité soit le plus profitable pour le climat si nous l’utilisons pour d’autres usages que l’export. Avec la situation actuelle, si l’électrolyse se substitue aux 2 usages mentionnés plus haut, le gain de CO2 sera plus faible et donc l’impact sur la réduction des émissions de CO2 sera amoindri13. Il est également important de noter que la nuit, lorsque la demande d’électricité est moins importante, il serait possible d’utiliser une partie des moyens de production non sollicités afin de produire de l’hydrogène sans pour autant réduire nos exportations.

Pour autant, si l’électricité bas-carbone française n’exploitera pas son plein potentiel de réduction des émissions de COen étant utilisée pour la production d’hydrogène bas-carbone, elle permettra  quand même de réduire les émissions de CO2 et participera surtout au développement de la filière hydrogène française.


Ainsi, l’hydrogène produit par électrolyse pourrait représenter une vraie solution supplémentaire pour lutter contre le réchauffement climatique. Si on le substitue à la production d’hydrogène à partir d’énergies fossiles, on pourrait réduire les 9 M de tonnes de CO2 générées chaque année dans le cadre de sa production. Sur le moyen et long terme de nouveaux usages liés à l’hydrogène bas-carbone pourraient même permettre de réduire les émissions d’autres secteurs comme le transport (en particulier sur la mobilité lourde) ou encore le secteur de l’énergie avec la production d’électricité (à travers des solutions de stockage).

Portrait de Clément Limare, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR CLÉMENT LIMARE


Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, analyste en stratégie pour un industriel français de l’énergie. Prise de conscience du changement climatique Création d’un monde bas-carbone Transition énergétique Transition agricole.

Notes et sources

1. Voir les explications exhaustives du Dr. Isabelle Moretti sur l’hydrogène natif https://www.connaissancedesenergies.org/tribune-actualite-energies/lhydrogene-naturel-curiosite-geologique-ou-source-denergie-majeure-dans-le-futur
2. Voir la section Hydrogène sur le site de IFP Energies Nouvelles http://www.ifpenergiesnouvelles.fr/espace-decouverte/les-cles-pour-comprendre/les-sources-d-energie/l-hydrogene
3. Pour nuancer le propos, il est nécessaire de noter que la faible densité énergétique de l’hydrogène entraîne des contraintes techniques sur le plan du stockage. En effet, afin de stocker et/ou de transporter l’hydrogène, il faut le liquéfier à une température extrêmement basse (- 253 °C) ou le comprimer à très haute pression (700 bars) ce qui complexifie la chaîne d’approvisionnement.
4. Plus d’explications sur le processus de vaporéformage du méthane ici https://www.h2life.org/fr/hydrogene/sources/vaporeformage
5. Voir le dossier sur l’hydrogène sur le site du ministère de l’économie, des finances et de la relance https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=5C30E7B2-2092-4339-8B92-FE24984E8E42&filename=DP%20-%20Strat%C3%A9gie%20nationale%20pour%20le%20d%C3%A9veloppement%20de%20l%27hydrog%C3%A8ne%20d%C3%A9carbon%C3%A9%20en%20France.pdf
6. Voir le plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique rédigé par le CEA et la DGEC https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport%20H2%20MTES%20CEA%200106.pdf
7. Les énergies renouvelables et le nucléaire n’émettent pas de CO2 lors de la production d’électricité. En revanche, sur l’ensemble de leur cycle de vie (construction, maintenance, démantèlement, etc.) on enregistre des émissions indirectes de CO2. Ces émissions sont cependant négligeables par rapport aux émissions libérées lors de la production d’électricité à partir des énergies fossiles.
8. Voir l’impact que pourrait avoir les certificats verts sur la production d’hydrogène en Europe https://www.lefigaro.fr/vox/monde/la-filiere-hydrogene-va-t-elle-vraiment-verdir-l-electricite-europeenne-20200724
9. Voir le rapport du GIEC 2014: Energy Systems. In: Climate Change 2014: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change
10. Voir le dossier sur l’hydrogène sur le site du ministère de l’économie, des finances et de la relance https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=5C30E7B2-2092-4339-8B92-FE24984E8E42&filename=DP%20-%20Strat%C3%A9gie%20nationale%20pour%20le%20d%C3%A9veloppement%20de%20l%27hydrog%C3%A8ne%20d%C3%A9carbon%C3%A9%20en%20France.pdf
11. Ces valeurs sont obtenues en multipliant le facteur de charge 2019 de l’éolien et du solaire disponible dans le Bilan Electrique 2019 de RTE par le nombre d’heures dans une année.
12. Voir la synthèse de RTE sur le sujet “Groupe de travail hydrogène – interfaces électricité et autres vecteurs »
13. Voir la Figure 21 du rapport “La transition vers un hydrogène bas carbone. Atouts et enjeux pour le système électrique à l’horizon 2030-2035” de RTE https://assets.rte-france.com/prod/public/2020-07/rapport%20hydrogene.pdf”

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Il y a tout juste deux ans, le 17 novembre 2018, a eu lieu la première manifestation des Gilets jaunes. Qui se souvient, aujourd’hui, que le plus important mouvement social de ces dernières années tire son origine d’une augmentation de la fiscalité sur les carburants ?

