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À travers le monde, la pandémie de la COVID-19 a des conséquences sociales et économiques dévastatrices. Face à cette crise sanitaire sans précédent, la population entière est touchée. Mais la subissons-nous toutes et tous de la même manière ?
NON, notamment pas sur le plan professionnel.
La crise engendrée par la COVID-19 aggrave les inégalités professionnelles déjà existantes dans tous les secteurs, entraînant une régression en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

Pourquoi les femmes sont-elles plus touchées par la crise de la COVID-19 ?
La pandémie de COVID-19 a déclenché la récession économique la plus grave depuis près d’un siècle. Ainsi, au deuxième trimestre 2020, le PIB français a baissé de 13,8%.1 L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avait prédit qu’en cas de deuxième vague provoquant un reconfinement dans lequel nous nous trouvons actuellement, le taux de chômage doublerait par rapport à l’avant pandémie.
Les femmes à travers le monde ont 1,8 fois plus de risques que les hommes de perdre leur emploi en raison de la crise de la COVID-19.2 En France, parmi celles employées au 1er mars 2020, deux sur trois seulement continuaient deux mois plus tard de travailler, contre trois hommes sur quatre.3 Mais pourquoi cette inégalité ?
C’est en partie parce que les secteurs les plus touchés par la crise sanitaire sont composés majoritairement de femmes. Il s’agit notamment de l’hôtellerie, la restauration, les commerces, l’événementiel, et le tourisme. L’impact de la crise actuelle diffère largement de celle qu’a eu la crise économique de 2008. Définie comme une « man-cession », la crise de 2008 a surtout impacté les emplois masculins, notamment dans les secteurs du bâtiment et de l’industrie.4 Cette fois-ci, la crise sanitaire touche les secteurs par des mesures de distanciation physique.
Et s’il est encore trop tôt pour connaître l’ampleur de l’impact sur les emplois féminins, il est clair que les femmes sont plus vulnérables que les hommes face aux chocs économiques.
En plus d’être surreprésentées dans les secteurs impactés par les mesures de distanciation, les femmes – surtout les plus jeunes – sont plus nombreuses à occuper des emplois temporaires, à temps partiel, et précaires. Ces emplois sont souvent accompagnés de salaires plus bas, d’accès plus difficile à une protection sociale et d’une protection juridique plus faible. En Europe, 26,5 % des femmes salariées occupent un emploi précaire, contre 15,1 % des hommes.5 En juillet dernier, les femmes de 18 à 34 ans étaient plus nombreuses à avoir perdu leur emploi (11 %, contre 9 % des hommes du même âge).6 Ceci démontre clairement que les écarts préexistants entre les sexes se sont aggravés avec la pandémie, ce qui fait des jeunes femmes l’un des groupes les plus affectés par la première vague de la COVID-19.
Les emplois féminins sont également trop souvent sous-valorisés. En France, 91% des aide-soignant.e.s et 87% des infirmier.e.s sont des femmes.7 Cette surreprésentation est également visible dans les métiers d’aides à domicile, du commerce et de l’enseignement. Essentiels en pleine crise de la COVID-19, ces métiers ne sont pourtant pas les mieux rémunérés. Dans le secteur de la santé par exemple, le salaire des infirmières est inférieur de 9% au salaire moyen français.8
Par ailleurs, le ralentissement de l’économie, les pertes d’emploi et l’absence de protection sociale devraient augmenter le taux de pauvreté dans le monde. En France, la crise sanitaire a poussé 1 million de personnes dans la pauvreté.9 Mais encore une fois, les femmes et les hommes ne sont pas égaux face à ce risque. L’organisation ONU Femmes explique qu’à travers le monde, il y aura 47 millions de femmes et de filles supplémentaires en dessous du seuil de pauvreté suite à la crise. Elle prédit aussi que d’ici 2021, pour 100 hommes âgés de 25 à 34 ans vivant dans l’extrême pauvreté (avec moins de 1,90 dollar par jour), on comptera 118 femmes. L’écart devrait se creuser davantage à 121 femmes pour 100 hommes avant 2030.
