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Les médias sont aujourd’hui friands d’anecdotes entourant les « végans » (individus ne consommant pas de produits d’origine animale). Vitrines de boucheries saccagées, abattoirs surveillés, les végans sont dépeints comme un mélange entre militants justiciers et ayatollahs de la nutrition. Pourtant, malgré ces caricatures, le phénomène séduit et n’apparaît plus si marginal, concernant en 2014 près de 90 000 personnes en France, ce nombre étant en constante augmentation.
Le véganisme, un acte citoyen avant tout
Afin de dépasser les représentations déformées et les actes violents isolés, il convient de revenir aux causes originelles de ce mode de consommation. Quatre explications sont notamment identifiables.

Défendre le bien-être animal
Tout d’abord, les végans partent du constat d’une surconsommation de produits d’origine animale dans les pays développés. Tous les ans, la consommation mondiale augmente de plus de 1%, cette augmentation étant en majorité imputable à moins de 10 pays1. Afin d’y répondre, les méthodes de production s’intensifient : concentration des animaux en cages, optimisation des plannings et réduction du temps d’exposition au plein air, réduction des durées de vie, mutilations, etc. Ces pratiques sont, de manière évidente, hostiles au bien-être animal. Beaucoup de végans considèrent cette atteinte comme insupportable, car discriminant certains êtres vivants et causant leurs souffrances au profit d’un plaisir humain éphémère. La hiérarchisation des êtres vivants, positionnant l’être humain au sommet de l’échelle de valeur, est également rejetée par beaucoup.
Lutter contre le réchauffement climatique

Les végans établissent un deuxième constat : celui de l’inéluctabilité du réchauffement de notre planète et de conséquences socio-environnementales catastrophiques si l’on maintient le rythme d’émissions actuel. À lui seul, l’élevage est responsable de près de 1/5ème des émissions humaines2. Certains3 affirment même qu’en prenant en compte l’ensemble des aspects liés à l’élevage, il représenterait la moitié des émissions mondiales ! Si on l’estime à la baisse (1/5ème donc), c’est autant que le secteur de l’industrie (industrie lourde et manufacturière). Cela est notamment lié à la production de nourriture animale impliquant engrais et équipements, à la déforestation nécessaire à l’élevage, au transport international, et au gaspillage. Ainsi, le Groupement International des Experts du Climat (GIEC) prédit que l’efficacité d’une politique ambitieuse de réduction de la consommation de viande serait comparable, en termes d’émissions, à une division de moitié du parc automobile mondial4.
Satisfaire les besoins alimentaires de la population mondiale
Nous l’avons vu, nourrir les animaux qui eux-mêmes nous nourrissent possède un impact carbone conséquent. Cela représente également une occupation de terres agricoles dédiées à cette production ; une perte nette pour la production alimentaire à destination humaine. Cette perte, non-problématique en soi, le devient lorsqu’elle est mise en perspective avec les statistiques concernant la sous-nutrition. À l’échelle mondiale, 800 millions de personnes sont sous-alimentées (accès à un nombre insuffisant de calories et de nutriments). Il est possible d’attribuer ce fléau à de nombreuses causes structurelles5, telles que les modes de gouvernance, de redistribution, le degré d’inégalités entre les femmes et les hommes, d’intervention de l’Etat dans l’économie, et le niveau de concentration de pouvoir au sein des différents maillons de la chaîne alimentaire. Toujours est-il que réduire les taux de consommation de produits carnés est un levier permettant d’accroître la quantité de production alimentaire à destination humaine et de contribuer, certes partiellement, à la problématique de lutte contre la faim. Le Prix Nobel d’économie Amartya Sen déclare lui-même qu’à certains endroits dans le monde, il s’agit encore de produire davantage (en complément de mesures d’accessibilité de la production), comme sur le continent Africain par exemple. Réduire la consommation de produits carnés est également, en termes d’augmentation de la production alimentaire à destination humaine, une solution alternative à l’intensification des modes de production agricole induisant appauvrissement des sols, perte de biodiversité, endettement des producteurs, et conséquences sanitaires pour eux et les populations alentours.
Préserver notre santé