On le voit, la taxation des produits pétroliers consommés par les ménages est un sujet très sensible en France. Les taxes représentant déjà près de 70 % du prix payé par le consommateur à la pompe en 2020, il est en effet difficile de justifier une augmentation supplémentaire. Cela, d’autant que le carburant est un produit de première nécessité pour des millions de Français, souvent modestes, qui ne peuvent se passer de leur voiture pour aller travailler, ou pour faire leurs courses. C’est particulièrement le cas pour ceux vivant dans des territoires où il y a peu de transports en commun. Néanmoins, face à la crise écologique qui se précise, il est indispensable d’inciter les Français à moins utiliser leurs voitures, et la taxation des carburants semble être un moyen efficace pour cela.

Il faut donc parvenir à concilier un impératif écologique, avec un impératif de justice sociale : augmenter la fiscalité sur les carburants, sans pour autant pénaliser les Français les plus modestes.


Comment fonctionne la taxation des produits pétroliers en France ?

En France, sur un litre d’essence ou de diesel à la pompe, les usagers paient près de 70 % de taxes.
Deux taxes distinctes s’appliquent. D’abord, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Ensuite, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

En 2020, la TICPE représente, à elle seule, plus de 50 % du prix d’un litre d’essence ou de diesel :

La TICPE est la plus importante de ces deux taxes. C’est d’ailleurs son augmentation qui a conduit à la naissance du mouvement des Gilets jaunes, à la fin de l’année 2018.

Elle s’applique non seulement sur les carburants, mais aussi, avec un taux réduit, sur le fioul domestique utilisé pour le chauffage. Cependant, son fonctionnement est assez complexe et organisé sur trois niveaux :

  • D’abord, le droit européen oblige chaque État membre à mettre en place une taxation minimale, de 35.9 centimes par litre d’essence, et de 33 centimes par litre de diesel.1
  • Ensuite, le Parlement français vote, chaque année, le taux de la TICPE, qui doit être égal ou supérieur à ce taux minimum européen.
  • Enfin, chaque région de la métropole a la possibilité d’augmenter légèrement le taux de la TICPE, afin qu’elle lui rapporte plus de recettes. Cette augmentation peut être, au maximum, de 0.0073 euro par litre d’essence, et de 0.0135 euro par litre de diesel, sauf en région Île-de-France, où ces limites sont un peu plus élevées. Le taux de la TICPE varie donc légèrement selon les régions, bien que la plupart d’entre elles aient voté le taux maximum autorisé.

Ainsi, en moyenne, en octobre 2020, la TICPE représentait 50 % du prix à la pompe du diesel (environ 60 centimes par litre), et 52 % du prix du SP95 (environ 70 centimes par litre).2

Qui sont les bénéficiaires de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) ? 20 milliards d'euros sont revenus à l'Etat, 6 milliards d'euros aux régions et 6 milliards d'euros aux départements. Malheureusement, les revenus générés par la TICPE ne financent pas directement la transition écologique.

La TICPE représente une manne budgétaire très importante. Elle a rapporté 31.3 milliards d’euros en 2019, ce qui en faisait la quatrième recette publique. Néanmoins, l’État ne bénéficie que d’environ 20 milliards d’euros sur cette somme. 6 milliards environ sont distribués aux départements, et 6 milliards environ aux régions. Ainsi, la TICPE représente une part importante du budget de ces collectivités territoriales. Elle constitue près de 9 % des recettes des départements, et près de 20 % des recettes des régions.

Après application de la TICPE, on ajoute encore 20 % de TVA au prix du litre de carburant

La TVA, c’est cette taxe qui est payée sur presque chaque produit acheté par un consommateur. Elle s’applique également aux produits pétroliers. 

Ainsi, sur le prix (TICPE comprise) d’un litre d’essence ou de diesel, on applique un taux de TVA de 20 %. Seule exception : en Corse, ce taux n’est que de 13 %.

Là aussi, cette taxe bénéficie en partie aux territoires. En effet, sur le total des recettes de la TVA, environ 4 milliards d’euros sont reversés aux régions. Il est cependant à noter que la taxation des produits pétroliers ne représente qu’une petite partie des recettes de la TVA, et donc de la part qui est reversée aux régions.

Décomposition du prix d’un litre de carburant à la pompe en octobre 2020

En octobre 2020, un litre de SP95 valait environ 1.33 euro à la pompe. Sur ce prix, 41 centimes étaient dus au prix du pétrole. 70 centimes étaient dus à la TICPE, et 22 centimes à la TVA.

Un litre de diesel valait, quant à lui, environ 1.20 euro à la pompe. Sur ce prix, 40 centimes étaient dus au prix du pétrole. 60 centimes étaient dus à la TICPE, et 20 centimes à la TVA.

Quelle est la composition du prix du carburant ? 30% représentent le prix du pétrole et 70% représentent les taux, réparties entre la TICPE et la TVA.

