La fin des terrasses chauffées, une évidence climatique

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Chaque avancée écologique qui devra prendre la forme d’une restriction risque, si elle n’est pas solidement argumentée, de mettre à mal l’ensemble des transformations écologiques qu’il convient d’anticiper et d’acter au plus vite. Autrement, ceux qui caricaturent le débat démocratique lorsqu’ils opèrent un parallèle entre les écologistes et les khmers rouges — responsables de la mort d’environ 20% des cambodgiens entre 1975 et 19791 — s’en donneront à cœur joie pour dénoncer la montée des « khmers verts » ; ou d’une imaginaire « dictature verte ». Moins irrespectueux de la valeur de l’histoire, et d’une partie des cambodgiens, d’autres tablent tout de même sur l’expression « écologie punitive ». A tous, il convient d’y répondre fermement.

Dans cet article, nous utiliserons l’exemple de l’interdiction d’ici à 2021 des terrasses chauffées en hiver pour déconstruire les arguments de ceux qui s’y opposent. En particulier, l’article de Ferghane Azihari paru sur Le Point le 30 juillet 2020, intitulé La fin de la terrasse chauffée, nouvel exemple d’hypocrisie climatique, sera notre base de travail.


Pourquoi les terrasses chauffées ?

Le lundi 22 juin 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat remettait au gouvernement 149 propositions dont l’objectif est de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES) françaises de 40% d’ici à 2030, dans un esprit de justice sociale. Ces propositions ont été le résultat de 8 mois de travail collectif et de collaboration entre 150 citoyens tirés au sort en fonction de leur âge, leur sexe, leur profession et leur région d’origine. Ces derniers ont été répartis entre 5 groupes de travail intitulés « se déplacer », « consommer », « se nourrir » , « produire/travailler », et « se loger ». Chacun des groupes a émis des propositions qui furent par la suite débattues et votées en séance plénière. Parmi elles, on retrouve au sein du groupe « Se loger », l’interdiction de chauffer les espaces publics extérieurs quelle que soit la surface2 ; ce qui inclut donc les terrasses chauffées.

Pourquoi cette mesure ? Pour une seule terrasse de 75m2, chauffée au gaz propane de 8h à 22h, à 75% de puissance et sur 120 jours de l’année, on atteint les émissions CO2 d’une berline roulant plus de 120 000 km3. Pour une même terrasse chauffée à l’électricité, on atteint sur un hiver la consommation annuelle en électricité de 9 familles. Ainsi, l’association Negawatt, qui a réalisé ces calculs, nous donne l’ordre de comparaison suivant : « en supposant que la moitié des 22000 terrasses de Paris soit pareillement chauffée, leur consommation électrique hivernale totale est égale à celle de tous les habitants de deux arrondissements de la capitale pendant un an ». De quoi se regarder dans la glace avant de railler le Qatar lorsqu’il climatise l’extérieur de ses villes.

La convention citoyenne, qui a inspiré plusieurs de nos voisins européens à faire de même (la Grande-Bretagne l’a confirmé ; l’Espagne et l’Allemagne y songent), permet de remédier aux carences de notre démocratie face aux enjeux de long terme. Souvent non formés sur la pluralité des sujets écologiques, et élus pour seulement cinq ans, nos représentants se trouvent fréquemment dans l’incapacité de faire primer la stabilité du climat et de la biosphère sur les préoccupations du présent.Sur les 149 propositions, une seule est pour le moment partiellement acceptée ; 6 sont débattues (dont l’interdiction de chauffer les lieux publics extérieurs) ; 3 sont rejetées et 3 risquent également de l’être4. Ces faibles résultats s’expliquent d’abord par le fait que la mise en application de ces propositions vient tout juste de débuter, mais l’on observe déjà qu’une partie de leur rendu est en péril. Voilà pourquoi défendre l’interdiction des terrasses chauffées est décisif : il s’agit également de défendre l’ensemble du travail de ces 150 citoyens, représentatifs de la diversité de la société française.

« Préserver un environnement habitable ». Vraiment ?

L’auteur fustige les écologistes pour qui, selon lui, « l’amour de la verdure » est « l’alibi du despotisme doux que Tocqueville assimilait au cancer des démocraties ». Les mesures de sobriété énergétique défendues ici ne seraient qu’une simple « contrition », injustifiée, et pour laquelle le CO2 constituerait une excuse permettant d’oppresser le « bourgeois » dans sa quête naturelle de bonheur et de confort. C’est alors cette obsession du bourgeois qui motive les écologistes, non pas le besoin de réduire les émissions de GES.