Le confinement accentue les inégalités dans les foyers
Aux inégalités sur le marché du travail viennent s’ajouter des inégalités dans la sphère domestique. Avec la généralisation du télétravail et la fermeture des établissements scolaires et des crèches, la pandémie a augmenté de manière significative le temps consacré au travail non rémunéré ou dit « invisible ».10
« On connaissait, nous les femmes et en particulier les mères, la double journée de travail. C’est-à-dire cumuler le travail d’un côté […] et le travail domestique et parental. Et maintenant, on doit cumuler avec l’école à la maison. »
Céline Piques, porte-parole de l’association Osez le féminisme
La plupart de ce travail est effectué par les femmes. Pendant le confinement, 58% des françaises en couple estimaient consacrer plus de temps aux tâches ménagères et éducatives.11 En moyenne en Europe, les femmes ont passé 35 heures par semaine à s’occuper des enfants (contre 25 heures pour les hommes) et 18 heures par semaine pour les travaux ménagers (contre 12 heures pour les hommes).12 Le confinement a donc apporté une charge de travail supplémentaire plus souvent complétée par les femmes, ce qui a pour conséquence de renforcer les rôles de genre traditionnels. Céline Piques, porte-parole d’Osez le Féminisme, parle d’une « triple journée », divisée entre les tâches ménagères, le travail, et l’école à la maison.13 La sociologue Jeejung Chung évoque même l’idée d’un « retour à la femme au foyer des années 1950 ».14
Cette augmentation de travail « invisible » a conduit à une détérioration de la santé mentale des femmes, qui ont souffert davantage de leurs conditions de télétravail pendant le confinement. Elles ont eu plus de difficultés que les hommes à concilier vie professionnelle et vie privée, surtout si elles ont de jeunes enfants.15 Selon une étude d’Empreinte Humaine en France, 22% d’entre elles ont présenté une détresse psychologique élevée (contre 14 % des hommes).16 Elles ont également ressenti plus de fatigue et de difficultés de concentration. A l’échelle européenne, 36 % des mères d’enfants de moins de 11 ans s’estimaient trop épuisées pour réaliser les tâches domestiques après le travail (contre 28 % des hommes), et 29 % éprouvaient des difficultés à se concentrer sur le travail à cause de la famille (11 %).17
La période de confinement a également vu un accroissement du nombre de violences conjugales et intrafamiliales faites aux femmes. Une étude du Secrétariat d’Etat chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes montre une nette hausse des tchats et appels reçus par les plateformes de signalement au cours du confinement. Françoise Brié, Directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes qui gère le numéro d’appel 3919, affirme que parmi les appels reçus pendant le confinement « 5 200 ont concerné des violences conjugales, c’est deux fois plus que l’an dernier ».18
Télétravail : Un impact disproportionné sur la carrière des femmes
Le confinement a par conséquent augmenté et amplifié les inégalités de conditions de travail. Le manque de disponibilité et la fatigue liés aux tâches domestiques a réduit la capacité des femmes à rester productives, efficaces et disponibles dans leurs vies professionnelles. Elles ont notamment eu moins de temps à consacrer aux échanges informels et au networking.19 En plus de cela, elles disposaient moins souvent d’une pièce dédiée au travail, et devaient souvent partager la pièce avec leurs enfants.20 En France, seulement un quart des femmes travaillaient dans un bureau où elles pouvaient s’isoler contre 41% des hommes. L’écart est le plus important parmi les cadres : 29% des femmes cadres contre 47% des hommes cadres.21
Un exemple de l’effet néfaste de la pandémie sur la carrière professionnelle des femmes est visible dans le secteur de la recherche. Pendant le confinement, le nombre d’articles soumis par des femmes a chuté tandis que les hommes ont en moyenne publié plus d’articles. Le constat s’observe dans de nombreuses disciplines scientifiques, telles que la médecine et la biologie, mais aussi en économie, sciences politiques, et les sciences sociales.22 Cela s’explique par une augmentation des tâches domestiques et le besoin de s’occuper des enfants. En moyenne, les femmes scientifiques, qui sont aussi mères d’enfants de moins de cinq ans, ont consacré 17% moins de temps à la recherche que les hommes.23 Étant donné que la capacité de pouvoir publier des articles dans des revues reconnues est cruciale pour l’avancement de leurs carrières et est le facteur décisif pour la promotion et la reconnaissance par leurs pairs, l’impact risque d’être important sur la progression de carrière des femmes.