La taxe carbone: un levier efficace de lutte contre le changement climatique et une forme d’injustice sociale

Les produits pétroliers représentent une part importante des émissions de gaz à effet de serre françaises. Selon le Global Carbon Project3, le pétrole a été responsable en 2017 de l’émission de 206 millions de tonnes (Mt) de CO2, soit plus de 40 % des émissions totales françaises. Ces émissions viennent essentiellement du secteur des transports qui repose à plus de 95 % sur des combustibles fossiles4. L’aviation, avec l’usage du kérosène, est responsable de 22,5 Mt d’émissions de CO2 en 2017, soit 16 % des émissions du secteur des transport et 6 % des émissions totales françaises5. Le fuel est également responsable d’une part importante des émissions liées au chauffage en France, où près de 20 % des maisons sont équipées de ce type de chaudière6. La consommation des produits pétroliers représente donc une part non négligeable de nos émissions de gaz à effet de serre et il apparaît essentiel d’en diminuer notre consommation afin d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

La taxation des produits pétroliers est une mesure régulièrement mise en avant pour accélérer la transition écologique et nous conduire vers une société moins dépendante en hydrocarbures. Les raisons sont multiples, en particulier la taxe carbone permet de réduire de manière significative les émissions de CO2 à moindre coût pour la société et constitue l’un des seuls leviers efficaces dont disposent les États pour influencer les comportements polluants (même si les normes, les subventions, l’investissement public et privé ont également un rôle à jouer). Cependant, l’adoption de cette taxe par les citoyens n’est pas acquise dans la mesure où les taxes représentent déjà près de 70 % du prix de l’essence à la pompe. Cette taxe touche davantage les Français les moins aisés qui vivent dans des zones périphériques et ne disposent pas d’alternatives à la voiture. C’est cette fracture sociale que le mouvement des Gilets jaunes a voulu mettre en avant en dénoncant initialement la hausse prévue de la TICPE.7

Le paradoxe de la taxe carbone : Les principaux contributeurs de la taxe carbone sont, en proportion, les Français les moins pollueurs

Le contexte social a conduit le Gouvernement à suspendre la hausse de la taxe carbone. Cette taxe, en l’état, n’est pas juste dans sa forme car elle fait peser une pression fiscale plus lourde sur les citoyens les moins aisés. En effet, les 10 % des ménages les plus pauvres contribuent, en proportion de leur revenu, 2,6 fois plus que les ménages les plus riches à la taxe carbone8. Pourtant, les 10 % les plus riches émettent 20 fois plus de CO2 que les 5% les moins riches9. Ce constat est d’autant plus vrai pour l’aviation où les 1 % les plus riches contribuent à plus de 41 % des émissions du secteur alors même que le kérosène bénéficie d’une absence de taxation pour les vols internationaux et nationaux en France. Pourtant, une taxation de 33 centimes par litre de kérosène permettrait de réduire de 9 % les émissions de gaz à effet de serre du secteur pour un impact négligeable sur l’emploi.10

Pour revenir à l’essence qui était l’élément déclencheur de la crise des Gilets jaunes, il semble important de rappeler que les dépenses en carburants représentent près du quart du budget transport11 et que leur achat récurrent et contraint rend d’autant plus perceptible la hausse des prix. 

Par ailleurs, le diesel est moins taxé que l’essence en France et ce pour des raisons historiques. En effet, le Gouvernement de Jacques Chirac avait choisi de stimuler l’automobile française qui à l’époque était à la pointe sur la technologie des voitures au diesel. Si le diesel était historiquement moins cher que l’essence grâce à une moindre taxation, cela ne devrait plus être le cas dans les prochaines années en raison de l’harmonisation des taxes entre le diesel et l’essence. De nombreux Français qui ont choisi une voiture diesel en suivant les incitations gouvernementales se verront sanctionnés par cette inversion de trajectoire de la fiscalité des produits pétroliers.

Les revenus de la taxe carbone ne servent pas directement la cause climatique et ne permettent pas aux plus modestes de réduire leur consommation de produits pétroliers

L’adaptation au changement est également une autre source d’injustice sociale. Il est plus difficile pour un ménage modeste d’investir dans la rénovation de son logement, de remplacer sa chaudière thermique ou bien d’acheter un véhicule électrique, et ce malgré les aides gouvernementales. Une famille aisée fait également plus facilement face à une hausse de la fiscalité et ne se voit pas contrainte de hiérarchiser ses dépenses pour les besoins essentiels. Si les recettes de la taxe carbone étaient redistribuées aux ménages les plus modestes, ces derniers pourraient plus facilement faire les investissements nécessaires afin de réduire leur consommation d’énergies fossiles (achat d’un véhicule électrique, remplacement d’une chaudière au fuel) mais également réduire leurs dépenses d’énergie (travaux d’isolation du logement) qui représentent une part importante dans leur budget. Alors que les recettes de la TICPE pourraient servir à aider les ménages les plus modestes dans leur transition écologique, elles servent aujourd’hui à abonder le budget général de l’État et à financer les transferts de compétences aux collectivités territoriales. Ces recettes sont bien évidemment utiles à ces organes de la vie publique mais ne servent pas directement la cause écologique.La taxation des produits pétroliers présente l’avantage d’être incitative, d’abonder le budget de l’État et des collectivités, de mettre un prix sur la consommation des produits pétroliers et de donner de la visibilité aux entreprises avec une vision à moyen terme. Se priver de cette taxe serait faire une croix sur l’atteinte des objectifs climatiques. Pour autant, il n’apparaît pas envisageable de continuer avec la forme actuelle de la taxe, et il est nécessaire de se demander comment rendre cette taxe plus juste. Et en particulier, comment la rendre acceptable par tous et toutes ?