Une fois les écologistes décriés de la sorte, il lui est aisé de présenter leurs opposants comme des humanistes qui reconnaissent que « l’objectif naturel des sociétés humaines » n’est autre que le confort. Ces derniers auraient les clefs permettant d’associer l’amélioration du confort pour tous et dans le monde entier, à la préservation d’un « environnement habitable ». Si l’on reconnaît que le monde rentrera dans un processus où il commencera à cesser d’être un environnement habitable pour l’homme lorsque l’augmentation des températures dépassera les +1,5°C ; alors il convient de faire baisser les émissions de GES de 7,6% par an à compter de 20205. La crise du coronavirus nous donnant un ordre de grandeur de l’immensité du défi : la baisse d’émissions en 2020 liée au ralentissement de l’économie devrait atteindre 8% par rapport à 2019, selon l’Agence Internationale de l’Energie6

C’est précisément la logique consistant à maintenir qu’aucune baisse de confort ne peut être tolérée, sans que cela ne compromette la préservation d’un environnement habitable, qui pousse aux plus grandes contradictions. Et si, par faute d’anticipation ou de plausibilité d’existence, les technologies à notre disposition aujourd’hui ne permettaient pas d’allier poursuite continue du confort et préservation d’un environnement habitable ? Sur laquelle de ces deux composantes l’auteur accepterait-il de faire un compromis ?

Il semble que nous nous trouvons déjà dans cette situation. L’un des exemples récents les plus frappants étant celui de la relance française du secteur aéronautique suite à la crise du coronavirus. Incapable d’avouer que les milliards dépensés par la France préserveraient la croissance d’un des secteurs les plus polluants par € de chiffre d’affaires ; la Ministre de la Transition Ecologique de l’époque sortait de son chapeau la mise en service d’avions commerciaux à hydrogène d’ici à 2035. Une rapide évaluation des faits permet d’y voir un atterrant greenwashing. En effet, outre le défi industriel que constituerait l’élaboration et la production en masse d’un avion à hydrogène en si peu de temps, il faudrait également que celui-ci remplace les flottes d’avion à kérosène déjà construites, et pas seulement qu’il s’ajoute aux avions existants. Surtout, il convient de rappeler que l’hydrogène est obtenu de manière « verte » uniquement lorsqu’il est issu d’un processus d’électrolyse de l’eau — séparant le dihydrogène de l’oxygène ; processus qui consomme une quantité importante d’électricité7. Par conséquent, il faudrait également que l’ensemble des aéroports où notre avion à hydrogène fasse son plein se situe dans un pays où l’électricité est décarbonée pour que le vol soit faiblement émetteur de GES. Ainsi, en l’état actuel des choses et compte tenu de la durée de vie moyenne des centrales à charbon, la croissance du nombre de vols France — Etats-Unis, France — Chine, ou France — Inde ne serait pas acceptable du point de vue du climat, même avec des avions à hydrogène.

Dès lors, comment M. Azihari, qui décrie également dans son article les possibles futures « contritions » du secteur de l’aviation, compte-t-il s’y prendre pour réduire de 7,6% par an les émissions de GES de cette partie de l’économie qui, en France, a cru de 4,2% en 20198 ?

Le nucléaire n’est pas suffisant.

A propos du nucléaire, l’auteur commence par réduire l’opinion de l’ensemble des écologistes à celle d’une partie d’entre eux : les antinucléaristes. Il attaque alors ces derniers, spécifiant — et c’est peut-être la seule pointe de justesse dans cet article, que la fermeture de centrales nucléaires (10 à 66gCO2-eq/kWh9) en France entraînera inévitablement l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre par unité d’électricité consommée ; le gaz naturel (406gCO2-eq/kWh) ou le charbon (1038gCO2-eq/kWh) étant pour l’instant nécessaires pour gérer l’intermittence des énergies renouvelables (<41gCO2-eq/kWh). Autrement dit — et l’exemple allemand le montre bien, lorsque le vent et le soleil, qui alimentent les éoliens et panneaux photovoltaïques, viennent à manquer ; nous n’avons aujourd’hui d’autres choix que de faire appel aux énergies fossiles en l’absence de nucléaire, en particulier aux heures de pic de consommation d’électricité.