La crise a également poussé de nombreuses femmes à mettre leurs carrières entre parenthèses. D’après l’Insee, parmi les personnes en emploi, les mères ont deux fois plus souvent que les pères renoncé à travailler pour garder leurs enfants.24 La raison est souvent liée à la charge de travail domestique, et le besoin de mieux concilier vie privée et vie professionnelle. De plus, la carrière de l’homme est jugée prioritaire car il est la plupart du temps mieux rémunéré.
Des mesures intégrant la dimension du genre pour réduire ces inégalités
Les femmes sont donc les plus grandes perdantes de la crise générée par la COVID-19. Selon un constat des Nations Unies, la pandémie constitue une menace importante pour les gains acquis en matière d’égalité des sexes au cours des dernières décennies. Les politiques gouvernementales en réponse à la crise seront décisives pour assurer que la situation économique et professionnelle des femmes ne s’aggrave pas dans les années à venir. En France, le plan de relance du gouvernement ne mentionne pas une seule fois les femmes et privilégie des secteurs plus masculins tel que l’aéronautique.25 Le plan de relance européen lui prévoit « des salaires minimums équitables et des mesures contraignantes de transparence des salaires » qui « aideront les travailleurs vulnérables, en particulier les femmes ». Néanmoins, le groupe des Verts du Parlement européen, à travers le rapport « Next Generation EU Leaves Women Behind », constate que les propositions de la Commission restent trop vagues et insuffisantes.26
Par conséquent, il est impératif de promouvoir une relance plus inclusive et équitable. Rebecca Amsellem, économiste, appelle sur la newsletter Les Glorieuses à un plan de relance économique féministe à travers cinq propositions dont la valorisation des « salaires des métiers où les femmes sont les plus nombreuses comme les métiers du soin » et à « intégrer les femmes aux décisions liées au plan de relance ».27 De son côté, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes veut promouvoir l’éga-conditionnalité, afin que les aides versées par l’État aux entreprises favorisent aussi l’égalité professionnelle entre les genres.
Il est donc impérieux de mettre les femmes au cœur du plan de relance, que ce soit à l’échelle nationale ou européenne, afin de faire que les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes ne se creusent davantage.

PAR CLARA LAVIALE
Pôle Financement chez Parti Civil. Mais aussi, Partenariats, Marketing et Levée de fonds à l’OCDE. Egalité des sexes • Egalité des chances
Notes et sources
1. Selon une étude de l’Insee, accessible ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4638729
2. Selon l’article de McKinsey “COVID-19 and gender equality: Countering the regressive effects”, accessible ici : https://www.mckinsey.com/featured-insights/future-of-work/covid-19-and-gender-equality-countering-the-regressive-effects
3. Voir l’article de Anne Lambert, Joanie Cayouette-Remblière, Elie Guéraut, Guillaume Le Roux, Catherine Bonvalet, Violaine Girard et Laetitia Langlois, intitulé “Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de covid-19 a changé pour les Français” sur le site de l’INED, accessible ici : https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/30315/579.population.societes.juillet.2020.covid.travail.france.fr.pdf
4. Voir l’article dans Le Monde, accessible ici : https://www.lemonde.fr/emploi/article/2020/11/04/comment-la-crise-due-au-covid-19-risque-de-creuser-les-inegalites-de-genre_6058439_1698637.html?fbclid=IwAR2nHYcdu99QNM_UkZrEw2Nbsgfxg5xY-6c4v_VqPDg3-klcqFzQECUSxOk
5. Selon l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, accessible ici : https://eige.europa.eu/covid-19-and-gender-equality/economic-hardship-and-gender
6. Selon le rapport Eurofound intitulé “Living, Working and COVID-19”, accessible ici : https://www.eurofound.europa.eu/sites/default/files/ef_publication/field_ef_document/ef20059en.pdf
7. Voir l’article d’Adeline Farge, intitulé “Les femmes, perdantes de la crise” sur le site Info Social RH, accessible ici : https://www.info-socialrh.fr/bibliotheque-numerique/liaisons-sociales-magazine/214/decodages/les-femmes-perdantes-de-la-crise-602070.php?fbclid=IwAR2WTCdPzgnAed2TkOIHS-V-
8. Voir l’article dans Le Monde, accessible ici : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/18/covid-19-il-faut-revaloriser-les-emplois-et-carrieres-a-predominance-feminine_6036994_3232.html
9. Voir l’article dans Le Monde, accessible ici : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/06/un-million-de-nouveaux-pauvres-fin-2020-en-raison-de-la-crise-due-au-covid-19_6054872_3224.html
10. Selon l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, le travail non-rémunéré est définit comme un travail qui produit des biens et des services mais qui ne donne lieu à aucune rémunération directe ou autre forme de paiement comme les travaux ménagers et le travail de soins.