Comment rendre acceptable la taxation des produits pétroliers ? En améliorant la transparence de la TICPE, en redirigeant les revenus de la taxe vers les plus modestes, en utilisant les recettes de la taxe pour réduire notre dépendance au pérole et en faisant la promotion de la taxe carbone aux frontières de l'UE.

Comment rendre acceptable la taxation des produits pétroliers ?

Si les nouvelles augmentations de la taxe carbone ont été annulées suite au mouvement des Gilets jaunes, de nouvelles augmentations dans le temps ne sont pas remises en cause et il n’est pas pas interdit de penser qu’un rattrapage aura lieu dans les prochaines années pour compenser la stagnation du prix en 2020. Le Fonds monétaire international (FMI) préconise notamment de fixer la taxe carbone à 75 € la tonne de carbone à l’horizon 2030 pour respecter les accords de Paris, ce qui impliquerait une augmentation de 67 % de la taxe carbone française en 10 ans. Comment, dans un contexte de crise sociale et économique, peut-on assurer l’acceptation par tous et toutes de l’augmentation progressive des taxes sur les produits pétroliers ? Nous formulons ici 5 propositions qui visent à rendre la taxe carbone, à travers la TICPE, plus transparente, plus juste et plus efficace dans la lutte contre l’utilisation des produits pétroliers.

Améliorer la transparence et la pédagogie de la TICPE

Nous pensons que la transparence et la pédagogie seront des éléments clés dans la mise en œuvre de la taxe carbone. Comme le formule très bien l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, la contribution commune aux dépenses publiques est indispensable et doit être répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés. Les recettes fiscales (impôts, taxes, prélèvements) sont ainsi garantes de la cohésion sociale en assurant la redistribution des richesses. Dans le cas de la taxe carbone, la transparence sur l’affectation des recettes nous apparaît clé dans l’acceptation de cet impôt. Cette transparence est d’autant plus importante que les recettes de la TICPE qui augmentent en parallèle de la contribution climat énergie (taxe carbone) sont reversées à une multitude d’organismes étatiques pour financer des programmes qui ne sont pas tous liés à la réduction de la dépendance aux produits pétroliers. Par exemple, les recettes affectées aux régions et départements servent à financer les transferts de compétences tandis que les recettes attribuées à l’État ont servi, sous le Gouvernement de François Hollande, à faire baisser les charges sociales des employeurs. Plus récemment, les recettes accordées à l’État servent à financer les charges liées au soutien des énergies renouvelables qui ne permettent pas d’endiguer la dépendance française aux produits pétroliers.

Rediriger les recettes de la taxe carbone vers des programmes qui visent uniquement à réduire la dépendance aux produits pétroliers

Pour toutes ces raisons, nous préconisons de rediriger les recettes de la TICPE vers un organisme unique dont le seul but serait de financer et subventionner des programmes visant à réduire la dépendance aux produits pétroliers des plus modestes. Les recettes seraient ainsi affectées à la subvention de véhicules électriques afin de réduire la part des véhicules thermiques dans le parc automobile, à l’achat de pompes à chaleur afin de remplacer les chaudières au fuel ou encore à l’augmentation de l’offre des transports en commun dans les zones rurales et périurbaines. Interdire le subventionnement d’énergies de remplacement (éolien, solaire) à travers les recettes de la taxe carbone permettrait de gagner en transparence tout en renforçant les programmes d’aides qui visent directement à trouver des alternatives aux produits pétroliers.

Rediriger les revenus de la taxe vers les plus modestes

Les ménages les plus modestes sont ceux qui rencontrent le plus de difficultés à lutter contre la précarité énergétique. Ils sont également les premiers impactés par la hausse des taxes liées aux produits pétroliers. En l’absence de mécanisme redistributif, ces derniers sont doublement pénalisés. D’une part, ils subissent de plein fouet l’augmentation des taxes et d’autre part, ils se voient dans l’impossibilité d’investir dans des solutions alternatives ce qui les contraint à rester dépendants des produits pétroliers, qui se matérialise par l’utilisation de leurs voitures thermiques. Afin de sortir de ce cercle vicieux, nous proposons d’inverser le mécanisme en créant un cercle vertueux où les revenus de la taxe carbone aideraient les plus modestes à investir dans des alternatives aux produits pétroliers (véhicules électriques, pompes à chaleur, aides à l’achat d’abonnement aux transports en commun…).

Augmenter de manière systématique le prix de la taxe carbone et fixer des objectifs de prix sur le temps long

Augmenter le prix de la taxe chaque année et fixer des objectifs de prix sur des échéances de long terme permettraient de donner de la visibilité aux entreprises. Ces dernières seraient ainsi incitées à innover pour se détourner des produits pétroliers afin de limiter l’impact de la taxe carbone sur leur bilan financier. Le climat d’incertitude étant l’un des freins majeurs aux programmes d’investissement, cette mesure permettrait de donner un signal fort de la part de l’État et d’encourager les entreprises à anticiper dès maintenant l’évolution haussière du prix du carbone.