Enfin, la surconsommation de viande à laquelle nous assistons aujourd’hui (et à laquelle nous prenons part) possède des conséquences sanitaires non-négligeables. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) classifie la surconsommation de viande rouge comme « probablement cancérigène » pour l’être humain. Elle serait responsable de plus de 34 000 décès par an dans le monde6. Par ailleurs, la consommation de viande est également associée à des régimes riches en calories, et notamment en « calories vides » (ne contenant que peu de propriétés nutritionnelles), que l’on retrouve dans les fast food, produits transformés, etc. Elle alimenterait donc aussi l’épidémie mondiale d’obésité.
Les végans, militants de l’ombre incompris
Face à ces multiples explications issues de données scientifiques et porteuses de sens et d’engagement, il convient de s’interroger sur la polémique sans cesse renouvelée autour du choix du véganisme. Pourquoi le véganisme, en tant que comportement individuel, est-il si dérangeant ?
Parce que la mise en danger du modèle gastronomique et culturel français est souvent opposée comme argument à l’encontre du véganisme, il convient de le mentionner. Relevons ici son absurdité : une gastronomie si réputée car constamment enrichie des apports culturels et innovations culinaires, serait désormais menacée par la proposition d’alternatives non-carnées ? L’introduction de menus 100% végétaliens au sein de restaurants étoilés au guide Michelin prouve le contraire : même les chefs français adhèrent à cette cuisine éco-responsable, y percevant un nouveau défi culinaire. La production agricole française, réputée pour sa qualité reflétée par ses nombreux labels, est également sauve : les végans s’opposent aujourd’hui à une quête de quantité délétère, et prônent le respect de la qualité avant tout.
Ainsi, sans revenir sur l’opposition quasi-systématique à laquelle se retrouvent confrontés les agents du changement, il convient de s’attarder sur les acteurs réellement « menacés » par l’accroissement de ce mode de consommation. Parmi eux, il est possible de nommer les éleveurs, l’industrie agro-alimentaire, les artisans bouchers-charcutiers, l’industrie du cuir, les chasseurs, etc. Il serait selon eux légitime, en tant qu’acteurs dont l’activité économique repose sur la consommation de tels produits, de résister à un démantèlement ou une disparition de leur activité. Mais une telle annihilation est-elle bien la demande du véganisme ?
Au vu des explications formulées ci-dessus, il s’agirait plutôt pour les végans d’adopter un comportement volontairement provocateur, car radical, afin de susciter une remise en question ; non un démantèlement. Afin d’engager une évolution, et non une disparition. Car c’est la nuance qui importe ici. Les végans s’opposent à la maltraitance, luttent pour contenir le réchauffement climatique et limiter ses conséquences, contre les inégalités et pour le maintien d’une espèce humaine en bonne santé. Ils apportent une réponse à l’injonction faite de manière omniprésente aujourd’hui à l’engagement individuel et à la responsabilisation citoyenne, en adoptant une forme de militantisme pacifiste et circonscrit au champ de leur pouvoir d’achat. Leur finalité : l’amélioration des pratiques et la soutenabilité de l’activité économique. En réponse à leur engagement citoyen, une attitude constructive de la part des acteurs économiques concernés serait la remise en cause de leurs processus de production, transformation et commercialisation lorsque nécessaire, et une adhésion de principe lorsque leurs pratiques sont conformes à des standards socio-environnementaux ambitieux.
Vers une politique de végétalisation alimentaire à large échelle
Nous l’avons vu, les végans portent aujourd’hui une double peine : celle d’une lutte militante quotidienne, couplée de la stigmatisation de leur choix. Poursuivre, à l’échelle collective, ce que des mouvements citoyens ont porté jusqu’à présents, permettrait d’alléger leur charge, tout en décuplant son efficacité. Les politiques publiques permettant de répondre à ce défi sont nombreuses. Portons notre attention sur une proposition formulée par de nombreux acteurs de la société civile, du monde associatif, de la recherche et de politiques : la mise en place d’un plan protéique végétal à l’échelle européenne. L’objectif serait à la fois de réduire la dépendance aux importations en provenance d’autres continents et source de déforestation massive, tout en favorisant la production de protéines végétales directement à destination de la consommation humaine.
Le développement d’une telle politique de végétalisation de la production agricole européenne est étudié avec attention, notamment depuis 2018. Plusieurs rapports ont été publiés, indiquant l’effet d’opportunité résidant dans une telle politique pour les acteurs économiques. Car l’urgence climatique et sociale ne suffit que rarement… La végétalisation de la production est, enfin, mise à l’agenda. Beaucoup reste certes à faire pour qu’éclose de ces déclarations d’intentions des préconisations concrètes. Mais, fait notable : la Commission européenne note l’essor des régimes végétariens et végans comme signal fort et accélérateur de mesures ambitieuses au niveau européen7. Avis à ses détracteurs : le véganisme porte ses fruits !

PAR EVA MOREL
Directrice du Pôle Études et Opinions chez Parti Civil. Mais aussi, Collaboratrice Parlementaire et Co-Présidente de QuotaClimat. Prise de conscience de l’urgence climatique • Transition agricole et alimentaire • Politique européenne • Egalité des genres et des chances
Notes et sources
1. Selon le rapport de la FAO accessible ici : http://www.fao.org/3/CA4076FR/CA4076FR_chapitre6_Viande.pdf
2. 18% selon la FAO.
3. Notamment le WorldWatch Institute.
4. Voir article de Médiapart accessible ici : https://blogs.mediapart.fr/edition/il-etait-une-fois-le-climat/article/080915/l-elevage-emet-plus-de-gaz-effet-de-serre-que-les-transports
5. Voir les travaux de Amartya Sen, prix Nobel d’économie, en la matière, les conclusions étant résumées ici par exemple : http://news.aouaga.com/h/9248.html
6. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, rapport ici : https://www.who.int/features/qa/cancer-red-meat/fr/
7. La Commission européenne reconnaît que ces nouveaux modes de consommation ouvrent des fenêtres d’opportunités économiques permettant aux acteurs économiques d’opérer une transition économiquement viable. Voir présentation ici : https://ec.europa.eu/info/news/new-opportunities-eu-plant-protein-market-2019-feb-25_fr