Cependant, l’auteur laisse entendre que ceux qui s’opposent au nucléaire ne peuvent alors prétendre lutter contre le changement climatique ; et il s’empresse d’ajouter que le nucléaire est la porte de sortie qu’il faut répandre à travers le monde pour nous sauver de l’augmentation moyenne des températures. A le lire, il suffirait d’exporter aux pays émergents notre industrie nucléaire pour que leur croissance et leur économie soient décarbonées. On y lit même l’énigmatique formule selon laquelle le nucléaire permettrait de « nettoyer l’atmosphère ».

D’abord, il faudrait rappeler que la Chine et l’Inde ne nous ont pas attendu : 11 réacteurs nucléaires sont en construction en Chine (après avoir mis en route les deux premiers EPR mondiaux), et 7 en Inde. Mais ces centrales supplémentaires ne permettent pas de remplacer les centrales à charbon : elles viennent s’ajouter à un gâteau énergétique en croissance, et ne sont pas suffisantes pour prévenir la mise en service de nouvelles centrales à charbon. Finalement, ces centrales ont le mérite non négligeable d’éviter que la situation climatique ne s’empire encore plus vite, mais ne permettent aucunement de commencer à faire baisser la quantité de GES relâchée dans l’atmosphère.

Ensuite et surtout, la France a beau être à grande majorité nucléarisée (70,6% de son électricité en est issue en 201910), un long chemin reste à parcourir avant de réunir les conditions permettant de préserver un « environnement habitable ». En ce sens, le commissariat général au développement durable a comparé l’empreinte carbone annuelle moyenne d’un français, à celle calculée par le GIEC si nous voulons respecter le budget CO2 qu’il reste à émettre avant de dépasser les +2°C. Ainsi, quand ce dernier préconise que le budget CO2 de chaque terrien se situe entre 1,6 (hypothèse basse) et 2,8 tonnes de CO2-éq (hypothèse haute) ; l’empreinte carbone d’un français se situe à plus de 11 tonnes11. Pour donner un ordre de comparaison, un vol aller-retour Paris-New York émet 1 tonne de CO2 équivalent par passager12. Penser que l’on peut préserver un « environnement habitable », sans émettre aucune contrition au secteur aérien, et en favorisant son exportation au monde entier relève donc d’un coupable aveuglement.

Action écologique, temporalité et liberté

Il est crucial de rappeler que la temporalité de nos actions est certainement la composante la plus structurante de l’enjeu écologique. Structurante car c’est bien le timing de ces actions vis-à-vis de l’emballement climatique ou de l’extinction de la biodiversité qui permet d’en jauger le bien-fondé. Les maigres efforts énergétiques que nous faisons aujourd’hui sur la production de charbon auraient été salutaires il y a plusieurs décennies. Ils apparaissent dérisoires aujourd’hui, car c’est bien un budget carbone qu’il convient de ne pas dépenser pendant ce siècle, et non seulement une limite d’émissions par année. Ainsi, à mesure que nous remettons à demain les durs efforts auxquels il faudrait consentir, ceux que nous devrons subir à l’avenir s’alourdissent exponentiellement. Par conséquent, cette tension que révèle l’attitude de l’auteur, entre poursuite continue du confort et préservation d’un environnement habitable, ne fera que s’intensifier à mesure que l’inaction climatique continuera de gouverner le fonctionnement de nos sociétés.

Plus globalement, opposer l’action écologique au confort, ou à la liberté, relève d’un contresens nourri par une vision court-termiste. Quel confort restera-t-il lorsque les sécheresses à venir marqueront nos étés par des pics de température avoisinant les 50°C dans la capitale ? Ou lorsque nos côtes connaîtront chaque année des inondations qui jusqu’ici ne se produisaient qu’une fois par siècle13 ? De nos jours, défendre la liberté et sa pérennité, c’est d’abord et avant tout défendre nos conditions biologiques d’existence. Ce n’est pas le superficiel désir d’avoir chaud en terrasse lorsqu’il fait froid l’hiver. Dès lors, on peut considérer les conceptions de liberté et de confort telles que défendues par M. Azihari comme hors-sol tant elles ignorent le socle physique de la vie humaine.

En témoigne notamment le passage de l’auteur qui voit dans la pensée écologiste « la vieille haine rousseauiste de la condition bourgeoise et la volonté d’en finir avec l’homme cartésien qui s’érige en maître et possesseur de la nature ». S’il avait bien cité Descartes, l’auteur aurait écrit que l’homme se rend « comme maître et possesseur de la nature »14. Or cette formule illustre bien la situation dans laquelle l’humanité se trouve défiée : certes nous utilisons la nature à notre gré, comme si nous en étions le Créateur ; mais il ne s’agit que d’un semblant puisque nous nous apprêtons à en subir notre appartenance. Un maître, qui plus est un possesseur, ne fait pas corps avec le sujet de sa domination.