Promouvoir une taxe carbone aux frontières de l’Union Européenne

Promouvoir une taxe carbone aux frontières permettrait d’améliorer la compétitivité des entreprises européennes qui sont plus efficaces sur le plan énergétique que leurs concurrents mondiaux. À défaut d’un accord sur une taxe aux frontières en Europe, inciter les pays volontaires à adopter une tarification basée sur le bilan énergétique de la fabrication des produits permettrait de mettre un juste prix aux biens que nous achetons et par conséquent de donner des informations supplémentaires aux consommateurs. Ces derniers seraient ainsi incités à favoriser les produits qui présentent le bilan carbone le plus faible et n’auraient plus la contrainte prix. En effet, les produits les plus polluants sont souvent moins chers que les produits bas carbone. L’application de cette tarification sur le bilan carbone des produits permettrait de compenser cet écart en intégrant la contrainte climatique dans le prix réel des biens.

Antoine Batal, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR ANTOINE BATAL


Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, militant chez EELV et bénévole à la Fondation des oeuvres sociales de l’air. Changement climatique Égalité des chances.

Portrait de Clément Limare, Responsable Etudes et Publications chez Parti Civil.

PAR CLÉMENT LIMARE


Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, analyste en stratégie pour un industriel français de l’énergie. Prise de conscience du changement climatique Création d’un monde bas-carbone Transition énergétique Transition agricole.

Notes et sources

1. Directive 2003/96/CE du Conseil sur la taxation de l’énergie
2. Voir le site https://www.fipeco.fr/fiche/Les-taxes-sur-les-carburants
3. Voir le site http://www.globalcarbonatlas.org/fr/CO2-emissions
4. Voir l’article https://www.connaissancedesenergies.org/contenu-carbone-des-energies-190213
5. Comme indiqué dans le rapport “Les émissions gazeuses liées au trafic aérien” disponible sur le site du ministère de la transition écologique accessible ici : https://www.ecologie.gouv.fr/emissions-gazeuses-liees-au-trafic-aerien
6. Voir le bilan communiqué par l’ADEME selon le type de chauffage domestique https://www.bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?chauffage.htm
7. Qui aurait augmenté le coût du diesel de 6,5 centimes et celui de l’essence de 2,9 centimes
8. Voir l’article de Reseau Action Climat https://reseauactionclimat.org/wp-content/uploads/2019/11/dp_claculateur_taxe_carbonepdf.pdf
9. Voir l’étude Ivanova, D. and Wood, R. (2020) accessible ici : https://www.cambridge.org/core/services/aop-cambridge-core/content/view/F1ED4F705AF1C6C1FCAD477398353DC2/S2059479820000125a.pdf/unequal_distribution_of_household_carbon_footprints_in_europe_and_its_link_to_sustainability.pdf
10. Voir l’étude commandée par la Commission Européenne https://www.transportenvironment.org/sites/te/files/publications/EC_report_Taxes_in_field_of_aviation_and_their_impact_web.pdf
11. Voir l’article du Monde https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/11/14/que-reste-t-il-apres-avoir-paye-les-factures-le-pouvoir-d-achat-mine-par-les-depenses-contraintes_5383539_4355770.html

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Parti Pris, c’est un espace libre. Chaque article est une prise de position de la personne qui le rédige, qu’elle soit membre de Parti Civil ou invitée.

Chaque avancée écologique qui devra prendre la forme d’une restriction risque, si elle n’est pas solidement argumentée, de mettre à mal l’ensemble des transformations écologiques qu’il convient d’anticiper et d’acter au plus vite. Autrement, ceux qui caricaturent le débat démocratique lorsqu’ils opèrent un parallèle entre les écologistes et les khmers rouges — responsables de la mort d’environ 20% des cambodgiens entre 1975 et 19791 — s’en donneront à cœur joie pour dénoncer la montée des « khmers verts » ; ou d’une imaginaire « dictature verte ». Moins irrespectueux de la valeur de l’histoire, et d’une partie des cambodgiens, d’autres tablent tout de même sur l’expression « écologie punitive ». A tous, il convient d’y répondre fermement.

Dans cet article, nous utiliserons l’exemple de l’interdiction d’ici à 2021 des terrasses chauffées en hiver pour déconstruire les arguments de ceux qui s’y opposent. En particulier, l’article de Ferghane Azihari paru sur Le Point le 30 juillet 2020, intitulé La fin de la terrasse chauffée, nouvel exemple d’hypocrisie climatique, sera notre base de travail.


Pourquoi les terrasses chauffées ?

Le lundi 22 juin 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat remettait au gouvernement 149 propositions dont l’objectif est de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES) françaises de 40% d’ici à 2030, dans un esprit de justice sociale. Ces propositions ont été le résultat de 8 mois de travail collectif et de collaboration entre 150 citoyens tirés au sort en fonction de leur âge, leur sexe, leur profession et leur région d’origine. Ces derniers ont été répartis entre 5 groupes de travail intitulés « se déplacer », « consommer », « se nourrir » , « produire/travailler », et « se loger ». Chacun des groupes a émis des propositions qui furent par la suite débattues et votées en séance plénière. Parmi elles, on retrouve au sein du groupe « Se loger », l’interdiction de chauffer les espaces publics extérieurs quelle que soit la surface2 ; ce qui inclut donc les terrasses chauffées.