11. Selon le sondage Harris Interactive, accessible ici : https://harris-interactive.fr/opinion_polls/limpact-du-confinement-sur-les-inegalites-femmes-hommes/
12. Selon le rapport Eurofound intitulé “Living, Working and COVID-19”
13. Voir l’article sur Franceinfo, accessible ici : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/confinement-les-femmes-connaissaient-la-double-journee-de-travail-et-maintenant-on-doit-cumuler-avec-l-ecole-a-la-maison-avertit-l-association-osez-le-feminisme_3948619.html
14. Voir l’article dans WAF Project, accessible ici : https://wafproject.org/2020/07/13/return-of-the-1950s-housewife-how-to-stop-coronavirus-lockdown-reinforcing-sexist-gender-roles/
15. Selon le rapport Eurofound intitulé “Living, Working and COVID-19”
16. Voir l’article d’Adeline Farge, intitulé “Les femmes, perdantes de la crise” sur le site Info Social RH
17. Voir l’article dans Le Monde, accessible ici : https://www.lemonde.fr/emploi/article/2020/11/04/comment-la-crise-due-au-covid-19-risque-de-creuser-les-inegalites-de-genre_6058439_1698637.html
18. Voir l’article sur Franceinfo; accessible ici : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/enquete-franceinfo-quelles-reponses-ont-ete-donnees-aux-signalements-des-violences-faites-aux-femmes-pendant-le-confinement_3964513.html
19. Voir l’article d’Adeline Farge, intitulé “Les femmes, perdantes de la crise” sur le site Info Social RH
20. Voir l’article dans The Conversation, accessible ici : https://theconversation.com/emploi-teletravail-et-conditions-de-travail-les-femmes-ont-perdu-a-tous-les-niveaux-pendant-le-covid-19-141230
21. Voir l’article de Anne Lambert, Joanie Cayouette-Remblière, Elie Guéraut, Guillaume Le Roux, Catherine Bonvalet, Violaine Girard et Laetitia Langlois, intitulé “Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de covid-19 a changé pour les Français” sur le site de l’INED
22. Voir l’article dans The Conversation, accessible ici : https://theconversation.com/covid-19-pourquoi-cette-crise-peut-creuser-les-inegalites-entre-chercheurs-et-chercheuses-143334
23. Voir l’article de Rachel Layne, intitulé “COVID’s Surprising Toll on Careers of Women Scientists” sur le site de Harvard Business School, accessible ici : https://hbswk.hbs.edu/item/covid-s-surprising-toll-on-careers-of-women-scientists
24. Selon une étude de l’Insee, accessible ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4513259
25. Voir la newsletter Les Glorieuses du 8 novembre 2020, accessible ici : https://lesglorieuses.fr/le-secret-islandais
26. Selon le rapport intitulé “Next Generation EU Leaves Women Behind“, accessible ici : https://alexandrageese.eu/wp-content/uploads/2020/07/Gender-Impact-Assessment-NextGenerationEU_Klatzer_Rinaldi_2020.pdf
27. Voir la newsletter Les Glorieuses du 8 novembre 2020
au delà du salaire, l’égalité hommes – femmes au travail passe aussi par la conciliation vie professionnelle – vie privée qui permet de gérer efficacement les multiples responsabilités du salarié au travail, dans son foyer et dans sa communauté, tout en maintenant sa bonne santé physique et psychologique.
Il s’agit de créer de la souplesse dans les rythmes et les structures de travail et de proposer des services aux salarié(e)s. voir ” L’amélioration de la qualité de vie au travail ” : http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=163&dossid=472
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