Les extrêmes changements de température nous affecteront comme la déforestation bouleverse le mode de vie des écosystèmes à travers le monde. Se balader dans la rue, s’asseoir en terrasse, ou flâner dans un parc, n’offriront plus au citadin les mêmes opportunités de confort et de plaisir de vie. Sans parler des sécheresses que subissent déjà les agriculteurs années après années. Finalement, c’est la liberté dans son rapport à l’espace qui se verra atrophiée si nous faisons l’erreur de confondre libertés et caprices.


Dans cet article, il s’agissait avant tout de révéler le paradoxe contenu dans les expressions « écologie punitive » et « dictature écologique ». En effet, qu’est-ce qui est le plus punitif entre restreindre nos activités les plus polluantes, et la désintégration des conditions de vie naturelles de milliards d’habitants d’ici à 207015 ?

Derrière cette question rhétorique, nous cherchons à souligner que ce que les mouvements réactionnaires à l’écologie appellent « dictature », ou « punitif » ; ce ne sont rien d’autre que les contraintes liées au fait d’habiter la planète Terre, et d’avoir un corps qui en dépende. Vouloir oublier ces contraintes au profit d’une liberté présentiste, c’est adopter le point de vue de Sirius : celui d’une personne qui regarderait le monde depuis le ciel, et qui n’y aurait aucune attache physique.

Ces nouvelles contraintes qui viennent s’imposer à la technoscience ne sont pas à pleurer : elles sont également une opportunité d’apprendre à apprécier le contact à la nature. Pour citer un auteur que M. Azihari semble ne pas apprécier :

« Quelque élégante, quelque admirable, quelque diverse que soit la structure des végétaux, elle ne frappe pas assez un œil ignorant pour l’intéresser. »

Rousseau, Les Confessions, Livre XII.
Portrait d'Adam Melki, responsable Etudes et Publications chez Parti Civil

PAR ADAM MELKI


Pôle Publications et Etudes chez Parti Civil. Mais aussi, membre de Pour Un Réveil Ecologique et Nouvelle Ere. Politiques publiques environnementales et sociales Démocratie Biodiversité Climat Egalité des sexes.

Notes et sources

1. Source : Programme d’Etude sur le Génocide Cambodgien — Yale University
2. Voir la liste complète des propositions de la CCC : https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/ccc-rapport-final.pdf
3. Source : https://www.negawatt.org/IMG/pdf/2001_magazinelme_115_billet-d-humeur_terrasses-chauffe_es.pdf
4. Pour suivre l’application des propositions https://sansfiltre.les150.fr/
5. On descend à 2,6% par an pour respecter les +2°C. Source : UN Emissions Gap Report 2019.
6. https://www.iea.org/reports/global-energy-review-2020
7. L’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible mentionne 4 à 5kWh/Nm3 d’hydrogène produit par procédé industriel d’électrolyse : http://www.afhypac.org/documents/tout-savoir/Fiche%203.2.1%20-%20Electrolyse%20de%20l%27eau%20revjanv2017%20ThA.pdf
8. Source : https://www.air-journal.fr/2020-01-24-trafic-aerien-en-france-42-en-2019-5217776.html
9. Source : Base Carbone ADEME.

Cliquer pour accéder à %5BBase%20Carbone%5D%20Documentation%20g%C3%A9n%C3%A9rale%20v11.0.pdf

10. Source : EDF, RTE. Plus d’infos ici : https://www.connaissancedesenergies.org/questions-sur-le-nucleaire-apres-la-fermeture-de-fessenheim-200630?utm_source=newsletter&utm_medium=mardi-energie&utm_campaign=/newsletter/cest-mardi-un-peu-denergie-21-juillet-2020
11. Source : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-01/datalab-essentiel-204-l-empreinte-carbone-des-francais-reste-%20stable-janvier2020.pdf
12. Source : https://eco-calculateur.dta.aviation-civile.gouv.fr/
13. Source: GIEC, 2019, The Ocean and the Cryosphere in a Changing Climate. Fig. SPM.4
14. Descartes, Le Discours de la Méthode.
15. Voir par exemple : Xu et al., 2020. Future of the human climate niche.

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