Pourquoi cette mesure ? Pour une seule terrasse de 75m2, chauffée au gaz propane de 8h à 22h, à 75% de puissance et sur 120 jours de l’année, on atteint les émissions CO2 d’une berline roulant plus de 120 000 km3. Pour une même terrasse chauffée à l’électricité, on atteint sur un hiver la consommation annuelle en électricité de 9 familles. Ainsi, l’association Negawatt, qui a réalisé ces calculs, nous donne l’ordre de comparaison suivant : « en supposant que la moitié des 22000 terrasses de Paris soit pareillement chauffée, leur consommation électrique hivernale totale est égale à celle de tous les habitants de deux arrondissements de la capitale pendant un an ». De quoi se regarder dans la glace avant de railler le Qatar lorsqu’il climatise l’extérieur de ses villes.

La convention citoyenne, qui a inspiré plusieurs de nos voisins européens à faire de même (la Grande-Bretagne l’a confirmé ; l’Espagne et l’Allemagne y songent), permet de remédier aux carences de notre démocratie face aux enjeux de long terme. Souvent non formés sur la pluralité des sujets écologiques, et élus pour seulement cinq ans, nos représentants se trouvent fréquemment dans l’incapacité de faire primer la stabilité du climat et de la biosphère sur les préoccupations du présent.Sur les 149 propositions, une seule est pour le moment partiellement acceptée ; 6 sont débattues (dont l’interdiction de chauffer les lieux publics extérieurs) ; 3 sont rejetées et 3 risquent également de l’être4. Ces faibles résultats s’expliquent d’abord par le fait que la mise en application de ces propositions vient tout juste de débuter, mais l’on observe déjà qu’une partie de leur rendu est en péril. Voilà pourquoi défendre l’interdiction des terrasses chauffées est décisif : il s’agit également de défendre l’ensemble du travail de ces 150 citoyens, représentatifs de la diversité de la société française.

« Préserver un environnement habitable ». Vraiment ?

L’auteur fustige les écologistes pour qui, selon lui, « l’amour de la verdure » est « l’alibi du despotisme doux que Tocqueville assimilait au cancer des démocraties ». Les mesures de sobriété énergétique défendues ici ne seraient qu’une simple « contrition », injustifiée, et pour laquelle le CO2 constituerait une excuse permettant d’oppresser le « bourgeois » dans sa quête naturelle de bonheur et de confort. C’est alors cette obsession du bourgeois qui motive les écologistes, non pas le besoin de réduire les émissions de GES.

Une fois les écologistes décriés de la sorte, il lui est aisé de présenter leurs opposants comme des humanistes qui reconnaissent que « l’objectif naturel des sociétés humaines » n’est autre que le confort. Ces derniers auraient les clefs permettant d’associer l’amélioration du confort pour tous et dans le monde entier, à la préservation d’un « environnement habitable ». Si l’on reconnaît que le monde rentrera dans un processus où il commencera à cesser d’être un environnement habitable pour l’homme lorsque l’augmentation des températures dépassera les +1,5°C ; alors il convient de faire baisser les émissions de GES de 7,6% par an à compter de 20205. La crise du coronavirus nous donnant un ordre de grandeur de l’immensité du défi : la baisse d’émissions en 2020 liée au ralentissement de l’économie devrait atteindre 8% par rapport à 2019, selon l’Agence Internationale de l’Energie6

C’est précisément la logique consistant à maintenir qu’aucune baisse de confort ne peut être tolérée, sans que cela ne compromette la préservation d’un environnement habitable, qui pousse aux plus grandes contradictions. Et si, par faute d’anticipation ou de plausibilité d’existence, les technologies à notre disposition aujourd’hui ne permettaient pas d’allier poursuite continue du confort et préservation d’un environnement habitable ? Sur laquelle de ces deux composantes l’auteur accepterait-il de faire un compromis ?

Il semble que nous nous trouvons déjà dans cette situation. L’un des exemples récents les plus frappants étant celui de la relance française du secteur aéronautique suite à la crise du coronavirus. Incapable d’avouer que les milliards dépensés par la France préserveraient la croissance d’un des secteurs les plus polluants par € de chiffre d’affaires ; la Ministre de la Transition Ecologique de l’époque sortait de son chapeau la mise en service d’avions commerciaux à hydrogène d’ici à 2035. Une rapide évaluation des faits permet d’y voir un atterrant greenwashing. En effet, outre le défi industriel que constituerait l’élaboration et la production en masse d’un avion à hydrogène en si peu de temps, il faudrait également que celui-ci remplace les flottes d’avion à kérosène déjà construites, et pas seulement qu’il s’ajoute aux avions existants. Surtout, il convient de rappeler que l’hydrogène est obtenu de manière « verte » uniquement lorsqu’il est issu d’un processus d’électrolyse de l’eau — séparant le dihydrogène de l’oxygène ; processus qui consomme une quantité importante d’électricité7. Par conséquent, il faudrait également que l’ensemble des aéroports où notre avion à hydrogène fasse son plein se situe dans un pays où l’électricité est décarbonée pour que le vol soit faiblement émetteur de GES. Ainsi, en l’état actuel des choses et compte tenu de la durée de vie moyenne des centrales à charbon, la croissance du nombre de vols France — Etats-Unis, France — Chine, ou France — Inde ne serait pas acceptable du point de vue du climat, même avec des avions à hydrogène.

Dès lors, comment M. Azihari, qui décrie également dans son article les possibles futures « contritions » du secteur de l’aviation, compte-t-il s’y prendre pour réduire de 7,6% par an les émissions de GES de cette partie de l’économie qui, en France, a cru de 4,2% en 20198 ?

Le nucléaire n’est pas suffisant.

A propos du nucléaire, l’auteur commence par réduire l’opinion de l’ensemble des écologistes à celle d’une partie d’entre eux : les antinucléaristes. Il attaque alors ces derniers, spécifiant — et c’est peut-être la seule pointe de justesse dans cet article, que la fermeture de centrales nucléaires (10 à 66gCO2-eq/kWh9) en France entraînera inévitablement l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre par unité d’électricité consommée ; le gaz naturel (406gCO2-eq/kWh) ou le charbon (1038gCO2-eq/kWh) étant pour l’instant nécessaires pour gérer l’intermittence des énergies renouvelables (<41gCO2-eq/kWh). Autrement dit — et l’exemple allemand le montre bien, lorsque le vent et le soleil, qui alimentent les éoliens et panneaux photovoltaïques, viennent à manquer ; nous n’avons aujourd’hui d’autres choix que de faire appel aux énergies fossiles en l’absence de nucléaire, en particulier aux heures de pic de consommation d’électricité.

Cependant, l’auteur laisse entendre que ceux qui s’opposent au nucléaire ne peuvent alors prétendre lutter contre le changement climatique ; et il s’empresse d’ajouter que le nucléaire est la porte de sortie qu’il faut répandre à travers le monde pour nous sauver de l’augmentation moyenne des températures. A le lire, il suffirait d’exporter aux pays émergents notre industrie nucléaire pour que leur croissance et leur économie soient décarbonées. On y lit même l’énigmatique formule selon laquelle le nucléaire permettrait de « nettoyer l’atmosphère ».

D’abord, il faudrait rappeler que la Chine et l’Inde ne nous ont pas attendu : 11 réacteurs nucléaires sont en construction en Chine (après avoir mis en route les deux premiers EPR mondiaux), et 7 en Inde. Mais ces centrales supplémentaires ne permettent pas de remplacer les centrales à charbon : elles viennent s’ajouter à un gâteau énergétique en croissance, et ne sont pas suffisantes pour prévenir la mise en service de nouvelles centrales à charbon. Finalement, ces centrales ont le mérite non négligeable d’éviter que la situation climatique ne s’empire encore plus vite, mais ne permettent aucunement de commencer à faire baisser la quantité de GES relâchée dans l’atmosphère.

Ensuite et surtout, la France a beau être à grande majorité nucléarisée (70,6% de son électricité en est issue en 201910), un long chemin reste à parcourir avant de réunir les conditions permettant de préserver un « environnement habitable ». En ce sens, le commissariat général au développement durable a comparé l’empreinte carbone annuelle moyenne d’un français, à celle calculée par le GIEC si nous voulons respecter le budget CO2 qu’il reste à émettre avant de dépasser les +2°C. Ainsi, quand ce dernier préconise que le budget CO2 de chaque terrien se situe entre 1,6 (hypothèse basse) et 2,8 tonnes de CO2-éq (hypothèse haute) ; l’empreinte carbone d’un français se situe à plus de 11 tonnes11. Pour donner un ordre de comparaison, un vol aller-retour Paris-New York émet 1 tonne de CO2 équivalent par passager12. Penser que l’on peut préserver un « environnement habitable », sans émettre aucune contrition au secteur aérien, et en favorisant son exportation au monde entier relève donc d’un coupable aveuglement.

Action écologique, temporalité et liberté

Il est crucial de rappeler que la temporalité de nos actions est certainement la composante la plus structurante de l’enjeu écologique. Structurante car c’est bien le timing de ces actions vis-à-vis de l’emballement climatique ou de l’extinction de la biodiversité qui permet d’en jauger le bien-fondé. Les maigres efforts énergétiques que nous faisons aujourd’hui sur la production de charbon auraient été salutaires il y a plusieurs décennies. Ils apparaissent dérisoires aujourd’hui, car c’est bien un budget carbone qu’il convient de ne pas dépenser pendant ce siècle, et non seulement une limite d’émissions par année. Ainsi, à mesure que nous remettons à demain les durs efforts auxquels il faudrait consentir, ceux que nous devrons subir à l’avenir s’alourdissent exponentiellement. Par conséquent, cette tension que révèle l’attitude de l’auteur, entre poursuite continue du confort et préservation d’un environnement habitable, ne fera que s’intensifier à mesure que l’inaction climatique continuera de gouverner le fonctionnement de nos sociétés.

Plus globalement, opposer l’action écologique au confort, ou à la liberté, relève d’un contresens nourri par une vision court-termiste. Quel confort restera-t-il lorsque les sécheresses à venir marqueront nos étés par des pics de température avoisinant les 50°C dans la capitale ? Ou lorsque nos côtes connaîtront chaque année des inondations qui jusqu’ici ne se produisaient qu’une fois par siècle13 ? De nos jours, défendre la liberté et sa pérennité, c’est d’abord et avant tout défendre nos conditions biologiques d’existence. Ce n’est pas le superficiel désir d’avoir chaud en terrasse lorsqu’il fait froid l’hiver. Dès lors, on peut considérer les conceptions de liberté et de confort telles que défendues par M. Azihari comme hors-sol tant elles ignorent le socle physique de la vie humaine.

En témoigne notamment le passage de l’auteur qui voit dans la pensée écologiste « la vieille haine rousseauiste de la condition bourgeoise et la volonté d’en finir avec l’homme cartésien qui s’érige en maître et possesseur de la nature ». S’il avait bien cité Descartes, l’auteur aurait écrit que l’homme se rend « comme maître et possesseur de la nature »14. Or cette formule illustre bien la situation dans laquelle l’humanité se trouve défiée : certes nous utilisons la nature à notre gré, comme si nous en étions le Créateur ; mais il ne s’agit que d’un semblant puisque nous nous apprêtons à en subir notre appartenance. Un maître, qui plus est un possesseur, ne fait pas corps avec le sujet de sa domination.

Les extrêmes changements de température nous affecteront comme la déforestation bouleverse le mode de vie des écosystèmes à travers le monde. Se balader dans la rue, s’asseoir en terrasse, ou flâner dans un parc, n’offriront plus au citadin les mêmes opportunités de confort et de plaisir de vie. Sans parler des sécheresses que subissent déjà les agriculteurs années après années. Finalement, c’est la liberté dans son rapport à l’espace qui se verra atrophiée si nous faisons l’erreur de confondre libertés et caprices.


Dans cet article, il s’agissait avant tout de révéler le paradoxe contenu dans les expressions « écologie punitive » et « dictature écologique ». En effet, qu’est-ce qui est le plus punitif entre restreindre nos activités les plus polluantes, et la désintégration des conditions de vie naturelles de milliards d’habitants d’ici à 207015 ?

Derrière cette question rhétorique, nous cherchons à souligner que ce que les mouvements réactionnaires à l’écologie appellent « dictature », ou « punitif » ; ce ne sont rien d’autre que les contraintes liées au fait d’habiter la planète Terre, et d’avoir un corps qui en dépende. Vouloir oublier ces contraintes au profit d’une liberté présentiste, c’est adopter le point de vue de Sirius : celui d’une personne qui regarderait le monde depuis le ciel, et qui n’y aurait aucune attache physique.

Ces nouvelles contraintes qui viennent s’imposer à la technoscience ne sont pas à pleurer : elles sont également une opportunité d’apprendre à apprécier le contact à la nature. Pour citer un auteur que M. Azihari semble ne pas apprécier :

« Quelque élégante, quelque admirable, quelque diverse que soit la structure des végétaux, elle ne frappe pas assez un œil ignorant pour l’intéresser. »

Rousseau, Les Confessions, Livre XII.
Portrait d'Adam Melki, responsable Etudes et Publications chez Parti Civil

PAR ADAM MELKI


Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, membre de Pour Un Réveil Ecologique et Nouvelle Ere. Politiques publiques environnementales et sociales Démocratie Biodiversité Climat Egalité des sexes.

Notes et sources

1. Source : Programme d’Etude sur le Génocide Cambodgien — Yale University
2. Voir la liste complète des propositions de la CCC : https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/ccc-rapport-final.pdf
3. Source : https://www.negawatt.org/IMG/pdf/2001_magazinelme_115_billet-d-humeur_terrasses-chauffe_es.pdf
4. Pour suivre l’application des propositions https://sansfiltre.les150.fr/
5. On descend à 2,6% par an pour respecter les +2°C. Source : UN Emissions Gap Report 2019.
6. https://www.iea.org/reports/global-energy-review-2020
7. L’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible mentionne 4 à 5kWh/Nm3 d’hydrogène produit par procédé industriel d’électrolyse : http://www.afhypac.org/documents/tout-savoir/Fiche%203.2.1%20-%20Electrolyse%20de%20l%27eau%20revjanv2017%20ThA.pdf
8. Source : https://www.air-journal.fr/2020-01-24-trafic-aerien-en-france-42-en-2019-5217776.html
9. Source : Base Carbone ADEME.

Cliquer pour accéder à %5BBase%20Carbone%5D%20Documentation%20g%C3%A9n%C3%A9rale%20v11.0.pdf

10. Source : EDF, RTE. Plus d’infos ici : https://www.connaissancedesenergies.org/questions-sur-le-nucleaire-apres-la-fermeture-de-fessenheim-200630?utm_source=newsletter&utm_medium=mardi-energie&utm_campaign=/newsletter/cest-mardi-un-peu-denergie-21-juillet-2020
11. Source : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-01/datalab-essentiel-204-l-empreinte-carbone-des-francais-reste-%20stable-janvier2020.pdf
12. Source : https://eco-calculateur.dta.aviation-civile.gouv.fr/
13. Source: GIEC, 2019, The Ocean and the Cryosphere in a Changing Climate. Fig. SPM.4
14. Descartes, Le Discours de la Méthode.
15. Voir par exemple : Xu et al., 2020. Future of the human climate niche.

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